La justice sociale remise sur les rails

Les débats sur l’immigration sont éternels et ont à toutes les époques, agité les sociétés. Rien n’arrêtera ce principe voulant que des populations persécutées ou affamées aillent chercher fortune ailleurs. Inexorablement les arguments pour les refouler, les détester, les pourchasser reviennent au fil des siècles de manière identique. Seule l’Histoire apprend à mesurer le caractère totalement absurde des arguments populistes déployés par les exploiteurs des peurs ancestrales de l’autre. En effet on trouve souvent à la base de ces mouvements de population une exploitation de l’homme par l’homme plus ou moins déguisée. L’économie est la première responsable de la venu sur certains sites de ces travailleurs bon marché, ne pouvant Pas protester et sur lesquels les « administrations » ferment les yeux au nom de la rentabilité nécessaire de filières ou de services.
Mon propre grand-père il y a 90 ans avait traversé les Alpes à pied de sa Vénétie natale pour aller récupérer quelques francs dans le nord de la France où l’on manquait de main d’œuvre après l’affreuse « boucherie » de la grande guerre, pour ramasser les betteraves sucrières. Au retour son frère aîné lui proposa d’embaucher dans les hauts fourneaux de Talange avec des centaines d’autres Italiens regroupés dans des conditions d’extrême précarité dans un quartier spécifique proche de l’usine. Les maîtres des forges avaient besoin d’ouvriers solides et se souciaient peu de leurs origines. Il en fut de même dans les mines, dans l’industrie automatique, le bâtiment, les travaux publics ou dans tous les secteurs de l’agriculture durant des décennies. On accusa des générations entières de travailleurs sous contrat de venir « manger le pain des Français » sans pour autant se pencher sur les conditions dans lesquelles ils étaient supposés le faire ! Les grandes entreprises n’étaient d’ailleurs jamais les plus avares de contrats de travail permettant la venu de ces « renforts » utiles à la croissance.
La SNCF (Société Nationale des Chemins de Fer) accusée de « discrimination dans l’exécution du contrat de travail » et « dans les droits à la retraite » à l’encontre de 832 cheminots d’origine marocaine, a ainsi été condamnée à verser environ 200.000 euros à chaque plaignant. Après une bataille juridique de plusieurs années, le Conseil des prud’hommes de Paris a finalement condamné la SNCF en faveur de 90% des plaignants qui accusaient la société de transport ferroviaire française d’avoir bloqué leur carrière en raison de leur origine marocaine. Les cheminots marocains affirmaient qu’ils travaillaient dans des conditions difficiles au même titre que leurs homologues français et européens, mais à leur retraite ils n’ont bénéficié que de pensions très maigres contrairement à leurs collègues. La SNCF réfute les accusations de « discrimination à l’égard des cheminots marocains », recrutés pour la plupart directement au Maroc par ses soins dans les années 70.
Ces hommes avaient été embauchés au Maroc avec un contrat de droit privé, synonyme de retraites moindres et de carrières bloquées. Le symbole est fort car il ne s’agit pas d’un simple employeur mais de l’une des plus grandes entreprises du service public français. Recruté comme contractuel en 1972, l’un des « contractuels permanents » a fondu en larmes : « C’est une énorme satisfaction, la dignité pour les Marocains » et « la fin d’un combat de 15 ans », a-t-il déclaré. Un autre encore en activité à 65 ans, a confié « se sentir aujourd’hui cheminot à 100% ». « C’est une grande chose : ils reconnaissent la différence que la SNCF a faite entre nous et les Français ». A 66 ans, l’un d’entre eux entré comme contractuel en 1974, parti à la retraite en 2010 « cassé des pieds à la tête » se dit « très heureux » même si « cela ne répare pas ma santé, d’autres sont morts ». Il a simplement ajouté : ma carrière c’était « toujours dehors, sur les voies » à assembler les wagons. « On formait les jeunes mais on restait auxiliaires, ils nous disaient : Vous n’avez droit à rien+, ça cassait le moral », confie-t-il.
Et il y aurait des milliers d’exemples de ce type d’agissements que l’on fait semblant d’ignorer dans un pays où on veut « assouplir » ( traduisez supprimer!) toutes les contraintes réglementaires en matière de contrats de travail. Bien évidemment la SNCF va faire appel puisque la dépense avoisine les 150 millions d’euros !
On continue sur des grands exploitations agricoles, dans des entreprises de main d’œuvre à recruter avec des méthodes identiques. Un afflux de réfugiés facilitera ces recrutements avec des conditions financières déconnectées de la réglementation. Et rien n’arrêtera la montée de la xénophobie de principe dénuée de toute véritable analyse. N’empêche que les cheminots marocains ont secoué le prêt à porter idéologique ambiant mais on n’en parlera guère !

Cet article a 4 commentaires

  1. Gilbert SOULET

    Bonjour et entièrement d’accord avec ton billet Jean-Marie;
    Je crois même que pour les Anciens combattants, il en est de même à cause de leur origine …
    Très cordialement à tous les lecteurs,
    Gilbert SOULET
    Cadre Honoraire SNCF
    84120 PERTUIS

  2. J.J.

    Ce qui m’a frappé dans la conclusion (hélas provisoire) de cette affaire, c’est la grande dignité de ces hommes.

    J’ai été très ému de les entendre, eux les « étrangers », les réprouvés les cibles de la xénophobie ordinaire, crier « Vive la France ! », « Vive la République ! » à leur sortie du tribunal.

    Cela nous change des macroneries dont on nous rebat les oreilles ces derniers jours.

  3. Rogier

    Oui , c’est une belle victoire mais il y a beaucoup à faire car notre protection sociale est certes trés riche mais trés inégale. Par exemple ( un parmi d’autres ), la SNCF ,la Poste ,les collectivités régionales,départementales etc…ont crées des emplois précaires +++ avec des emplois contractuels , en confiant des missions à des associations avec des objectifs ambitieux ..sans moyens..et dont le financement dépend des résultats … !! C’est moche

    1. François

      Ne pas omettre l’Education Nationale et…ses vacataires , profs de collège: pas chers et précaires! ! !

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