Le feuilleton des 700 ans créonnais (épisode 1)

Le 15 mai 1315 si l’on en croît certains ou le 13 juin 1315 pour d’autres a été signé l’acte de naissance de la ville nouvelle de Créon par le Sénéchal Amaury de Craon (prononcez à l’anglaise Créon). Celle qui est devenue dans l’histoire « une ville bastide » fêtera ses 700 ans d’existence avec un spectacle gratuit… Voici en plusieurs épisodes l’aventure de cette cité citoyenne bien avant les autres. Vous pourrez les retrouver mis en images sur le parvis de la mairie le samedi 16 mai à 21 h 30 !

« LE REPAS DE LA NAISSANCE  »

Depuis plusieurs mois il pleut sans discontinuer sur les terres de l’abbaye de La Sauve. Depuis le début de l’année les récoltes sont noyées et les chevriers qui occupent le vaste plateau situé entre les paroisses de Calamiac, Piveteau et Madirac ont souvent rassemblé leurs troupeaux sous le « casse crabey ». Une petit hameau de masures s’est d’ailleurs créé à proximité de cet arbre séculaire. Les gamins y laissent trotter les chèvres la journée avant de les parquer la nuit dans des enclos appartenant à chaque famille.
La terre argileuse boueuse à la mauvaise saison et pulvérulente en été ne permettant pas des récoltes rentables les moines tout-puissants ont délaissé cette vaste clairière au milieu de la Silvia Major. Un chêne impressionnant est situé près de la source coulant dans le creux du vallon a permis de constituer une belle mare permettant aux bêtes et aux hommes de boire. Tout le mode y survit car la famine menace tellement le ciel a été peu clément. En cet an 1314 les prières sont sans effets. Seuls les porcs sont ravis car ils se gavent à la saison des glands disputés aux enfants car il faut aussi que ces derniers se nourrissent en période de disette.
On se réfugie sous le « casse crabey » dans un joyeuse pagaille afin de se protéger tant bien que mal sous ses frondaisons touffues des fureurs célestes. On le voit de très loin sur ce vaste espace vide de prairies rases parsemées de bosquets que la voracité des chèvres n’épargne guère. Il a un petit frère beaucoup moins impressionnant planté, comme le veut la tradition, au carrefour des voies boueuses conduisant du gué de Fronsac à celui de Rions et celle menant de Bordeaux vers la grande cité de la Sauve.
Depuis son plus jeune âge Jean vit sur ce territoire réduit où il surveille son maigre troupeau dont une bonne partie appartient aux moines de l’abbaye.
Depuis le point le plus haut du secteur à La Sansine où le vent froid glace les os en hiver la seule vraie distraction réside dans le passage des pèlerins fourbus cheminant vers la ville sauve où ils trouveront un peu le réconfort spartiate auquel ils aspirent. D’ailleurs beaucoup au passage réclament en guise d’aumône quelques lampées de ce lait des chèvres tellement réconfortant mais qu’il faut impérativement rapporter à l’abbaye chaque matin.
Le petit Jean ne comprend pas toujours le langage de ces marcheurs hirsutes et affamés. On lui a expliqué que parmi eux se trouvent de puissants seigneurs ou de gens fortunés, dans une modeste tenue ayant pour but de rejoindre Saint Jacques de Compostelle. Et parfois le porteur de la coquille identitaire, appuyé sur son bourdon, s’arrête pour échanger quelques mots avec cette bande d’enfants loqueteux espérant une aumône en échange d’une écuelle de lait. C’est rare, très rare car la seule hâte des chemineaux reste de rejoindre le cadre hospitalier mais payant pour ceux qui en ont les moyens, de La Sauve Majeure.
Ces temps ci le brouet est parfois très clair car la grange dîmière a du mal à se remplir et il faut avoir une bourse coquette pour prendre un repas chaud dans l’une des nombreuses auberges installées au pied de l’abbaye. Ils n’auront même pas ce soir la paille sèche attendue pour s’étendre tellement le sol remouille. Mais au moins ils seront à l’abri. Ils ont été contraints d’utiliser un passeur pour traverser la Dordogne dont le niveau a nettement monté et il leur faudra attendre pour repartir que le soleil reprenne sa place pour espérer poursuivre vers Bazas.
Les journées se ressemblent toutes. Jean conduit ses chèvres vers les prés communs propriété exclusive des moines. Chaque famille a ses repères et Antoine son père a pris soin de bien lui montrer la manière dont il faut orienter chaque jour vers un lieu différent la douzaine d’animaux dont il a la charge. L’herbe ne manque pas en cette année 1314 dont Jean ignore tout.
Son monde se limite à cette prairie et aux bois qui l’entourent. Avec les copains il partage son temps à la recherche des fruits sauvages, le piégeage de quelques oiseaux avec de la glu ou ils grattent un lopin de terre sur lequel son père tente de faire pousser des choux, des carottes, des panais et d’autres malheureux légumes. L’arrivée de cavaliers, de charrettes sur le chemin de Piveteau traversant l’immense forêt entre Dordogne et Garonne constitue un événement exceptionnel.
Venez, venez vite… » lance Jean à ses compagnons de jeu. Il siffle entre ses deux doigts pour donner l’alerte . Un convoi d’une telle ampleur est extrêmement rare. La vie sur la plateau où trottent les chèvres s’arrêtent. Les animaux sont laissés à leurs paisibles occupations. Un cavalier en armes approche en éclaireur.
– Les moines sont où ? » demande-t-il ?
– Là-bas! » montre du doigt Jean le plus âgé des chevriers en désignant le chemin vers l’abbaye où l’on conserve les reliques de celui qui est devenu Saint Gérard. L’éclaireur tourne bride et file en précédant semble-t-il la troupe qui arrive au carrefour et s’arrête.
…/… (à suivre)

Cet article a 2 commentaires

  1. J.J.

    Dis moi, aimable compaignon ce qu’estoit le « casse crabey », car faulte peut-être d’avoir chausé convenablement mes bésicles pour lire, je n’avois point trouvé d’explication, à moins que ce ne soit le chêne jà séculaire dont il est fait mention.

    J’ai lu ce texte en m’accompagnant par la pensée du son de la veuse, du rebec et de la sacqueboute.

  2. Amaury III de Craon, seigneur de Craon, de la Bastide de Créon et de Mareuil, seigneur de Sablé et de Jarnac (ca 1280 – 1333), sénéchal d’Aquitaine ainsi que sénéchal d’Anjou, j’ai passé une partie de mon enfance à Craon, en Mayenne….à 57 km d’Anger…..

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