Il va bien falloir voir la réalité en face

Il est parfois très difficile pour un (e) enseignant(e) de décrire le climat exact de sa classe. On laisse à la porte de ses récits la réalité du comportement des élèves sauf s’il devient particulièrement provocateur ou dangereux. Les enseignants, comme tous les autres, ont été profondément affectés par les crimes terroristes… mais beaucoup auraient préféré les laisser dans le couloir plutôt que de les inviter au débat avec ou face aux enfants ou aux jeunes. D’abord parce que le système éducatif donne ne moins en moins la parole libre aux enfants, aux collégiens, aux lycéens et donc quand, brutalement, sur instruction venue du sommet on doit les mettre en position d’argumenter, d’échanger, de se débarrasser de ses peurs ou de son prêt à porter idéologique on a  de fortes chances de se casser la gueule.

L’école française est celle du « silence » de la « passivité » du « bien penser » mais surtout pas celle de la construction de la capacité à débattre. Seule une profonde réforme pédagogique permettrait vraiment dans ses circonstances dramatiques comme celles d’une guerre terroriste de renouer avec l’apprentissage de la citoyenneté. Au risque de m’attirer les foudres corporatives je maintiens que la vraie réforme n’est pas celle des moyens mais celle de la manière dont ils sont utilisés pour former des têtes bien faites et pas nécessairement des têtes bien pleines par scissiparité ou mimétisme. La minute de silence a paru bien longue dans des centaines de classes ! L’émotion sera beaucoup moins enthousiasmante que le voudraient les éternels débatteurs professionnels des chaînes des télés perroquets. Pour preuve voici le témoignage d’un professeur de collège situé dans un réseau d’éducation prioritaire de l’Isère, peu réputé pour être un département excessivement difficile. Une illustration de la situation réelle de certains établissements qu’ils faudra prendre en compte quand on reviendra sur les racines du mal profond ancré désormais dans les esprits des plus jeunes. C’est au moins aussi angoissant que la menace des violences terroristes

« En début d’après-midi, j’ai accueilli une classe de 4e. Ils sortaient d’un cours de français pendant lequel ils avaient entamé un vif débat sur le sujet. Ils étaient bruyants, agités, je leur ai proposé qu’on poursuive le débat pendant mon cours. Certains jugeaient cet acte effroyable, traitaient les terroristes de « barbares ». Mais un élève a commencé à exprimer son désaccord. J’ai ensuite remarqué qu’une autre assise au fond de la classe attendait sagement main levée qu’on lui donne la parole. « Madame, me dit-elle, on ne va pas se laisser insulter par un dessin du prophète, c’est normal qu’on se venge. C’est plus qu’une moquerie, c’est une insulte ! » Contrairement au précédent, cette petite pesait ses mots, elle n’était pas du tout dans la provoc. À côté d’elle, l’une de ses amies, de confession musulmane également, soutenait ses propos. J’étais choquée, j’ai tenté de rebondir sur le principe de liberté et de liberté d’expression. Puis c’est un petit groupe de quatre élèves musulmans qui s’est agité : « Pourquoi ils continuent, madame, alors qu’on les avait déjà menacés ? » Plusieurs élèves ont tenté de calmer le jeu en leur disant que Charlie Hebdo faisait de même avec les autres religions. Leur professeur de français avait eu l’intelligence de leur montrer les unes de Charlie pour leur montrer que l’islam n’était pas la seule religion à être moquée. Mais ils réagissent avec ce qu’ils ont entendu à la maison. Ce qui me désole, c’est la fracture que cet événement tragique a créée dans des classes d’habitude soudées. Tout cela a divisé les élèves. Il régnait aujourd’hui une ambiance glauque, particulière. Cette classe de quatrième sympa, dynamique, était soudain séparée en deux clans. Les communautarismes ont resurgi d’un coup. Et ça me fait peur pour la suite… » Et donc moi !

L’intégrisme est déjà dans les modes de pensée des enfants. La violence fermente dans les cours de récréation ou dans l’échec scolaire. La religion ne reste pas hors des lycées professionnels. La passivité vis à vis des comportements des un(e)s vis à vis des autres facilite cette montée irrésistible des communautarismes. La disparition souhaitée des secteurs scolaires souvent prônée par les tenants de l’élitisme savant. Le poids croissant de la pauvreté matérielle, culturelle, morale. Les collèges doivent revoir de fond en comble, de manière quasi révolutionnaire, les méthodes pédagogiques et ne pas se réfugier dans les programmes comme d’autres s’attachent à la bible, au coran ou à la thora.

C’est d’une urgence absolue que de se focaliser sur l’objectif « d’apprendre à apprendre ». apprendre certes les connaissances essentielles mais apprendre d’urgence à devenir un citoyen ; apprendre à décoder ces médias ravageurs ; apprendre la vie collective ; apprendre l’autonomie, la responsabilité, le travail collectif ; apprendre à s’exprimer plus qu’à recopier ou reproduire ; apprendre à réussir… les ministres de l’éducation et de la culture sont encore plus concernées par les derniers événements que celui de la justice et de l’intérieur. Or elles se planquent quand il faudrait des paroles fortes et sans concession ! Les pousses terroristes de demain sont chez celles et ceux qui ont traité Taubira de guenon, chez celles et ceux qui nient les crimes en Palestine, chez celles et ceux qui refusent la minute de silence pour défendre la liberté d’expression martyrisée… ne pas l’admettre c’est se suicider socialement !

Cet article a 7 commentaires

  1. Gilbert SOULET

    Bonjour à tous,

    Qui ne sera interpelé avec tes propos rapportés!
    J’étais hier à Marseille dans le 13014, invité dans l’association St Gabriel Bon Secours (80% des participants étaient d’origine du Maghreb) et j’ai fait remarquer qu’il nous fallait insister sur la loi sur la Laïcité et l’expliquer simplement : L’Etat est neutre et chacun est libre de pratiquer la religion qu’il souhaite; L’Etat doit garantir la liberté de Culte et la liberté de conscience …
    Amicalement,
    Gilbert de Pertuis, Porte du Luberon

  2. J.J.

    Cela me fait regretter l’heureux temps de l’après guerre (!).
    Au moment du « procès d’Oradour sur Glane », nous étions scandalisés par le verdict de clémence. Nous qui avions, sans être témoins directs, vécu de prêt le drame, « ça ne passait pas ». Nous en avions débattu sereinement avec notre professeur principal qui avait su, par ses arguments d’adulte réfléchi et son expérience personnelle durant le conflit, nous convaincre du bien fondé de ce verdict.

    Les temps ont changé, hélas.

  3. Garnier

    Oui Jean-Marie tu as raison et il existe des méthodes pédagogiques efficaces qui ne sont pas reconnus par nos élites y compris « socialistes » ! La méthode Montessori par exemple (http://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9dagogie_Montessori)
    Mais le système politique mis en place par le système bancaire et accompagné par tous les pouvoirs en place depuis 40 ans, encourage l’anesthésie générale des consciences. Lire « le Monstre doux » de Raffaelle Simone par exemple et tant d’autres qui dénoncent cet abêtissement général. Mais tu sais, je suis moi aussi dépité par nos élus qui accompagnent et votent toutes les régressions de la pensée et qui sont enlisés dans un raisonnement économique étriqué, limité au seul taux de croissance, au PIB et qui oublient complètement l’homme, la société, pour exacerber les plus grandes inégalités. Je suis dépité de voir aujourd’hui que le Président élu oublie ce pour quoi il a été élu. Oui comme toi, je pense que c’est un suicide social sans précédent qui doit être dénoncé et non accompagné. Puissent, tous les élus socialistes partager cette volonté !

  4. Facon

    Bonjour,

    j’étais à la manifestation d’hier soir dans ma ville, manifestation en mémoire des victimes très réussie … C’est, je pense, la seule à la quelle je participerai.

    je n’irai pas manifester demain avec ( derrière ) les chefs d’états Européens qui cautionnent l’action de l’OTAN. OTAN qui met le feu au Moyen-Orient depuis 25 ans et qui a engendré des milliers de terroristes. Nous Français avons nous manifesté après l’attentat à Peshawar le 16 décembre dernier qui a fait 142 victimes dont 132 ÉCOLIERS ? hélas NON.

    “Les gens exigent la liberté d’expression pour compenser la liberté de pensée qu’ils préfèrent éviter.” [Sören Kierkegaard]

    Bien amicalement,

    JF

  5. le chat François

    Mr Darmian votre billet , le témoignage de l’enseignante et les commentaires qui suivent sont pertinents . Tout est dit en germe des dérives de ce monde , qu’elles soient économiques, politiques ou idéologiques . Le constat de division évoqué par l’enseignante est symbolique d’une menace pour notre pays et au delà pour l’Europe . La division est le but recherché par des idéologues qui veulent imposer leur modèle de société en semant le chaos et le désordre à des fins d’hégémonie . Et je ne parle pas là des extrémistes de l’islam . Pour dangereux qu’ils soient , ceux la ne sont que l’instrument de maitres du monde , qui imposent leur volonté à nos propres politiques sous prétexte de démocratie et de liberté . Nous vivons une période dangereuse . La cohésion sociale va requérir une prise de conscience collective , politique et éducative . L’école va devoir s’adapter aux réalités d’une mixité induite par la mondialisation . La leçon de morale doit évoluer et atteindre sa finalité : préparer les enfants au vivre ensemble dans un exigence de laïcité affirmée . Le religieux est une bombe quand ses préceptes débordent le cadre . Apprendre à lire écrire et compter ne suffit plus . Il faut donner aux jeunes une lecture claire de ce qu’est une société et pour cela séparer ce qui relève du collectif et du privé . Expliquer que la laïcité est un moyen formidable pour garantir les libertés , y compris celle du culte . Et présenter les limites entre laïcité et religion comme une nécessité pour que les deux puissent exister dans la paix . Ainsi la laïcité interdit que des gens viennent dessiner le prophète dans une mosquée . Elle permet qu’ils soient poursuivis et punis . parce que le lieu de culte est privé et sacré . Mais en échange , la laïcité permet l’expression et donc le dessein dans l’espace commun à tous . Ceci dit , n’étant pas psychologue de l’enfance , je ne sais pas si cette approche serait adaptée ou pire , négative . Seuls des spécialistes de l’enfance sont habilités à élaborer une méthode pour que le dialogue soit constructif . Il y a du « pain sur la planche » mais il y va de la cohésion sociale et de la paix. Normalement ce sont les politiques qui sont chargés de préparer l’avenir , et pas que le leur …

  6. témoignage

    Bonsoir à tous
    J’enseigne dans un collège du Limousin, dans une petite ville tranquille ou il fait bon vivre. Jeudi, les élèves n’avaient pas spécialement envie de débattre, mais ils voulaient surtout connaitre ma position en tant que professeur d’histoire, ce dont je ne me suis pas privé. Je leur est expliqué que l’émotion est légitime, mais qu’elle empêche souvent de réfléchir car elle attise les réactions primaires souvent inappropriées.

    Il faut donc essayer de la dépasser pour donner du sens à l’horreur.
    J’ai commencé par leur faire découvrir ces gens qui ont été visés en insistant sur Cabu. Ils ont compris au travers de caricatures que cet homme utilisait son art pour provoquer certes, mais faire réfléchir sur les absurdités de notre monde. Les élèves en ont convenu avec moi, son travail était caricatural, mais souvent drôle, non malveillant, ni insultant, qu’il fallait le prendre au deuxième degré.
    J’ai ensuite continué en développant trois points:
    le premier: Une opinion ne mérite pas la mort. On juge les gens sur des actes, pas sur des idées.
    le deuxième: En aucun cas, on ne doit agir comme eux, crier vengeance, afin de bien se démarquer de ce genre de fanatiques manipulés.
    troisième point: La république, c’est vivre ensemble. Nous devons refuser toute forme d’amalgames.
    Enfin j’avais préparé à leur intention une page sur le blog du collège pour nourrir leur réflexion. je suis sur que lundi, il auront des chose à me dire.
    Salutations.

    1. Jean-Marie Darmian

      merci pour ce témoignage qui me touche !

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