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Les cabinets ne facilitent jamais l'aisance ministérielle

Deux visites ministérielles en quelques jours pour lesquelles j’ai eu le privilège d’être associé à l’organisation. Un véritable calvaire combinant règles de sécurité, de protocole, de timing, de contingences matérielles s’est abattu sur des déplacements réputés détendus, amicaux et surtout aussi proche que possible du terrain. Une utopie totale ! Plus que jamais il y a un fossé, voire un précipice entre la vision qu’ont les élites parisiennes de la vie politique et celle qu’espèrent les gens plongés dans la vraie vie. Les premiers ne cherchent qu’à placer celle ou celui qui les fait vivre, au centre d’une visite en bidonnant toutes les facettes d’une sortie alors que les seconds attendent simplicité, vérité, efficacité. a
On assiste à une extraordinaire course au détail faisant qu’en repartant le (la) visiteur (se) davantage considéré(e) comme une vedette du show-business qu’un élu national n’aura rien perçu de la réalité. Minutage des déplacements, précision de l’itinéraire, limitation des temps de paroles ou des questions, isolement complet des personnes susceptibles de témoigner d’un quelconque désaccord, déploiement de forces de l’ordre et plus encore une fâcheuse tendance au mépris par cette « cour » institutionnelle des locaux de l’étape constituent les paramètres constants de ces escapades hors des murs d’un Ministère. La situation empire au fur et à mesure que l’hôte monte dans la hiérarchie.
Les « organisateurs » de cabinets jouent un rôle essentiel dans cette méthode réputée républicaine d’exercer un pouvoir confié par le peuple d’abord (enfin presque pour certain-e-s) et par le Président de la République ensuite. Ils s’efforcent de se rendre utiles en inventant des règles que ne connaît même pas la personne auprès de laquelle ils travaillent. Exigeants, agressifs, inutilement pointilleux, ils n’ont absolument aucun lien avec le contexte et c’est toujours avec étonnement que leur patron(ne) découvre qu’ils sont aseptisé(e)s à l’insu de leur plein gré.
Le diktat de la communication est le plus redoutable. Ne pas se faire photographier n’importe où ! Se contenter de lire un discours écrit par un technocrate zélé ! Faire un point presse pour ne pas répondre aux questions gênantes (et parfois inutiles) des journalistes présents mais surtout pour délivrer un message calibré et préparé à l’avance !
Aller à la rencontre des autres mais selon un plan établi ! Tout est artificiel et surtout il ne faut absolument pas sortir des stratégies établies lors de réunions se voulant millimétrées. Ainsi on peut arriver à interdire un repas entre amis au restaurant au milieu des clients afin de le transformer en « déjeuner de travail » et éviter qu’un incident arrive. Trier les invité(e)s pour ne pas avoir des contestations désagréables pour l’image. On est loin, très loin, trop loin des pratiques que l’on rencontre dans les pays nordiques. C’est tout juste s’il ne faut pas un goûteur et afficher la composition des produits servis à une table dont le plan a été forcément visé par toutes les autorités compétentes en protocole. Toute entorse à ce code de l’étiquette hérité des monarchies sera sanctionnée car susceptible de mettre en péril l’autorité des gens payés pour la faire respecter. La quasi totalité du temps de visite sera formalisé et le fond restera très anecdotique. Pas le temps d’évoquer ces balivernes dans un déplacement calibré entre deux avions et un aller-retour en convoi structuré similaire à celui d’un transport d’or pour la Banque de France ! Le politique ressemble de plus en plus à ces cultures de légumes hors-sol dont la nourriture parvient par des tuyaux alimentés artificiellement.
On s’est gaussé des radicaux-socialiste d’antan fréquentant les « banquets cassoulets » ou « tapant sur le cul des vaches » lors des comices agricoles alors qu’ils ne sortaient pas du milieu d’où ils venaient. « Boire un petit coup de rosé frais » en écoutant les reproches des convives, « avaler tout ce qui se présente sur un stand » avec naturel et envie, « écouter les propos même les plus insignifiants » en se persuadant que c’est important, « se promener seul au milieu des autres » hors des entiers balisés pour humer l’air de la liberté, « sortir d’un cortège pour aller au devant d’un sourire ou d’une main tendue » : autant de faits considérés comme risibles, débiles, inutiles, dépassés…quand ce n’est pas considéré comme démagogique. D’ailleurs il est aisé de détecter quand la vedette se force pour le faire sur les conseils d’un impresario sorti de l’ENA (j’ai des noms !)
Être élu du peuple c’est aimer le peuple. Pas tel qu’on l’imagine mais tel qu’il est. Avec ses défauts collectifs et ses qualités individuelles. Le drame c’est que des collaborateurs(trices) ont été formé(e)s (formatés) afin que tout ce qui fait la vie réelle soit dissout dans les apparences trompeuses. Le retour sur terre est souvent dur pour ces extra-terrestres ayant vécu sur une autre planète où les textes abscons, les notes de synthèse, les emplois du temps tyranniques, les gestions exemplaires poussent comme les champignons toxiques de « l’île mystérieuse » de Tintin . Et avec la professionnalisation outrancière de la vie politique la situation ne peut qu’empirer !

Cette publication a un commentaire

  1. bernadette

    Bonjour,

    La description que vous faite me fait penser à ce qui fut appelé : Le contenu du contenant.

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