Le restaurant « Aux pieds sous la table » dans un quartier proche de la faculté du Capitole à Toulouse offre un cadre original et bien sympa. D’un bon rapport qualité-prix le menu du jour a tout pour satisfaire un adepte des bonnes tables simples et goûteuses. Au moment d’aborder le choix du vin, la lecture de la carte réserve une mauvaise surprise aux Bordelais de passage : pas une offre de vin de Bordeaux ! Toutes les appellations sont déclinées en blanc, en rosé, en rouge avec le renfort de quelques crus espagnols mais rien qui vient de l’une des plus célèbres régions de production française.
Ce constat résonne comme un signal d’alerte dans la période où les chais des viticulteurs girondins ne se vident pas. Les stocks ont atteint des niveaux dénotant une crise de commercialisation et la profession souhaite des mesures draconiennes pour tenter d’enrayer la descente aux enfers de nombreuses propriétés. Un prix d’achat en vrac très bas, une consommation en baisse constante sur la France, une crise sanitaire ayant paralysé les échanges internationaux, un pouvoir d’achat en berne : l’avenir s’annonce pour le moins compliqué.
La production n’a cessé d’augmenter durant la décennie écoulée pour atteindre des volumes records et désormais les viticulteurs réclament hors secteurs de grands crus ou d’appellations renommées une campagne d’arrachage. La surface entre 15 et 1à 000 hectares a été évoquée comme moyen de réduire les quantités récoltées. A ce jour tant au niveau de l’Europe que de Bercy où se trouve le vrai pouvoir la réponse reste négative. Or des chiffres circulent : 500 comptes bancaires seraient bloqués et entre 3.000 et 4.500 dossiers de recouvrement sont en instance de recouvrement à la MSA sur 5.200 viticulteurs que compte la Gironde !
Près de 1 400 propriétés seraient en cessation de paiement. «Le fermier qui exploitait les 8 ha de notre propriété familiale vient de jeter l’éponge après deux ans de loyers impayés » explique Jean. « Le montant de ses ventes ne sont pas suffisantes pour honorer le contrat. Nous cherchons un remplaçant pour une petite surface en Entre-Deux-Mers. Pas facile voire impossible. Si nous ne trouvons pas nous ne savons pas comment assurer le maintien en état des vignes ». Cette situation n’est pas unique dans le secteur girondin qui produit les plus gros volumes de Bordeaux générique.
« L’arrachage subventionné ne constitue pas la panacée ajoute Bernard, ancien exploitant. Rien ne dit que les surfaces qui seraient supprimées soient plantées de vignes permettant une diminution significative des récoltes. Le vrai problème c’est que des vignobles risquent d’être abandonnés puisque leur entretien coûterait plus que rapporterait leur production. La propagation des maladies constituerait un autre fléau ».
C’est en regardant la carte des vins à Toulouse que me revient en mémoire une conversation avec un exploitant chilien de la vallée de Colchagua. Carlos Cardoën, le bâtisseur de l’oeno-tourisme sur Santa Cruz m’avait confié : « nous approcherons la qualité de vos produits haut de gamme mais nous les égalerons jamais mais par contre nous serons toujours meilleurs que vous à Bordeaux en terme de commercialisation. » Il avait raison et ce n’est pas spécifique au Chili !
Cherchez un blanc d’Entre-Deux-Mers dans certains restaurants girondins ? Combien d’entre eux proposent pour satisfaire les apriori de la clientèle du rosé de Provence ou du Var ? Alors dès que l’on s’éloigne un peu de la zone de production le constat est implacable ! Au Chili j’ai constaté que dans les chambres des hôtels d’un certain niveau une bouteille de vin attendait l’occupant étranger qui pouvait l’emporter. Elle lui était offerte (enfin elle devait être incluse dans le tarif) et constituait une promotion directe. De telles initiatives sont-elles possibles en France ?
En attendant une annonce « traditionnelle » est tombée. Pour accompagner la filière « majeure pour l’économie française », « une campagne de distillation » sera engagée « dès cet été » grâce au déblocage « dans la limite des montants autorisés par les dispositions européennes » de « 40 millions d’euros de crédits nationaux complétés de 40 millions de l’enveloppe de financements européens (FEAGA) », a indiqué le ministre. Une seconde campagne de distillation pourra être organisée « à partir d’octobre […] pour atteindre un maximum de 160 millions d’euros en 2023 »
Les excédents constitués au début de la pandémie de coronavirus en raison de la fermeture quasi simultanée des bars et restaurants dans le monde entier. Ils avaient été transformés en alcool pour fabriquer du bioéthanol, des parfums ou du gel hydroalcoolique. Est-ce la finalité du vu=ignoble bordelais ?