Camus aurait aimé le Mondial des gardiens !

bra-afpComment en regardant ces images du Mondial ne pas avoir une pensée pour Albert Camus ? Il est certainement aussi inconnu que l’a été Victor Hugo pour les candidats au bac car seul, un vaillant bayonnais prénommé Raymond a foulé les prés verts des grands stades français sous les couelurs des Girondins de Bordeaux. Albert lui, avait rejoint le Racing Universitaire Algérois (RUA) en 1929, après avoir débuté à l’AS Monpensier où il occupa brillamment le poste de gardien de but qui devient au fil des matchs de cette Coupe du Monde le véritable héros des supporters. Eduardo Galeano résume parfaitement le goût du jeune Camus pour le poste le plus ingrat dans tous les sports collectifs. « « Il s’était habitué à occuper le poste de gardien de but depuis l’enfance, parce que c’était celui où l’on usait le moins ses chaussures. Fils d’une famille pauvre, Camus ne pouvait se payer le luxe de courir sur le terrain : chaque soir, sa grand-mère inspectait ses semelles et lui flanquait une rossée si elles étaient abîmées. Il apprit aussi à gagner sans se prendre pour Dieu et à perdre sans se trouver nul, il apprit à connaître quelques mystères de l’âme humaine, dans les labyrinthes de laquelle il sut pénétrer plus tard, en un périlleux voyage, tout au long de son œuvre. »

On voit cependant très peu de supporteurs arborer au Brésil un maillot avec le nom de ces gardiens du sanctuaire des équipes. Il est vrai que l’image de briseurs des rêves portés par ces tueurs que sont les grands buteurs adulés et magnifiés, n’est pas très valorisant. Un peu comme dans les cours de récréation où personne ne veut le rôle de gendarme mis au supplice par des voleurs soutenus par les filles admiratives de leur agilité ou de leur audace on boude le rôle de goal. On pardonne en effet tout à un « renard ds surfaces » alors que, prisonnier de sa « cage », seul face à la meute, la foule aveugle voue aisément aux gémonies le portier du paradis des uns et de l’enfer des autres.

« Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois… » affirmé Albert Camus qui avait justement pu observer depuis les buts, de loin ou de très près les comportements des autres membres de l’équipe. Il les avait vu fêter cruellement la désillusion du gardien adverse dont les filets avaient tremblé ou il avait levé les bras au ciel de dépit lorsque le sort avait été favorable à son vis à vis. Seul, angoissé, tendu le goal vit intérieurement un véritable supplice car il assume en acrobate avec filets la responsabilité d’un échec ou d’une victoire des autres ! Au ras du gazon, dans les airs, en face à face décisif, au cœur de la bataille aérienne il lui faut contrarier une prouesse adverse ou pallier une faute de son camp.

Le 23 octobre 1957, au Parc des Princes, le Racing Club de Paris reçoit Monaco sous les caméras des “Actualités françaises”. Suite à une frappe d’un joueur monégasque et d’une erreur du gardien parisien, la balle finit au fond des filets. Le reporter se tourne alors vers un spectateur debout en imper-cravate qui n’est autre qu’Albert Camus, 44 ans, tout juste auréolé de son prix Nobel. Les malheurs du goal du Racing reçoivent l’indulgence de l’écrivain :Il ne faut pas l’accabler. C’est quand on est au milieu des bois que l’on s’aperçoit que c’est difficile”. Et depuis la situation s’est aggravée depuis cette prise de position de l’écrivain algérois ! La terrible épreuve des tirs directs au but par son caractère sadique a été inventée.

Elle tourne au supplice romain dans l’arène en restituant à un duel sa dimension mortelle. Jules César aurait été ravi de proposer dans le cadre de son programme électoral « du pain et des jeux » le face à face entre les Chiliens et Julio Cesar ! Un moment exceptionnel qui m’a fait revenir à cette soirée inoubliable dans ma modeste carrière journalistique du 8 juillet 1982 dans la nuit sévillanne. L’injustice oppressante de voir Schumacher arrêter la frappe d’un Bossis épuisé ne peut pas disparaître d’une mémoire. Elle est ancrée à vie comme étant d’une immoralité absolue. Je ne m’en suis jamais remis !

Le poteau qui a renvoyé le tir de Jara après la transversale qui avait repoussé un boulet de Pinella resteront au moins aussi célèbres que les arrêts effectués par le gardien brésilien. Sur l’écran noir de leurs nuits blanches les Chiliens repasseront obsessionnellement ces coups du sort ayant valu à Julio Cesar un arc de triomphe virtuel et les lauriers réservés aux héros. Qu’il se méfie cependant car on ne lui pardonnera pas avec autant d’excès le moindre échec ! Il devrait se souvenir ce que pensait Albert Camus pour qui, le football fut vécu comme une véritable école de la vie. « J’appris tout de suite qu’une balle ne vous arrivait jamais du côté où l’on croyait. Ça m’a servi dans l’existence et surtout dans la métropole où l’on n’est pas franc du collier. ». Ochoa, le Mexicain qui a inlassablement dégainé des parades plus vite que son ombre doit lui bien se demander ce qu’il pu faire au dieu Huitzilopochtli (nom qui signifie « colibri de gauche », c’est-à-dire, symboliquement, « guerrier ressuscité ») pour après maints sacrifices de son corps face aux Bataves envahissants s’être retrouvé seul face à un exécuteur impitoyable ! Navas mur du Costa-Rica qui a tenu en échec des Grecs combattifs  !  Raïs le bien nommé dans les cages algériennes a tenu tête aux Allemands ! Aucune chance ! Exécution capitale sur la place publique ! Oubliés les exploits antérieurs pour les goals perdant leur duel !

Albert Camus aurait souffert de ces situations tragiques où tout repose sur les épaules d’un homme solitaire porteur du destin des autres. Ce soir aurait-il été du coté de l’invincible Enyama le gardien nigérian ou de celui de Benzema instauré perceur de coffre-forts ? En tous cas je sais ce qu’il aurait dit aux Bleus : « de toutes les gloires la moins trompeuses c’est celle qui se vit ! »

Cette publication a un commentaire

  1. Eric Batistin

    Le nouveau gardien de tous les buts inaccessibles,
    celui vers qui on exprime, sans crainte de représailles,
    les plus vils instincts de vengeance exutoire,
    celui qui porte toutes les tares d’une équipe mal menée,
    celui que l’on rend responsable de toutes les règles bafouées,
    c’est aujourd’hui « le Pauvre ».

    Le Pauvre, celui qui garde le sourire même sur le banc de touche,
    celui dont les enfants supportent une laïcité scolaire devenue de classe,
    celui dont toutes les journées se passent à ne pas plonger,
    plonger sous les huées,
    comme si s’allonger, fatigué, en plein après-midi,
    sur quelque verte pelouse de jardin plus jamais public
    pouvait mettre en péril la banque nationale…

    Oui, le Pauvre est bien utile,
    utile gardien de toutes les équipes politiques en mal de buts,
    vers qui on peut se retourner quand tout est perdu,
    et l’offrir en pâture à des supporters enflammés et affamés…
    Affamés de victoire et se contentant de vengeance…

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