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Camarade, le plus beau mot de la vie sociale

Certains mots perdent de leur sens sous l’influence des technologies, des usages ou des modes. Ainsi sur la planète le qualificatif d' »ami » n’a jamais été autant utilisé. Quand l’amitié était une denrée très rare et inexplicable puisque Montaigne expliquait simplement son lien avec La Boétie : « parce que c’était lui et parce que c’était moi » elle est devenue banale et virtuelle. Les « vrais » amis c’est à dire ceux qui sont capables de vous comprendre sans rien vous dire ou de partager votre silence, vos sentiments deviennent rares. La société de l’exubérance et des apparences a lentement conduit à la déliquescence de ce lien entre les êtres qui a traversé l’histoire de l’humanité. Désormais on collectionne et on aligne les « like » ou les « friends » comme autant d’insectes piquéés dans les boites des entomologistes. Ce sont des amitiés mortes et sans aucun autre intérêt pour nous permettre d’exister sur des réseaux sociaux mais qui ont fait perdre toute leur valeur à celles qui se forgent dans l’enfance, dans la difficulté, dans l’échange, dans le bonheur, dans les retrouvailles ou dans l’absence. « Ami » en langage moderne ne veut plus rien dire. Je ne reconnais plus l’un des plus beaux des mots de la langue française avec amour. Galvaudé, banalisé, édulcoré, désincarné il mérite d’être oublié.

Ce soir je ne retrouverai pas lors d’une fête l’un de ces « amis » à mes cotés pour une fête mais un « camarade », c’est à dire celui qui a partagé ma « chambre » de pensionnat durant quatre années scolaires complètes. Impossible de le voir autrement comme un « frère » en raison de la solidité des relations qui nous unissent, qui se sont forgés dans un parcours commun, dans des idées communes, dans des actions communes. Ce liens n’appartiennent pas au sang mais ce sont ceux du cœur. Durant des soirées entières Serge meublait le temps par son silence, le plus superbe des silences du genre de ceux qui se respirent ou qui s’écoutent attentivement pour mieux les percevoir, les ressentir, s’en pénétrer. Il sait encore me communiquer sa réprobation ou son assentiment, ses craintes ou ses espoirs avec peu de mots ou par aucun mots ! Dur et exigeant avec lui-même il l’a été avec les autres. Prompt à défendre, à préserver, à soutenir, à couvrir il ne demande jamais rien pour lui. Bien au contraire… c’est le blesser que tenter de lui offrir autre chose que son amitié bien comprise. Il n’aime pas les mots. Il déteste les louanges. Il préfère la reconnaissance silencieuse au verbe tapageur. Un véritable « camarade » qui m’a donné depuis 52 ans beaucoup plus que je lui ai apporté ! Il ne m’a jamais fait défaut. N’a jamais douté de moi. N’a jamais oublié ce que nous avons partagé ! n’a jamais renoncé à m’accompagner !

Il y a entre nous tellement de sensations fortes derrière cette appellation politisée dans le mauvais sens que je ne sais pas les évaluer. Elles n’ont d’ailleurs absolument plus aucune modernité dans la vie sociale. A l’Ecole normale d’instituteurs elles avaient un sens et un poids. J’avoue que je n’ai que rarement retrouvé dans l’action, dans les échanges, dans mon quotidien, dans  mes actes, dans mon parcours un état d’esprit similaire. Je regrette ces moments faits de résistance, de solidarité dans l’adversité, de complicité agissante, de rivalités idéologiques, de petits bonheurs volés à une adversité institutionnelle. Ils ne m’ont pas quitté et je les ai cherchés comme Félix Leclerc dans sa chanson dans plein de milieux différents sans les trouver sauf chez Serge !

Les « camarades » ne le sont plus maintenant que depuis les estrades ou dans les défilés surtout pour s’interpeller ou s’invectiver ! Comme il a été décrété que la lutte des classes n’existe plus il est même devenu impossible en politique, en syndicalisme de retrouver ces « camarades de classe » avec lesquels on tentait d’inverser l’échelle des valeurs ou les montagnes de l’injustuce. Disparue corps et bien la fraternité reposant sur le combat au coude à coude. Dans un monde égoïste, volubile, truqué, surmédiatisé, dénaturé les affamés d’une camaraderie authentique ressemblent à ces chercheurs d’or qui brassent des tonnes de sédiments pour dégager des pépites susceptibles d' »enrichir » humainement. C’est le secret, l’alchimie réelle de l’amitié, la durable et la véritable qui n’st que le reflet de la camaraderie.

Dans les années 1960 il y eut « le temps des copains ». Ils nous a laissés indifférents car nous préférions ceux du bateau de Brassens… qui ne transportait pourtant pas « des amis choisis par Montaigne et La boétie (car) sur le ventre ils se tapaient fort » ! Nous avons tous les deux toujours préféré être des camarades selon la chanson de Jean Ferrat :

« C’est un joli nom Camarade
C’est un joli nom tu sais
Qui marie cerise et grenade
Aux cent fleurs du mois de mai
Pendant des années Camarade
Pendant des années tu sais
Avec ton seul nom comme aubade
Les lèvres s’épanouissaient
Camarade Camarade (…)

C’est un joli nom Camarade
C’est un joli nom tu sais
Dans mon cœur battant la chamade
Pour qu’il revive à jamais
Se marient cerise et grenade
Aux cent fleurs du mois de mai ! »

Ce soir il refleurira encore quelques heures. Histoire de célébrer… un changement de décennie. Une vraie jubilation que je ne compte pas en ce qui me concerne déguster dans le silence ! J’oublie tout le reste !

Cet article a 6 commentaires

  1. bernadette

    Camarade fait parti de l’Union des Républiques socialistes soviétiques. Durant la révolution, il me semble que le mot citoyen précédé le nom de famille.

    Belle chanson de Jean Ferrat.

    Belle journée de Mars avec ses giboulées.

  2. bernadette

    Je voulais rajouter que le
    Parti communiste n’a jamais été vecu ici, seul le Parti communiste français existe en temps que pensée.

  3. bernadette

    Quant aux Républicains, c’est Américain.
    Politiquement la France a hérité des constitutions des grands pays (USA, URSS), à part la Révolution française de 1789, il n’y a rien de français.

  4. bernadette

    Franchement je trouve ahurissant qu’une presse puisse relater des colonnes sur les SDF sans jamais négocier un seul logement aux milliardaires immobiliers.
    C’Est grave, voire très grave de ne pas essayer de contacter le propriétaire pour négocier. Bien les élus, à part les casseroles. C’Est un peu léger…..

  5. dégrave

    J’ aime beaucoup le mot compagnon…

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