Gorbatchev s'attaque au mur de la passivité européenne

On se souvient de la polémique concernant les personnalités françaises présentes il y a 25 ans jour pour jour lors de la chute du mur de Berlin. Bien évidement Nicolas Sarkozy, visionnaire savait lui ce que personne savait, c’est à dire que le soir du 9 novembre le symbole du partage du monde allait disparaître… Les femmes et les hommes politiques étrangers étaient très peu nombreux mais l’ex-Président de la République lui aurait effectué un voyage privé éclair avant de revenir une semaine après avec Alain Juppé. La planète ne pouvait pas se priver de sa présence.. En ce qui me concerne j’avais découvert la réalité du mur le 11 juillet 1966 au fameux Check point Charlie franchi avec l’autobus de notre promotion d’école normale d’instituteurs de la Gironde qui avait décidé d’aller en République Démocratique d’Allemagne voir la réalité.
J’avais dû déployer, en tant que responsable de ce voyage des trésors de patience et de…diplomatie pour obtenir les autorisations nécessaires à cette escapade devant nous conduire à Berlin Est puis à Leipzig. La présence du seul tampon de la RDA sur nos passeports avaient rendu ce document invalide puisque les pays occidentaux ne reconnaissaient pas le statut d’État à l’Allemagne de l’Est. Nous avions exigé de l’Office Franco allemand de la Jeunesse (OFAJ) qu’il accepte de subventionner cette visite qui ne conduisit aucun d’entre nous à s’engager politiquement pour le régime communiste artificiel vendu avec pourtant le maximum de persuasion par nos hôtes. N’empêche que nous avions eu la volonté et le courage de sortir des tonnes de propagande faites par la CIA et ses affidés Rétrospectivement je suis assez fier (c’était mon premier mandat électif à 20 ans!) d’avoir pu monter ce qui aura été une véritable « expédition ». Alors quand en ce 9 novembre 2014 je regarde les célébrations officielles avec un autre regard que les démolisseurs de mur de la dernière heure.
En fait celui qui aura été le plus sincère, le plus clair dans ses analyses s’appelle Mikhaïl Gorbatchev, en visite à Berlin pour les fêtes du 25e anniversaire de la chute du Mur. Il n’est pas tombé dans l’autosatisfaction individuelle ou dans la congratulation collective lors d’un discours prononcé près de la porte de Brandebourg, au coeur de la capitale allemande, l’homme de la « perestroïka » a reproché à l’Occident de ne pas avoir respecté ses promesses après les bouleversements de 1989 qui ont conduit à l’effondrement de l’URSS. C’est courageux quand vous êtes invité pour célébrer un événement clé de la l’Histoire et que vous avez été de manière directe l’un des acteurs. « Le monde est au bord d’une nouvelle Guerre froide », a dit Gorbatchev, âgé de 83 ans. « Pour certains, elle a même déjà commencé. Pourtant, dans cette situation dramatique, nous voyons que le principal organisme international, le Conseil de sécurité des Nations unies, ne joue aucun rôle et ne prend aucune mesure concrète. »
Il peut se permettre ce genre de remarques compte tenu du rôle qu’il a tenu dans la non-intervention militaire de l’URSS dans le processus qui découla de la démolition du mur. Il a ajouté que l’ONU aurait dû agir avec détermination pour mettre fin aux combats dans l’est de l’Ukraine et il a également critiqué l’Europe, devenue « un champ clos d’agitation politique, entre les sphères d’influence et, en fin de compte, de conflit militaire. » Aucun gouvernant actuel de l’UE a eu la même lucidité sur un territoire où pour assouvir les appétits économiques de l’Allemagne on a admis des pays absolument pas prêts à faire face aux obligations sociales qui auraient dû être mises au même niveau. Une vraie leçon par celui qui avait aussi déclaré : «Je suis fier que nous – et je veux dire à la fois les pays d’Europe occidentale et orientale – ayons trouvé une approche prenant en compte les intérêts de tout le monde, et que cette chose extrêmement douloureuse ait été liquidée »
Il a vraiment osé dire leurs quatre vérités aux « autosatisfaits » d’une Europe vraiment obnubilée par le contexte économique et la situation financière mais qui oublie par pur égoïsme étatique sa responsabilité politique. Pour Gorbatchev « la conséquence inévitable (NDLR : de la faiblesse sur la scène internationale de l’ONU) , c’est l’affaiblissement de l’Europe alors que d’autres centres de pouvoir et d’influence montent en puissance. Si cela continue, peu à peu l’Europe n’aura plus voix au chapitre sur les questions internationales et ne comptera plus. » L’ancien président soviétique a accusé l’Ouest, « cédant au triomphalisme et à l’euphorie », d’avoir profité de la faiblesse de la Russie après la chute du communisme. Les Occidentaux, a-t-il poursuivi, « ont revendiqué le monopole de la direction du monde, sa domination, en ignorant les appels à la prudence lancés par certaines personnes, dont beaucoup sont présentes ici. » Courageux ! Vraiment courageux ! Et il a notamment cité, parmi les « erreurs » de l’Occident, l’élargissement de l’Otan à des pays de l’Est européen, la politique menée dans l’ex-Yougoslavie, notamment au Kosovo, ainsi qu’en Irak, en Libye et en Syrie. Il a aussi évoqué le « bouclier antimissile » américain. Autant de faits dans lequel la complaisance ou la complicité européenne est patente ! Et en guise de conclusion il a lâché : « Qui souffre le plus de ce qui se passe? Je pense que la réponse est très claire: c’est l’Europe… » A 83 ans Gorbatchev n’a rien à perdre ni rien à gagner mais il a vidé intelligemment son sac.

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