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Zidane l'albatros, descend dans l'arène

Voici Zinédine Zidane entraineur du Real de Madrid ! Incroyable promotion. Voici la chronique écrite sur mon blog en… 2006 pour son départ du terain. Je sais l’histoire est un longue mais…à vous de juger. Revenons un soir au parc Lescure de Bordeaux il y a 21 ans ! Une vie bascule

« Un événement donne lieu à une forte rivalité entre les supports médiatiques car il est d’importance. Elle dépasse toutes les autres facettes exceptionnelles de l’actualité nationale ou internationale. L’Espagne, et par ricochet la France, est plongée dans la plus grande perplexité. Le problème c’est que l’info exclusive diffusée par la radio espagnole  » Cadena Ser  » attendra mercredi pour être confirmée ou infirmée. En effet, c’est ce jour là que, lors d’une conférence de presse à laquelle des dizaines de micros et de caméras tenteront de sa faufiler, Zinedine Zidane scellera  le sort de sa carrière. La rumeur file plus vite que Ronaldo dans tout Madrid : notre Zizou désormais éclipsé par l’extraordinaire talent du portugais bouclerait son parcours professionnel  après la Coupe du Monde en Allemagne laissant le Real orphelin de son meneur de jeu. Il n’irait pas au bout de son contrat !
Comme toujours en pareille circonstance, une autre réalité, plus banale, moins fracassante, pourrait être en fait annoncée par le clan Zidane à cette occasion : l’évocation du film de Douglas Gordon, dont Zinédine est le héros et qui porte un titre déjà attirant : « Zidane, un portrait du XXI° siècle ». Cette œuvre de 90 minutes, réalisée le 23 avril 2005 lors du match Real-Villareal avec pas moins de 17 caméras, filmant Zinedine sous de multiples angles, devrait sortir le 24 mai, hors compétition, dans le 59 ° festival de Cannes. Une ville dans laquelle il ne pouvait pas se douter un instant qu’il deviendrait, un jour,  la vedette d’une manifestation très éloignée de ses préoccupations. Ce projet dingue, monté par deux artistes contemporains connus, l’Ecossais Douglas Gordon et le Français Philippe Parreno a surtout consisté à convaincre Zidane de jouer… Zidane. Et quel rôle : il a marqué, a pris un carton rouge, joué le jeu mieux qu’espéré? On attend le résultat !
Probablement que la vérité se situera, mercredi prochain, sur les deux tableaux : retraite et promotion.
Une attitude qui correspondrait véritablement aux habitudes de l’entourage de celui qui laisse à son frère le soin de gérer toute sa carrière extra sportive. Lui, le gamin de  » La Castellane  » à Marseille, n’a jamais été un homme d’affaires avisé et sa fortune lui est totalement méconnue. Il a jusqu’à présent surtout vécu de passion pour ce ballon qu’il est l’un des rares au monde à pouvoir dominer avec une désarmante facilité.
En 1992, Zidane est recruté par Rolland Courbis (on peut penser ce que l’on veut de Courbis mais il a le foot dans le sang) pour le compte des Girondins de Bordeaux. C’est durant cette période que j’ai pu le côtoyer, sans pouvoir honnêtement écrire, aujourd’hui,  que j’ai beaucoup échangé ou partagé avec lui. D’abord parce qu’il était d’une avarice de mots et d’une retenue maladives avec la presse. Ensuite, il était fort difficile d’entrer dans le triangle bordelais  » Duga-Liza-Zizou « , compact et d’une solidarité à toute épreuve. Il en était médiatiquement le maillon faible, et donc les deux autres le protégeaient avec vigilance. Enfin, le privilège de l’interroger revenait aux professionnels les plus chevronnés du service des Sports de Sud Ouest. Pourtant, j’ai une histoire le concernant qui m’a marqué à un double titre.
J’avais toujours rêvé, en tant que journaliste, de suivre et d’écrire sur un match de l’équipe de France de football qui n’était pas encore devenue celle des  » Bleus ». Or, le hasard fait que le 17 août 1994 se déroule, à Bordeaux, la rencontre France-Tchéquie. Avec un immense plaisir, je suis  » sélectionné  » pour participer au groupe qui suivra cette rencontre, et je suis chargé du papier sur les jeux et les joueurs. Personne n’est sûrement plus heureux que moi? de travailler ce soir-là.
J’ai déjà eu le privilège d’entrer à La Réserve de Pessac, où logeaient les internationaux. Pour moi, ancien joueur passionné, questionner Aimé Jacquet que je retrouvais après sa période faste aux Girondins,  plaisanter avec des vedettes en devenir, écrire sur leurs états d’âme était un vrai plaisir. J’étais aux anges, car cela représentait pour moi le nec plus ultra du journalisme.
Le soir,  sur mon bloc-notes, je me lance consciencieusement dans mon papier, afin de remplir mon contrat dans les délais. Pas grand chose à se mettre sous la plume, car la déroute menace quand les Tchèques inscrivent à la 45° minute leur? second but. La France hoquète et ne parvient pas à donner un espoir de redressement. Mon papier en sera plus vite bouclé. D’ailleurs, pour ne pas retarder la sortie des premières éditions, je le téléphone aux sténos dans un vacarme critique de plus en plus exigeant. Le boulot est terminé. Zinédine Zidane est entré sur la pelouse (63° minute) pour obtenir sa première sélection, qui l’empêchera d’aller un jour vers la sélection algérienne. Jacquet assure l’avenir sans le savoir véritablement, car, il faut le dire, il ne pressent pas le rôle qu’aura Zidane.
Rien de bien sensationnel jusqu’à ce que le novice place une frappe terrible des 25 mètres dans les cages situées devant un virage sud qui exulte. Il a remplacé Corentin Martins et permet au moins de justifier la confiance de Jacquet? Je ne vais tout de même pas rappeler le journal pour changer mon article ? Sauf que le bougre expédie deux minutes plus tard une reprise victorieuse de la tête dans les mêmes filets. Deux buts en deux minutes ! Un  exploit qui soulève ce qui n’était encore que le Parc Lescure et va, deux ans plus tard, installer définitivement Zidane au poste de meneur de jeu des Bleus.
Je reprends vite mon stylo bille et le téléphone,  pour ajouter quelques lignes sur la prouesse d’un joueur, encore plus inquiet qu’à l’habitude, lors des retrouvailles dans le paddock avec le presse, avide de tout savoir sur ce qu’il est incapable de dire? Zidane est simplement heureux. Il ne sortira rien d’autre,  car chez lui, à cette époque-là,  il n’y a aucun calcul, aucune roublardise, aucune exploitation. Il ne saura rien expliquer de ce qu’il avait accompli spontanément, naturellement, honnêtement, sans se poser de questions métaphysiques ou tactiques. En ce qui le concerne, ce soir là, il est plus terrorisé par les retombées de son doublé que satisfait.
Je le revois avec son regard de cocker triste, éclairé par un zeste de sourire gêné, dans l’eau froide de sa timidité profonde. J’ai découvert alors, progressivement, que son royaume se limitait à un rectangle plus ou moins vert, et que dès qu’il en franchissait les frontières géométriques blanches, il devenait maladroit, introverti, et peureux. Il balbutiait. Il voulait fuir !
Chaque fois qu’ensuite j’ai croisé sa route, sous le maillot des Girondins, j’ai toujours eu en mémoire cette soirée qui lui avait apporté la notoriété et qui, à moi, m’avait permis de partager un moment exceptionnel. Rencontre fortuite de deux passions qui ne grandiront pas, bien évidemment, de la même manière. Jamais je ne l’ai entendu se plaindre. Jamais je ne l’ai vu défendre quelqu’un d’autre que son copain Duga, qui lui doit toute sa carrière internationale. Je ne l’ai jamais senti soucieux de devenir le symbole de l’intégration.
Evidemment, je ne sais pas encore ce qu’annoncera Zidane . Je suis seulement certain que s’il arrête, celui qui  aura le mieux parlé de lui n’est autre que… Charles Baudelaire, dont la passion pour le sport n’existait pas. Oui. Charles Baudelaire, car il a génialement transcrit cette opposition extraordinaire entre le poète merveilleux qui nous régale de ses arabesques imprévues et l’homme sans inspiration qui se retrouve tellement gauche sur le sol des mesquineries humaines.
Zidane, toi qui ne fus jamais mon ami, mon complice, si je prononçais le discours de ton départ en retraite je me contenterais donc de te lire ceci :
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid!
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait!
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Toute sa carrière s’y retrouve. L’enchantement d’un instant permet toujours de supporter les désillusions qui suivent. Je crains beaucoup pour lui quand il quittera le lieu vert de sa seule passion. Seuls celles et ceux qui ont l’âme d’un poète des stades peuvent le comprendre. Et, par les temps qui courent ils sont rares, très rares. Trop rares! »
Texte écrit sur Roue Libre en 2006

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