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Changement Général Tactique face à la réalité sociale

Il y a beaucoup de comparaisons sur les réseaux sociaux entre le mouvement social actuel et celui d’il y a 80 ans qui a valu au monde ouvrier des conquêtes essentielles dont nous bénéficions encore. Travailler 8 heures maximum par jour, pouvoir obtenir des congés payés ou ouvrir le droit syndical appartiennent aux plus grandes victoires obtenues après une grève nationale illimité. Il n’en sera absolument pas de même cette fois puisque la révolte est dirigée contre un texte mais plus du tout en faveur de conquêtes pour tous. C’est un renversement total du rapport des forces. La CGT n’est plus dans la revendication positive mais dans la résistance négative. Il faut bien avouer que le rapport des forces en présence a bien évolué.
Lorsque les grèves partaient du monde économique industriel des « grands patrons » elles avaient un caractère symbolique porté par la lutte des classes. Cette notion ayant disparu car soit-disant dépassée idéologiquement pour bien des femmes et des hommes se réclamant de la gauche pragmatique on assiste désormais à une forme nouvelle de grève par procuration. Il n’y a plus d’usines occupées ou fermées puisqu’il n’y a plus d’usines…ce qui fait que la « classe ouvrière » a disparu. Le poids de la grève générale sur le mondé économique ne peut plus être exercé directement. Il s’agit désormais d’utiliser la seule force qui subsiste, celle qui consiste à tenter de bloquer le monde du capital en l’attaquant indirectement par l’énergie et la mobilité… Plus d’alternative puisque les fonctionnaires sont en voie de diminution constante et ont perdu une bonne part de leur capacité d’action. Un arrêt de travail dans le système éducatif, dans les services de l’Etat, dans les hôpitaux ne modifie en rien la donne dans le pays.
La CGT lance donc ses forces de manière échelonnée dans une bataille contre un texte gouvernemental condamnable donnant le sentiment d’une stratégie digne de Klotwitz. Premier temps le syndicat agit sur les pourvoyeurs d’énergie (pétrole puis électricité) en sachant que la gêne pour les citoyens ne sera pas trop forte alors qu’elle peut considérablement altérer le secteur privé sans forcer ses employés à entrer dans le mouvement. C’est de bonne guerre.
On lance alors la seconde vague qui touche au cœur une société ayant besoin de mobilité permanente. L’avion, le train, les transports de proximité dans la région parisienne vont accentuer le blocage de la société. En fait celles et ceux qui « peuvent » encore entrer dans une grève vont solidairement œuvrer pour des millions de gens qui n’ont plus cette liberté. Les caissières des grandes surfaces, les employés dans les services à la personne, les gens en précarité d’emploi n’ont dans les faits plus aucune possibilité de s’indigner et de se révolter contre la loi travail. C’est le fait nouveau dans cet affrontement qui s’ouvre entre le gouvernement et un syndicat puissant dans certaines branches de l’activité économique mais totalement inexistant dans d’autres.
Même entre 2010, la mobilisation contre le régime des retraites Fillon et le contexte de précarité actuel il y a déjà d’énormes différences. La crise est passée par là… fragilisant encore plus les familles actives et donc rendant toute action sociale difficile. Quand dans un pays la pauvreté atteint le seuil actuel de la France il ne faut pas attendre la montée fulgurante d’une révolte contre un texte législatif lointain… Au renoncement politique s’ajoute une forme diffuse de renoncement au combat et une appréciation donc positive sur celles et ceux qui s’y engagent.
Les repères précieux d’antan portés par le socialisme sous ses diverses formes ont été balayés et il est symptomatique de constater que les gens engagés dans le conflit actuel appartiennent essentiellement aux catégories professionnelles les plus qualifiées : conducteurs de trains, employés de centrales nucléaires, aiguilleurs du ciel, techniciens des raffineries… C’est juste extrêmement inquiétant pour l’avenir de la démocratie sociale. En 1936, les mineurs de fond, les cheminots, les employées des Galeries Lafayette, les sidérurgistes… sont au rendez-vous. La grève a été basée sur cet affrontement presque basique entre les travailleurs et leurs patrons. De fait, le mouvement avait été constitué de milliers de grèves spécifiques simultanées. Chaque mobilisation plaçait le terrain de la lutte à un niveau très local, au sein de l’entreprise ou, tout au plus, avec les entreprises similaires de la région…En 2016 on est dans le mouvement inverse avec un débat national que doit s’approprier la base :le centralisme démocratique est de retour! La CGT joue gros dans cette période à moins d’un an des présidentielles sauf si elle a fait tactiquement le calcul d’une défaite de la Gauche et l’arrivée au pouvoir de la Droite dure ce qui lui donnerait le leadership sur les luttes futures… qui débuteront en juin 2017 ! Un pari qui risque bel et bien de laisser la démocratie en piteux état.

Cet article a 9 commentaires

  1. Sanz

    Faut-il le rappeler ? Je ne suis pas pour ce projet de loi travail.
    Cela étant dit, personnellement, je crois davantage à une revendication positive qu’à une résistance négative.

    Comment construire une mobilisation qui, en 1936, – je cite : plaçait le terrain de la lutte à un niveau très local, au sein de l’entreprise ou, tout au plus, avec les entreprises similaires de la région… ? Voilà ce qui retient grandement mon attention aujourd’hui : le retour d’une mobilisation la plus décentralisée possible.
    Les technologies de communication actuelles représentent un formidable moyen à notre disposition pour décentraliser la démocratie et lui donner ainsi plus de visibilité et donc de force… non ?

    Afin de concourir un tant soit peu à cette mobilisation qui reste, il me semble, à construire même si des mouvements comme La nuit debout y travaille – je crois – très sérieusement, permettez-moi de rappeler ici les références suivantes :

    1/
    Le livre : L’emploi est mort, vive le travail !
    Co-écrit par Bernard Stiegler (BS) et Ariel Kyrou (AK) aux éditions Mille et une nuits.
    Une présentation est consultable ici : http://www.fayard.fr/lemploi-est-mort-vive-le-travail-9782755507461
    En voici l’extrait :
    L’emploi est mort, vive le travail !
    L’automatisation, liée à l’économie des data, va déferler sur tous les secteurs de l’économie mondiale. Dans vingt ans, pas un n’aura été épargné. Les hommes politiques sont tétanisés par cette transformation imminente, qui va marquer le déclin de l’emploi – et donc du salariat. Faut-il s’en alarmer ? N’est-ce pas aussi une vraie bonne nouvelle ? Et si oui, à quelles conditions ?
    Dans un dialogue très politique et prospectif avec Ariel Kyrou, Bernard Stiegler s’emploie à penser le phénomène qui, nous entraînant dans un déséquilibre toujours plus grand, nous place au pied du mur. La question de la production de valeur et de sa redistribution hors salaire se pose à neuf : c’est toute notre économie qui est à reconstruire – et c’est l’occasion d’opérer une transition de la société consumériste (la nôtre, celle de la gabegie, de l’exploitation et du chômage) vers une société contributive fondée sur un revenu contributif dont le régime des intermittents du spectacle fournit la matrice.
    Cela suppose de repenser le travail de fond en comble pour le réinventer – comme production de différences redonnant son vrai sens à la richesse. Dans l’Anthropocène que domine l’entropie, et qui annonce la fin de la planète habitable, le travail réinventé doit annoncer et inaugurer l’ère du Néguanthropocène – où la néguentropie devient le critère de la valeur au service d’une toute autre économie.
     
    Bernard Stiegler est philosophe. Il vient de faire paraître La Société automatique, 1. L’avenir du travail (Fayard, 2015).
    Ariel Kyrou est essayiste, rédacteur en chef du site Culture Mobile. Son dernier livre, écrit avec Mounir Fatmi : Ceci n’est pas un blasphème (Dernière Marge/Actes Sud, 2015).

    Autre référence :
    Je souhaite également partager avec vous cet entretien avec Bernard Stiegler, consultable ici :
    http://www.culturemobile.net/visions/bernard-stiegler-emploi-est-mort-vive-travail

    2/
    L’émission Ce soir ou jamais sur le thème : « Est-ce que ça va mieux comme le dit François Hollande ? »
    consultable ici : http://www.france2.fr/emissions/ce-soir-ou-jamais/diffusions/20-05-2016_487775
    Au cours de cette émission, est abordé le projet de Plaine Commune dont je vous propose une présentation consultable ici :
    https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tablissement_public_territorial_Plaine_Commune

    3/
    L’article intitulé : La fin de l’État de droit selon B. Stiegler 
    par Emmanuel Jeuland, Professeur de droit à l’Ecole de droit de la Sorbonne, sur son blog de Médiapart,
    consultable ici : https://blogs.mediapart.fr/emmanuel-jeuland/blog/240516/la-fin-de-letat-de-droit-selon-b-stiegler
    En prolongement de sa lecture du dernier livre de Bernard Stiegler qui s’intitule : La disruption, comment ne pas devenir fou ?, ce professeur apporte à la fois ses critiques et son témoignage en sa qualité de juriste .

    J’espère que ces références vous permettront d’interroger ce qui distingue le travail de l’emploi et pourquoi ce questionnement est capital dans le contexte de la généralisation des automatismes qui vont déferler dans tous les secteurs de notre vie quotidienne et intéressent toutes les catégories socio-professionnelles, quelles que soient leur niveau de qualification.

    Je nous invite donc à ouvrir des revendications (elles restent en premier lieu à imaginer ; autrement dit comment « désautomatiser nos esprits ? » cf. livre BS & AK) qui doivent intègrer de nouveaux paramètres dans nos vies : quels sont-ils ? Comment les circonscrire ? Pour quelles finalités / valeurs / avenirs souhaité(e)s et souhaitables ? À partir de quels – nouveaux – cadres juridiques ? Etc.

    C’est dans cette perspective encourageante que je crois vraiment en l’expérience lancée à Plaines communes : elle porte en germes de multiples revendications positives. À suivre…

    Bien amicalement
    Noëlle

  2. Sanz

    Après nouvelle relecture du billet ci-dessus,
    je vous prie de lire : quel que soit leur niveau de qualification.
    Merci.
    NS

  3. Yvon BUGARET

    Jean-Marie, je suis d’accord avec ton dernier paragraphe. Je me demande si la CGT sera aussi combative quand la Droite dure reviendra au pouvoir en 2017, notamment avec ses projets destructeurs du progrès social acquis au cours de ces 30 dernières années ( suppression des 35 h, allongement de la durée du travail, retraite à 65 ans etc… Ancien militant de la CGT, je ne reconnais plus ce syndicat depuis sa radicalisation.

  4. bernadette

    Que les philosophes s’experiment, C’est la logique meme. Le peuple est actuellement une variable d’ajustement. Personne de la.
    Cgt, aucune organisation au
    parc relais tram. Non je
    rejette ce blocage qui
    emmerde tout le petit peuple
    et qui fait augmenter le carburant.

  5. J.J.

    Valls risque d’achever le trio tragique des ministres pseudo-socialistes :

    1907 : pendant la révolte des vignerons du midi la troupe ouvre le feu sur les manifestants.
    1908 : Clemenceau réprime dans le sang les grèves à Villeneuve St Georges
    1947 : le ministre Jules Moch fait tirer sur les mineurs grévistes.

    Belle tradition républicaine.

  6. bernadette

    Non ce n’est pas le centralisme democratie. Ce projet de loi travail je le rejette.
    Mesdames et Messieurs les politiques, regardez le peuple en face. La Grande region aquitaine……est en deficit d’emplois comme l’atteste les statistiques de la Dares et c’est grave

  7. Baillet Gilles

    Imaginez une loi qui détruise les acquis de 1936 … Une loi que l’on n’explique jamais pour ne pas voir ce qu’elle recouvre réellement. Cette loi c’est la loi travail !!! Je suis fier d’être militant à la CGT qui mène la lutte contre une machine à détruire le code du travail. L’inversion des normes, la fin du principe de faveur qui permet à un salarié dans un litige de bénéficier d’un article de loi le plus favorable (code du travail, convention collective ou d’entreprise), des accords d’entreprises régressifs qui réécrivent un code du travail par entreprise… Tout ça est dans la loi travail.
    Si vous voulez faire un débat sur cette loi, c’est avec plaisir que je viendrai vous porter la contradiction.
    Bien à vous…

    1. Jean-Marie Darmian

      Tu auras bien du mal à me contredire car je condamne cette loi…

  8. Baillet Gilles

    Autre aspect de votre billet qui me fait réagir: la fin de la lutte des classes. Au contraire, ce mouvement rassemblant des salariés extrêmement divers, est un regain de lutte des classes. Pourquoi des travailleurs qui ne sont pas touchés par cette loi, sont dans la rue pour demander sa suppression? Pour des raisons de tactique syndicale? Ou tout simplement parce qu’ils sentent que la loi travail va détruire un siècle de conquêtes sociales et par ricochet, fragilisera la vie de tout le monde (privé comme public). Nous sommes tous dans le même bateau !!! Et ça fait du mal d’entendre ou de lire des salariés qui parlent avec les arguments des patrons.

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