Les commissions permettent de gagner du temps et d'en faire perdre

Depuis quelques années maintenant, je représente l’Association des Maires de France dans des instances nationales diverses. C’est une expérience de fin de mandat particulièrement révélatrice du mode de fonctionnement d’un État qui ne sait plus trop faire vivre la démocratie. Depuis que Georges Clémenceau a fait ce constat fracassant : « Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission », rien n’a changé et, au contraire, le mal a empiré au prétexte d’un souci de concertation. Je fréquente ou j’ai fréquenté une bonne demi-douzaine de ces instances représentatives où l’on doit examiner des problèmes d’ordre général, et je ne suis pas convaincu de l’utilité de mon engagement volontaire et bénévole. En effet, il est indispensable de préciser que l’art de la gouvernance technocratique consiste à noyer les porteurs de valeurs et de projets parmi de nombreux participants venant présenter leur propre expérience. On pratique dans ces réunions le « moi je… » avec une constance désarmante. Chacun vient expliquer SA réussite qui démontre que la réflexion ne doit pas avoir lieu, puisque le tour de table révèle des actions annoncées comme exemplaires. Les responsables associatifs ou les élus pratiquent tous cet art de parler d’eux plus que du sujet inscrit à l’ordre du jour. Généralement, le résultat est toujours le même : au bout d’une heure de récits laudateurs, on finit par ne plus savoir ce pourquoi on est venu. L’autre constante, c’est la manière dont on traite les élus.
Ils sont noyés au milieu d’un nombre pléthorique de membres de la société civile, confortée par des quantités de fonctionnaires. Partout où je siège, il y a un élu pour près de 10 non élus. Et au bout d’un certain temps, la majorité se tourne vers l’élu (souvent il est seul car ses collègues plus expérimentés ne viennent plus !) pour lui demander des comptes. Toutes les commissions partent d’un postulat : l’élu est l’ennemi, celui qui refuse les crédits, qui est tordu, celui qui dissimule de noires pensées ou pire des calculs électoralistes… Chaque fois j’éprouve vraiment le sentiment d’être contraint à l’autocensure, car il ne faut surtout pas réagir, afin de ne pas mettre la puissance invitante en fâcheuse posture. Et pourtant… il y aurait tant de choses à dire sur la profondeur du fossé séparant les mots parisiens des réalités locales. Un brin d’esprit concret relève souvent de la révélation, qui s’évanouit sous les reproches impérieux de la bureaucratie qui avance avec la prudence des Sioux mais rarement avec leur vitesse. Des semaines, des mois passent et on attend que la vérité sorte du puits où on l’a plongée sous la forme d’un texte réputé avoir tout prévu, mais qui explose dès la première mise sur la table. Il arrive (de plus en plus souvent) que plus personne ne reconnaisse l’idée (toujours ambitieuse) de départ tellement elle a été écrasée par des directives européennes, des normes administratives, des adaptations circonstancielles et surtout la volonté de ne mécontenter personne ! Car en général on créé une « commission » avec le secret espoir de contenter tout le monde, de concilier les « pour » et les « contre », de faire reconnaître à la fin que des parts des vérités des uns ou des autres se retrouvent dans le travail fini…Le vrai risque, c’est que l’on débouche sur une bouillie acceptable par tous mais n’ayant aucun intérêt pour le quotidien.
Une commission ne parle jamais de l’essentiel : « A-t-on les moyens de nos ambitions ? Quel sera le financement des grands principes sur lesquels on est vite d’accord ? » On ne parle pas d’argent entre gens de bonne volonté et de toutes les manières, ce sont les élus qui devront trouver la solution ! C’est inexorable. Partout où je siège il est devenu scandaleux de dire que toute proposition doit s’accompagner de son évaluation financière et plus encore d’engagements précis de tous les partenaires. En définitive, on déterre le vrai problème, n’en déplaise à Georges Clémenceau, quand on aborde les solutions ! Et là, il faut faire référence à la philosophie de Fernand Raynaud et au refroidissement du fût du canon : « ça peut prendre un certain temps ! »

Cette publication a un commentaire

  1. batistin

    Dans un autre genre, mais finalement je crois dénotant du même mode de fonctionnement, j’ai eu en direct il y a quelques années la chance le bonheur et l’avantage de participer à l’agrandissement du trou de la sécurité sociale française.

    J’étais à l’époque assuré social à 100%, ce qui est fort commode, mais un peu honteux.
    Honteux, car toujours énoncé avec une forte voix par le pharmacien, au beau milieu d’une queue de braves citoyens qui eux payent leur médicaments:
    « ah, vous êtes à 100% ! »
    Pris d’un mal de tête insupportable, je vais donc à la pharmacie armé de quelques euros, et commande une boite de cachets.
    Le pharmacien me connait, et lance, très fort comme à son habitude, »
    « mais non je ne veux pas d’argent, vous êtes à 100% ! »
    Sauf qu’il me faut une ordonnance du médecin certifiant mon mal de tête pour bénéficier de la gratuité des cachets.
    J’insiste pour payer, rien à faire, le pharmacien compatissant tient absolument à ne pas aggraver ma situation financière, et au lieu de prendre simplement mes 1 euro et 90 cts, prix d’une boite de cachets, il « me les marque » me d-t-il.
    Cachets marqués, qui seront payés par mes 100% de couverture quand je reviendrai avec l’ordonnance du toubib …
    Je gobe deux cachets et part chez le toubib.
    Ce brave homme veut bien croire à mon mal de tête, mais trouve insuffisant et peu honorable de se contenter d’une ordonnance ne mettant pas en valeur ses longues années d’études.
    Je suis donc revenu avec une ordonnance, qui ne m’a rien couté, puisque j’étais à 100%, me donnant droit à six boites de cachets pour un mal de tête chronique, une bouteille de bain de bouche pour éviter les caries, surement responsables du mal de tête, et un traitement à vie et préventif contre un éventuel ulcère d’estomac.
    Soit quelques deux milles cachets en perspective et une jolie bouteille de liquide rose.

    Depuis chaque fois que j’entends parler du « trou de la sécu », j’ai mal au ventre.
    Mal au ventre à force de rire.

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