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La vraie journée du patrimoine devrait être celle des travailleurs manuels

La journée européenne du patrimoine a largement rempli sa mission puisque selon les estimations des fréquentations. Comme lors des quatre précédentes éditions, cet événement national a drainé ce week-end plus de 12 millions de visiteurs. Au total, 17 000 sites étaient ouverts, proposant quelque 26 000 animations. Il est indéniable que certaines catégories sociales ont un goût prononcé pour les lieux prestigieux ou inconnus ! Cette manifestation leur permet d’entrer dans des palais, des ministères, des administrations, des monuments, des édifices dans lesquels qu’ils n’ont pas la possibilité de fréquenter en temps ordinaires. Souvent les organisateurs proposent en effet des bâtiments historiques où siègent les tenants du pouvoir où dans lesquels ils ont siégé. L’extraordinaire l’emporte sur le quotidien alors que le patrimoine de demain est aujourd’hui dans notre environnement de proximité. Bien des gens passent par exemple quotidiennement devant des réalisations exceptionnelles sans avoir la moindre idée de leur qualité architecturale ou simplement celle du savoir-faire humain qui les ont fait naître. Qui connaît vraiment les atouts de l’église du village où il habite ? Qui apprécie à sa juste valeur une maison ou une ferme ? Qui sait faire le lien entre la simplicité d’une décoration et le talent de celle ou celui qui l’a fait naître ? En fait ce n’est pas le patrimoine en lui-même qui doit être admiré mais celles et ceux qui ont su le créer. Tout, de l’œuvre la plus modeste à la plus colossale ne repose en effet que sur le savoir-faire humain. Il n’y en a pas qui ne soit le fruit d’une esprit fécond ou d’un tour de main hors du commun.
La journée du patrimoine devrait donc être celle du travail manuel. Des femmes et des hommes ont mouillé de leur sueur ou souillé de leur sang les chefs d’œuvres sur lesquels s’extasient des personnes ne voulant à aucun prix que leurs enfants ou leurs petits-enfants deviennent maçons, peintres, menuisiers, charpentiers, chaudronniers, ébénistes, tapissiers ou sculpteurs. Plusieurs milliers de places d’apprentissage dans la construction sont encore vacantes dans certaines catégories de métiers tant le secteur est méprisé. Il a pourtant fallu des artisans, des artistes, des techniciens, des ouvriers pour que construire ce qui fait aujourd’hui l’admiration des foules. En fait le vrai patrimoine est humain. Il réside dans des savoir-faire qui ‘disparaissent plus vite que les vielles pierres ou les fresques. Et celui-ci n’est guère célébré comme il devrait l’être.
Si l’argent permettait de construire il n’a jamais permis à ceux qui le possédaient de réaliser leurs rêves de grandeur. Il n’y aurait jamais eu de cathédrales, de palais, de ponts, de tableaux, de sculptures, de meubles… sans justement ces femmes et ces hommes ordinaires ayant reçu les secrets parfois séculaires de leurs prédécesseurs. Durant des siècles ils ont eu le privilège de pouvoir être reconnus pour leurs qualités dans une société admirative de leurs capacités à embellir des lieux reconnus comme privilégiés.
Le vrai patrimoine est pour moi immatériel car il réside dans justement de multiples actes humains dont on ne parle jamais. Un chapiteau de pierre, un plafond décoré, une peinture sommaire, une charpente complexe, une marqueterie soignée, une enluminure colorée, une reliure méticuleuse, un tapis moelleux, une pierre parfaitement ajustée, une boiserie précieuse : il n’y a rien qui ne dépendent pas de l’effort accompli par des créateurs que l’Histoire a oublié quand elle a retenu le nom du financeur devenu célèbre et ayant traversé parfois les siècles. L’admiration ne porte donc pas nécessairement sur les véritables acteurs du patrimoine.
Le travail réputé « manuel » n’est que le fruit d’une intelligence orientée vers le concret. La reconnaissance de « meilleur ouvrier de France » vaut largement pour moi un succès à une agrégation tant elle demande d’efforts, de méthode et de connaissances. Il faut pourtant avouer que le système éducatif ayant tendance à vouloir reproduire la réussite de ses composantes on assiste à une orientation par l’échec théorique vers ce qui peut pourtant être un vrai destin positif. Chaque samedi matin dans ma classe quand j’étais « artisan instituteur » j’organisais la venue d’une mère ou d’un père qui venait parler de son métier et surtout répondre aux questions des enfants. Nous allions également visiter les ateliers du village. Je ne sais pas si des vocations ont reposé sur ces moments de partage mais au moins ils ont pu jouer en faveur d’une option professionnelle avec quelques repères. J’ai toujours admiré les chefs d’œuvre réduits de modèles de charpente de mon arrière grand-père, de Maxime l’oncle de ma mère, de Jean-Michel son cousin qui furent tous les trois « Compagnons du Devoir ». Ils symbolisaient dans la maison le vrai patrimoine, celui que possèdent ces alchimistes sachant transformer le savoir en savoir-faire intemporel !

Cet article a 7 commentaires

  1. Jean-Jacques Lalanne

    Très important,en effet,de montrer que derrière chaque »oeuvre » (tableau, sculpture, édifice,entreprise…), il y a de l’ humain, que cet humain n’ a rien de mystique. La réalisation magnifiée,l’ exposition, sont castratrices et ne vont pas dans le sens du développement personnel. Combien de jeunes passés entre mes »pattes » considéraient qu’ il y avait l’ « Artiste », le créateur et que eux étaient des « minables ». Quelques réalisations après ils se trouvaient libérés,apaisés, conscients que eux-mêmes « pouvaient ». Je ne dis pas que certains n’allaient pas vers des lendemains difficiles. Sortir,même sans en être conscient, du troupeau lobotomisé contrarie l’ « Ordre ». Il faut rester à sa place de consommateur compulsif, d’ ouvrier servile sinon on sera mis « au coin » et remplacé par le »polonais » ou le « roumain » jusqu’à demander pardon. Refusez Picasso et la Joconde comme modèles (entre’autres). Evadez vous et surtout ne cherchez pas à être un modèle vous même. Faites vous plaisir. C’est d’ abord en vous et pour vous que doit se trouver l’ art sinon vous retomberez dans les conventions et à nouveau la stérilité. Dans les journées du patrimoine, retrouvez l’ esprit des compagnons, pensez à l’ artisan et dites vous combien il a pu se faire plaisir.

  2. bernadette

    Je n’ai pas participé à la visite de lieux du patrimoine parce que dans mon village existe une église romane du 11eme siècle.
    Souvent je me suis interrogée sur comment des hommes de l’époque ont pu construire une oeuvre aussi remarquable. Pourquoi aussi ont ils construits ces édifices religieux ?

  3. Jouvet Fabienne

    A Bernadette,
    Dans bien des villages, contribuer à l’édifice d’une église relevait d’une « pénitence », ou contribuait à « racheter ses fautes » ou « gagner une place au paradis » il y avait les maitres d’œuvre, les sculpteurs, eux rémunérés en argent, et parfois même en « titre » et ceux qui accomplissaient les tâches, dans les voutes, les toits, parfois une signature, des initiales…bien cachées mais présentes…. beaucoup mourrait chutes, écrasements, ect…. il fallait « craindre » Dieu, et le « servir » le curé était dans le confessionnal le psy du coin, 3 avé Maria, 1 notre père, et oublies pas ton « obole »…un poulet cette fois!… les seigneurs étaient généreux, les pauvres offraient leur temps, leurs mains, leur savoir faire…..

    1. bernadette

      Ah mes seigneurs !
      En fait depuis le moyen âge, peu de choses ont changé.
      La République a pris sa place avec des seigneurs de gauche et de droite formant la sainte commune où il y a toujours des pauvres et des riches. Tous sont représentés par les conseillers

  4. J.J.

    Longtemps je n’ai considéré les monuments ou chef d’œuvre que sous leur aspect ésthètique, mais jour, entendant le commentaire : – « Tel roi, prince, évêque a bâti…. »

    NON ! L’évêque ou le prince n’ont rien bâti, ils se sont contentés de pressurer le peuple pour rémunerer (chichement) les artistes ou artisans inconnus qui mis tout leur talent à satisfaire leur commanditaire, et surtout sa suffisance et son orgueuil.
    Je ne peux, en admirant une de ces œuvres m’empêcher d’évoquer l’incroyable habileté de leurs réalisateurs.
    Je suis d’ailleurs de plus en plus sensible à la beauté de réalisations modestes ; une simple maison de pierre à la modénature élégante, par exemple me réjouit davantage qu’une cathédrale ou un château majestueux.

  5. JJ Lalanne

    Si les artisans ayant travaillé à la construction des édifices religieux sont inconnus en France, c’est parce que l’ on ne les nomme pas chez nous. On a raccourci les aristos mais on ne parle que d’eux et des cardinaux alors que en Espagne on apprend lors des visites le côté européen voire mondial de ces constructions. L’Europe existait déjà chez ces architectes dont on ne nous révèle pas les noms de ce côté des Pyrénées. Si l’ouvrier basique devait gagner peu je doute qu’ un architecte de Cologne allant reconstruire une flèche de cathédrale à Burgos l’ ai fait pour la seule gloire d’ un dieu.Personnellement j’ ai été formé par des enseignants qui rappelaient que si les églises sont des lieux de culte ça a souvent été des non-croyants qui les ont construites et cette manière de les voir me les rend plus sympathiques et même visitables.

    1. J.J.

      …..si les églises sont des lieux de culte ça a souvent été des non-croyants qui les ont construites et cette manière de les voir me les rend plus sympathiques et même visitables.
      C’est un point de vue intéressant à prendre en considération.

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