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HISTOIRES D’ÉTÉ : venez avec votre couteau et votre… sincérité

Que doit-on avoir dans sa poche en toutes circonstances afin de faire face aux aléas du quotidien estival ? Dans le monde rural la réponse est spontanée et naturelle : un bon couteau ! Il constitue un allié précieux dont tout honnête homme a besoin et dont il a plus grand mal à se séparer. Il a souvent fallu une longue quête avant que le couple se forme. On ne choisit pas celui qui sera votre vrai compagnon au sens premier de ce terme à la légère. Il faudra en effet partager avec lui tous les jours le pain du casse-croûte avant de s’attaquer à la préparation de fines tranches de saucisson ou de jambon.
Chaque geste sera effectué ostensiblement devant les autres convives afin qu’ils puissent apprécier la qualité de la coupe devant être franche, lisse et sans effort. Sur ces critères le reste de la tablée apprécie à sa juste valeur le couteau et son utilisateur. La découpe d’une entrecôte ou une tranche de gigot avec un couteau personnel appartient aux meilleurs moments d’un repas. La viande tranchée avec son couteau n’a pas la même saveur que celle qu’il faut déchirer à la force du poignet. Le sortir de sa poche, le poser à coté de son assiette et pouvoir affirmer que l’on a pas besoin de ceux extraits du service de la maîtresse de maison appartiennent aux moments jubilatoires d’un repas. Pour peu qu’il faille à un moment suppléer l’inefficacité des « outils » extraits d’une ménagère certes esthétique mais sans lames véritablement utiles et la fierté atteint des sommets insoupçonnés !
Personne ne pourra se substituer à ce duo qui entretient régulièrement son osmose par de soins attentifs et répétés. Lame en peine ne convient guère à la survie du compagnonnage et aussitôt elle est soigneusement affûtée afin de retrouver son caractère incisif. Lame épuisée et des soins méticuleux régénérateurs sont appliqués pour effacer les courbures de l’âge.
Tout repose sur le caractère bien trempé de l’acier pour redonner son audace et son efficacité à celle qui doit être parfaite. Elle est patiemment aiguisée par les connaisseurs sur une meule à pied dont la pierre dure n’usera pas en profondeur le métal. Il faut durant cette opération d’affûtage arroser le frottement afin que l’acier ne chauffe pas et ensuite terminer avec une autre pierre noire allongée dont les cantonniers se servaient pour rendre leur faux plus efficace. L’aiguiseur polit son couteau avec une tendresse, un soin particulier alliant la caresse et la contrainte. Le résultat parfait doit permettre de trancher une feuille de journal tenue verticalement. Et l’expression fil du rasoir prend alors tout son sens !
Dans le fond quelle que soit son origine chaque couteau devient une œuvre unique au fil du temps. Son manche en corne, en buis, en acier appartenait à une décision mûrement réfléchie selon l’usage prévu. La simplicité globale, le rivetage, le profil de la lame et la résistance à la fermeture sont en l’occurrence des signes de solidité surtout si la réalisation appartient à un artisan coutelier ne se contentant pas d’assembler des pièces venues d’ailleurs. Laguiole a construit sa réputation sur cette science de l’équilibre de l’ouvrage constaté en plaçant son doigt à la jointure de la lame et du manche. Souvent une réalisation originale de ce village s’offre en de grandes occasions à un connaisseur qui ne se départit pas pour autant de son compagnon de route « encore fidèle » dans l’effort. Sa perte se pleure comme celle d’un être cher !
Pour les garçons la possession d’un couteau représentait en son temps l’amorce de l’entrée dans le monde des adultes. C’était une époque où on osait confier un tel « danger » à des gamins fiers comme pas un de cette marque de reconnaissance. Le « suisse » arrivait ensuite dans les désirs des enfants des campagnes. Son nombre des lames, la diversité des outils souvent bien inutiles donnaient du prestige à celui qui pouvait les présenter à ses copains. D’ailleurs il pouvait y avoir une progression dans l’exemplaire acheté avec une tirelire ou avec une « pièce » donnée par des proches avenants lors d’une première communion « productive » ! Lourd et complexe le couteau helvète rouge trouait les poches des culottes courtes mais il constituait le plus beau des trésors. Pas question de s’en séparer de nuit comme de jour. Arrivait ensuite des envies de lames plus longues qui devaient interdites quand elles dépassaient la largeur de la paume de la main… Ces couteaux là ne portaient aucune violence ou aucune menace. Ils étaient simplement des signes d’autonomie, de responsabilité et surtout de liberté individuelle. Ils ne sortaient que pour des agapes heureuses, pour des actes ordinaires du quotidien ou pour se faire admirer ! « Montre moi ton couteau et je te dirai qui tu es et d’où tu viens ! »… Ce principe n’a plus grande valeur dans un monde où les fines lames sincères se raréfient !
Jean-Marie Darmian

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