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La solidarité devient une valeur de musée

La solidarité est bel et bien la valeur la plus menacée en France. Cette semaine je découvrais le stock des archives et des symboles (bannières, statues, écussons…) des premières «sociétés de secours mutuel » qui ont fleuri dans notre pays à la fin du XIX° siècle ou au début du XX°. Ce n’est pas sans émotion que l’on voit rangées ces splendides enseignes brodées faisant la fierté lors des défilés dans les villages. J’ai personnellement connu en Mairie de Sadirac, les assemblées générales d’une structure qui prenait en charge les frais occasionnés par une médecine beaucoup moins sophistiquée et surtout beaucoup moins utilisée que maintenant. Les habitants venaient s’acquitter de leur cotisation directement auprès d’un trésorier bénévole gérant au centime près les prestations. La proximité jouait à plein et la solidarité avait un visage : celui d’un élu, d’un proche, d’un voisin, d’un notable reconnu, d’un collègue de travail ou d’un bon père de famille. La création de ces « mutuelles » incombait souvent à des artisans issus des compagnons du devoir chez qui la solidarité était ancrées dans la culture acquise sur les routes de France. Lentement ce partage du risque a disparu et a été happé par la nécessité de regrouper puis de fusionner puis de transformer en entités aux réflexes commerciaux ce qui a été jugé trop faible. Lire les phrases mises en exergue sur les documents, les comptes-rendus d’assemblée générale avec la longue liste des noms des présents, regarder les photos de ces groupes heureux autour de présidents en redingote aura constitué un moment empreint de nostalgie.

Désormais la solidarité se marchande. On vous aborde dans la rue pour vous solliciter. Le téléphone ne cesse de sonner afin de vous inciter à donner. Les campagnes campagnes télévisuelles se succèdent. Des dizaines d’enveloppes arrivent dans les foyers qui ont eu la malencontreuse idée une année d’effectuer un don. Les propositions d’assurances en tous genres pleuvent pour couvrir les frais d’obsèques ou les accidents de la vie. La concurrence bat son plein faisant oublier que la valeur de la solidarité c’est qu’elle est œuvre collective au service de celles et ceux qui en ont, à un moment donné besoin. Elle ne consiste pas à organiser son auto-protection par une décision individuelle. En fait le système actuel renforce simplement le mercantilisme exacerbé d’une société où doit se payer à un tarif sans rapport avec les moyens de celui qui se trouve en difficulté.

Les suppléments deviennent la règle ! Si l’on prend un exemple sur l’agglomération bordelaise : le même robot pour les opérations en urologie installé dans la clinique mutualiste du Pavillon est rentable sans aucune contribution du patient quand à quelques kilomètres de là la somme à verser dépasse se chiffre en milliers d’euros pour exactement le même appareil et la même utilisation ! L’esprit mutualiste originel n’existe absolument plus puisque le libéralisme a perverti l’idée d’entraide fraternelle initiale pour lui substituer celle de l’assurance. Il n’est plus fait mention un seul instant du principe de solidarité ! On la trouve sous la poussière qui envahit les bannières d’un temps où elle était une belle idée encore possible de faire pousser dans les esprits par conviction. Elle a disparu des esprits. Il suffit de constater par exemple la situation actuelle des migrants revenus ou simplement venus chercher on ne sait que Eldorado sur Calais.

Depuis plusieurs semaines, les associations dénoncent des « entraves répétées » et un durcissement des forces de l’ordre à l’égard des migrants qui, malgré le démantèlement, en octobre dernier, de la « Jungle » où s’entassaient près de 10 000 migrants et demandeurs d’asile se sont réinstallés. Les associations sont « entravées et menacées », lorsqu’elles « tentent de mettre en œuvre des dispositifs qui devraient l’être par les pouvoirs publics (douches, distribution de repas et d’eau) », relève le Défenseur des droits qui a enquêté sur place. « La volonté de ne plus voir de migrants à Calais conduit à ce que plus aucun abri ne soit toléré : les personnes – entre 500 et 600 selon plusieurs informations croisées – dont des mineurs, dorment à même le sol, quelles que soient les conditions climatiques, parfois avec un sac de couchage donné par les associations. Ils disent être traqués jour et nuit dans plusieurs sous-bois de la ville. Tous les points d’eau ayant été supprimés, les migrants ne peuvent pas se laver, ni même boire », indique un communiqué sur lequel on attend encore la moindre réaction. Qui réagit ?

La France qui avait inventé le principe même de la solidarité a inexorablement abandonné cette spécificité de sa langue (en anglais le mot n’existe pas). Il ne faut pas être grand clerc pour prédire que les choses n’iront pas en s’améliorant puisque plus rien n’arrête la progression de l’individualisme concurrentiel ! Le « compagnon », le « camarade » n’existent plus que dans les musée ouvert seulement aux nostalgiques des valeurs républicaines !

Cet article a 4 commentaires

  1. Batistin

    Bonjour Monsieur.
    Vous dites  » La concurrence bat son plein faisant oublier que la valeur de la solidarité c’est qu’elle est œuvre collective au service de celles et ceux qui en ont, à un moment donné besoin. Elle ne consiste pas à organiser son auto-protection par une décision individuelle. »
    Voici l’exemple même de phrase nécessaire, dont vous avez le secret, qui permet d’éclaircir d’un coup , ou d’assombrir , notre croyance en tous les slogans publicitaires !
    Cette phrase est au fond une formule, un théorème applicable à toute réflexion, à tous sujets traitant de civisme.
    Que ce soit de l’usage de sa voiture et la façon de la conduire, en passant par la salle fumeur ou non fumeur d’un restaurant, l’idée que l’on se fait de l’arrosage de sa pelouse en période de sécheresse, pour finir par le temps que l’on veut bien consacrer à tenter de connaitre et d’apprécier son voisin.
    Mais, le civisme est un mot dont le sens nous échappe, et qui est même souvent plutôt dangereux à employer dans une simple conversation.
    Dangereux car il sous-entend , on ne sait pourquoi, que celui qui l’emploi est forcement « ultra-nationaliste ».
    Pour en revenir à votre théorème, Monsieur, il faudrait donc peut-être, pour engager un retour d’une saine solidarité, commencer par redonner un sens clair au plaisir simple d’être de France.
    Cela sera peut-être possible, une saine fierté, en encourageant chacun autour de nous, autre chose que la compétition.
    En fait depuis que le rugby est passé en professionnel, c’est la fin des haricots !
    Encourager le beau geste plus que le résultat, le faire est le dire est aujourd’hui encore le meilleur moyen de passer pour un illuminé.
    Vous citez les Compagnons du devoir… ou les meilleurs ouvriers de France qui ont, dites-vous, historiquement un rôle à jouer…
    Difficile, difficile que tout ceci, sauf peut-être en commençant par le début, apprendre aux jeunes gens, à tous les jeunes gens, qu’ils ont plus qu’un doigt pour vivre.
    Ce doigt qui les même au bout du monde et nulle part, en tapant sur les claviers tactiles, alors qu’ils ont pourtant bel et bien des mains..
    Je vous propose donc à mon tour un théorème:
    l’apprentissage d’un travail manuel, au choix, devrait être obligatoire dans toutes les sections scolaires !
    Ou au moins une sérieuse approche.
    Comme au rugby, l’emploi obligatoire de ses mains pour arriver au résultat, donne un sens à tout, et encourage…la beauté.
    Voici ce qui peut-être nous manque à toutes et tous… la beauté !
    la beauté du coeur, la beauté du geste.

    1. Bernadette

      Oui battistin vous avez entièrement raison parce que nous sommes dans une culture de résultats.
      Bonne fin de journée, je pars dans les vignes parce qu’il y a beaucoup à
      faire mêmes si le produit n’existe pas.

  2. MOUNIC

    LA SCIENCE AVANCE
    Mais les individus ???

  3. J.J.

    Je connais une Mutuelle, fondée avant la guerre par de courageux personnages, qui a été longtemps un exemple de solidarité.
    Je l’ai vue peu à peu se transformer en organisation commerciale, avec des arguments flattant l’adhérent potentiel, et lui offrant des prestations d’une navrante futilité.
    Les adhérents à la mutuelle étaient appelés « sociétaires », le terme est toujours employé, mais ce ne sont plus que des clients.

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