You are currently viewing André Lapaillerie : le mentor girondin de Chaban (2)

André Lapaillerie : le mentor girondin de Chaban (2)

La suite de l’engagement d’André Lapaillerie Maire de mon village natal de Sadirac qui fit l’histoire en étant aux cotés de de Gaulle lors de son départ vers Londres et ensuite en entrant brièvement dans la vie politique active pour… promouvoir Jcaques Chaban… qui deviendra Chaban-Delmas

(…)André Lapaillerie s’est replongé entre temps dans la vie politique girondine au sein du parti radical où va rapidement adhérer un certain Jacques Delmas qui deviendra Chaban-Delmas. Il sera accueilli rue François de Sourdis à Bordeaux pour préparer son installation à Bordeaux en juin 1946 et en gardera une profonde reconnaissance à l’égard de celui qui devint maire de Sadirac début mai 1945. Il accède alors à la fonction de Président girondin du Parti radical et va tout faire pour favoriser l’émergence du jeune général de la Résistance qui doit s’imposer dans un milieu inconnu.

André Lapaillerie fort de son parcours durant les deux guerres finit par profiter des querelles sévères qui opposent Jean Odin et Emanuel Roy pour être installé en arbitre dans le fauteuil de Président départemental du parti Radical le 17 juin 1946. Il va présider une réunion du bureau exécutif le dans laquelle on trouve celui qui restera son grand « camarade » Courrech qui fut directeur des éditions départementales de Sud-Ouest et proche de Jacques Lemoine devenu alors propriétaire du quotidien. L’objectif est de faire une place de choix à Chaban-Delmas peu connu et surtout peu admis dans le milieu bordelais. Ce dernier n’a toujours pas de domicile et il est donc toujours « domicilié » 130, rue François de Sourdis mais s’est établi au Grand Hôtel « Le Splendid », sur les allées d’Orléans. Il est certain que le « banquier » a financé cette période de la vie du futur maire de Bordeaux.

            André Lapaillerie va monter un stratagème pour introduire je jeune général Chaban-Delmas dans la vie bordelaise. Il organise le 28 septembre 1946 une cérémonie politico-militaire grâce à son double passé de combattant de 14-18 et de résistant reconnu une cérémonie sur la Place du XI novembre à Bordeaux. Il s’agit de remettre, en présence officielle de l’Armée [1] la légion d’honneur à titre posthume à l’un de ses camarades du réseau « Poirier », Pierre Crassat, ancien président des Jeunesses radicales, fusillé par les Allemands en 1942. Il y a foule et celui qui va officier pour cette cérémonie hautement symbolique ne sera autre que Jacques Chaban-Delmas ! Il a ses côtés « Bourgès[2] », grande figure du parti Radical qui l’adoube politiquement et publiquement. Le lendemain dans la fameuse salle bordelais de l’Aiglon, André Lapaillerie va présider le congrès de désignation des candidats. Trois d’entre eux (Jacques Chaban, Julien Cabanne[3], le Dr Marceau Dupuy[4]) prêtent serment de « respecter le choix du Congrès ».

            Le Président a négocié depuis des semaines et les désistements se succèdent à la tribune. Jean Odin, figure emblématique du Parti radical girondin qui a perdu le fauteuil de Président départemental au profit du nouveau maire de Sadirac appelle à Voter Marceau Dupuy ; Julien Cabanne se retire et appelle à voter Chaban. On se retrouve donc dans un duel entre celui qui affirme que « dans la galère girondine, ce sont les Girondins qui doivent ramer » et le parachuté qui prône l’alliance avec les socialistes « s’ils rompent avec les Communistes » et rend un vibrant hommage à Edouard Herriot et surtout de Gaulle qui l’a poussé à rejoindre les rangs des Radicaux pour se présenter à Bordeaux. Les manœuvres vont bon train. André Lapaillerie et ses amis contrôlent parfaitement l’appareil du parti et à l’arrivée le général de la Résistance obtient une écrasante victoire par 358 voix contre 146 à son concurrent… Chaban-Delmas s’installe pour un demi-siècle à Bordeaux et va désormais voler de ses propres ailes et vouer une reconnaissance éternelle à celui qui l’a conduit vers d’abord vers le fauteuil de Député[5] puis celui de Maire de la ville !

            André Lapaillerie retournera alors vers son village natal. Il remportera à nouveau les élections municipales de 1947 et va mettre en place une vision pour cette commune coupée en deux entre le bourg et Lorient. Le départ de Georges Vasseur instituteur et secrétaire de Mairie va entraîneur en 1952 l’arrivée de Jeanine Normandin épouse Darmian, qui a été patiemment formée depuis 1942 par son maître et qui attend un poste en assurant la cantine de l’école où elle a été élève. Elle va très vite (1952) devenir le relais quotidien avec Eugène son mari du maire sur le terrain puisque ce dernier passe la semaine à Bordeaux pour son métier de banquier. Il a choisi un homme paisible et loyal pour assumer les rares tâches municipales de l’époque : Henri Martin agriculteur, tabaculteur et éleveur à Piron. C’est toujours l’équilibre avec un maire de Lorient et un premier adjoint du bourg. Il en sera ainsi jusqu’à sa mort en 1971. André Lapaillerie vient tous les samedis et parfois en semaine pour les affaires communales. Tous les jours il appelle « Jeanine » pour connaître les aléas de la vie communale. Durant plus d’un quart de siècle le duo va fonctionner parfaitement dans le respect et la loyauté absolue. Logés à la maire « Jeanine et Eugène » ne manqueront jamais à l’appel   24 heures sur 24 et 7 jours sur 7…

            Lors de son premier mandat de maire (1947-1953) l’enfant de Sadirac fera de l’éducation sa grande priorité. Les deux écoles sont vraiment en piteux état. Une classe, celle des « grands » est accueillie dans une grande salle avec estrade jouxtant le secrétariat de la Mairie alors qu’une autre se trouve dans un vieux bâtiment du bourg proche du presbytère. André Lapaillerie décide que deux groupes scolaires neufs (bien évidemment un au bourg l’autre à Lorient) confiés à l’architecte Jean Elie Chaveron seront construits afin de pourvoir accueillir une section enfantine chacun et offrir aux élèves des espaces clairs, modernes et fonctionnels avec cuisines et salles de cantines. Un investissement énorme pour l’époque qui trouvera sa concrétisation à la rentrée scolaire de 1952 ! Il va aussi devenir le premier maire rural de Gironde à accompagner cette construction de douches municipales ouvertes à la population chaque samedi soir. La très grande majorité des habitants sont logés dans des conditions d’insalubrité manifeste surtout les immigrés travaillant dans les grandes propriétés sadiracaises. Même à la mairie il n’y a pas encore l’eau potable… qui parvient au robinet.    J’ai personnellement toujours été persuadé que cette volonté était née dans son esprit quand, dans les tranchées, dans la boue, la saleté repoussante imposée par les conditions de la guerre, il avait souffert de ce manque d’hygiène frappant les combattants. Son initiative connut un grand succès et on venait de tout le Créonnais aux « douches sadiracaises » tenues avec fierté par Eugène Darmian durant plus d’une vingtaine d’année chaque semaine sans défaillances jusqu’à 22 heures.  L’inauguration mémorable de ces magnifiques réalisations en pierre de taille blanche venant des établissements Lespeau à Camarsac, a eu lieu le 19 octobre 1952 en présence d’André Marie[6] alors Ministre de l’éducation nationale et Jean Masson[7] secrétaire d’État à l’enseignement technique et à la jeunesse et aux sports.

            Réélu sans aucune difficulté en 1959 André Lapaillerie va ensuite jouer la carte des équipements structurants. Il obtient de Mme Guyot de Villeneuve la cession gratuite d’un grand terrain au cœur du bourg de Sadirac[8] sur lequel il aménage un terrain de football dont les vestiaires et les douches seront dans le groupe scolaire voisin. Il fait ensuite raser l’ancienne école de filles pour y construire un bureau de Postes, télégraphe et télécommunications avec logement pour le Receveur. Dans la foulée la mairie décide de construire une vraie salle des fêtes[9] pour permettre des concerts (il y en aura de superbes) de l’Amicale laïque ou un bon déroulement des fêtes locales. Au fil des ans Sadirac devient un village moderne très en avance sur les autres. Les personnalités politiques départementales et nationales de l’époque se succèdent à chaque fois car toutes ont côtoyé André Lapaillerie dans son parcours politique. Il ne prendra cependant plus aucun engagement partisan consacrant tout son temps à sa commune. Au renouvellement municipal de 1959 il sera élu par les 28 maires du canton de Créon comme président de leur amicale[10] et tentera par deux fois de se faire élire conseiller général[11] sans y parvenir !

            Toujours préoccupé du mieux-être de la population il va participer activement au développement de l’intercommunalité au service des réseaux utiles sur l’une des plus vastes communes de l’Entre Deux Mers et constituée de nombreux hameaux ou maisons isolés. Ainsi il accède à la fonction révélatrice de sa préoccupation, de président du syndicat intercommunal d’adduction d’eau potable de Bonnetan (1959) dont il était vice-président depuis sa création en 1956. Il prend également la présidence du syndicat intercommunal d’électrification rurale dit de Camarsac dès son lancement en 1960. Il se servira de ces outils dans l’intérêt des Sadiracaises et des Sadiracais qui bénéficieront d’aménagements rapides et précieux pour l’époque.

            La refonte du bourg de Sadirac, décidée après la création d’un nouveau cimetière, sera vraiment la réalisation phare de son dernier mandat de Maire. Il amputera l’ancien espace d’inhumation d’une partie située le long de la route du bourg vers Lignan de Bordeaux pour y aménager un espace de stationnement. Le Monument aux morts de la commune sera alors déplacé contre le mur de la mairie. Cette opération sera placée sous l’égide d’André Buffet, héros du Fort de Vaux[12] qui viendra personnellement retrouver en cette occasion celui qui n’avait jamais oublié l’épopée de Verdun. Ce fut vraiment le dernier lien symbolique entre cette grande guerre et sa vie personnelle publique organisé par André Lapaillerie. Il est probable que ce soit celle qui l’ait le plus touché humainement car elle illustrait le caractère extraordinaire de son parcours. Il avait d’ailleurs consacré une belle part de son activité à la mémoire de cette Grande guerre qui l’avait tellement marqué. Président de la fédération nationale des Camarades de Combat le 16 janvier 1966 il s’évertua lors des commémorations de l’Armistice du 11 novembre 1918 à toujours rappeler à Sadirac et en Gironde les sacrifices imposés par la culture républicaine à des millions de Français, jeunes et moins jeunes. Il se considérait comme un « miraculé » tellement la mort avait été proche de lui à de nombreuses reprises. Il lui restait cependant un dernier combat moins glorieux dans sa tenue à mener. 

            Il allait ainsi affronter une campagne électorale (la première) très violente et très pénible en mars 1971. Des tracts injurieux avaient circulé autour de son métier de banquier, son cumul des fonctions[13] et son absence à la mairie. Il en avait été profondément blessé. Il ne comprenait pas ces reproches. Il fut pourtant élu pour la septième fois au premier tour à Sadirac. Il mourut brutalement à son domicile bordelais quelques mois plus tard le mardi 11 mai 1971[14] à quelques mètres du logement où j’étais installé. Étrange destin qui fait que du jour de ma naissance au jour de s amort nous n’avons jamais été éloigné de plus de quelques dizaines de mètres.

            Il a inspiré ma vie publique et j’ai souvent en mémoire ces vingt ans passés à vivre le quotidien de la vie communale sadiracaises dans le creuset de la mairie où je n’ai connu qu’André Lapaillerie, incarnation de ce que doit être un maire soucieux de l’intérêt général et de la réponse concrète aux besoins des habitants.

           Né à la fin du XIX° siècle il aura servi trois Républiques successives avec loyauté, discernement et dévouement. Il aura traversé deux grandes guerres mondiales comme acteur volontaire, courageux et déterminé. Il aura joué un rôle prépondérant dans la politique nationale à travers son engagement aux côtés du général de Gaulle et de Jacques Chaban-Delmas. Mais jamais il ne se sera éloigné de son « berceau » natal que fut Sadirac. Il aimait cette commune bicéphale. Il en parcourait les bois et les prairies comme chasseur. Il y retrouvait l’air pur et la nature humaine dont sa Grande guerre, dont Yves Coz raconte les péripéties, l’avait privé. Il aimait ses habitants. Il aimait simplement les autres.


[1] Deux sections de musique militaires sont mobilisées

[2] Maurice Bourgès-Maunoury dit « Bourgès ». Polytechnicien, Officier dans l’artillerie de 1935 à 1940, il s’engage dans la Résistance, où il participe à X-Libre et est ami de Jacques Delmas et de Félix Gaillard. Blessé le 2 septembre 1944, il reçoit du général de Gaulle la croix de compagnon de la Libération. Il devient en 1945 commissaire de la République à Bordeaux. Il est un des jeunes turcs du parti radical-socialiste. C’est lui qui viendra installer avec André Lapaillerie Chaban en Gironde grâce à son réseau hérité de son passage comme « préfet » Il sera plus de 25 fois secrétaire d’État et ministre sous la IV° République et dirigera le gouvernement en 1957. Il viendra à Sadirac lors de manifestations diverses.

[3] Mérignacais. Vice-Président du parti radical girondin, Résistant et membre du comité départemental de Libération

[4]Marceau Dupuy avait un parcours similaire à celui d’André Lapaillerie. Il fait ses études de médecine à Bordeaux et s’installe, en 1924, comme médecin généraliste à Puisseguin. Il ne quittera plus Puisseguin dont il est maire durant 43 ans (1935-1977). Conseiller général du canton de Lussac (1945-1970). Il deviendra député derrière… Chaban Delmas de 1951 à 1958 ; Il fut lui-aussi un héros de la 14-18 puis un grand résistant obligé de fuir en Espagne.

[5] Élu le 10 novembre 1946 comme « Républicain radical et radical-socialiste » puis maire de Bordeaux le 26 octobre 1947

[6] Résistant. Déporté. Député radical de Seine maritime. Ministre de la justice (1947 à 1949) ; Ministre de l’éducation (1951-1954) Président du conseil en 1948

[7] Député radical de la Haute-Marne, Maire de Chaumont et secrétaire d’État dans le gouvernement d’Antoine Pinay ;

[8] C’est la raison pour laquelle le stade actuel porte ce nom.

[9] Elle a été rasée pour faire place à des immeubles et a été remplacée par la salle Cabralés.

[10] Je lui ai succédé avec beaucoup d’émotion de 2001 à 2017 comme Président de cette amicale des maires sur exactement le même canton.

[11] Il se présente aux élections de 1958 où il est battu par Mouline maire de Baurech passé de la SFIO aux Républicains indépendants et aux élections de 1964 où il est battu dès le premier tour par Michel Bastiat (divers gauche) Maire de Créon qui battra ensuite Mouline

[12] Il fut représenté sous la forme d’une pieuvre tentaculaire avec des bras multiples.

[13] Le fort de Vaux fut l’un des hauts lieux de la bataille de Verdun en 1916. Le 6 mars 1916, les Allemands attaquent ; le village tombe le 2 avril mais le fort tient. Du 2 au 7 juin 1916, grâce à l’héroïsme du commandant Raynal et de sa garnison, le fort résiste à la 50ème division allemande mais après de très durs combats les défenseurs doivent finalement se rendre. Les Allemands échouent cependant à prendre Verdun et à l’automne ils abandonnent le fort de Vaux qui est réoccupé sans combat par les troupes françaises dans la nuit de 2 au 3 novembre 1916. Léon Buffet avait traversé les lignes pour aller porter un message au général avant de faire le chemin inverse pour retrouver ses camarades de combat qui résistaient Le fort de Vaux devient alors l’un des symboles des combats des poilus de la Première Guerre mondiale animés par le sens du devoir jusqu’à l’ultime sacrifice.

[14] Il était venu à Sadirac le samedi précédent pour célébrer le 8 mai 1945.

Cet article a 2 commentaires

  1. Juste MERCI, il y a des gens cités dont je ne connaissais même pas le nom… mon inculture me désole ! Darmiandins; Darmiandines, Bonne journée.

  2. Stéphane

    Merci beaucoup Monsieur Darmian pour vos écrits et hommage à mon arrière grand-père.

Laisser un commentaire