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Le service public de santé résiste à la dépression

Le hall du meilleur centre hospitalier de France est plutôt désert. Quelques personnes déambulent en tentant de se repérer grâce à la signalétique aux couleurs diversifiées. Les guichets sont fermés et les rideaux sont tirés devant des entrées des services destinés aux visiteurs du jour. Il est 7 heures et le « tripode » s’éveille. Sans leurs blouses distinctives des dizaines de « fourmis » sont happées par des couloirs froids. Ces travailleur.euse.s s’ignorent ou se saluent furtivement mais nul ne s’attarde. Le temps presse car tout doit être en place au moment où les premiers rendez-vous devront être honorés.

D’abord ces malades qui s’ignorent encore doivent se repérer dans un dédale de « rues » avec des panneaux portant des appellations toutes plus complexes les uns que les autres. Papiers en main les patients méritent leur nom et tentent de dénicher la bonne porte des « soins ambulatoires ». Accompagnés par des ambulanciers rodés à ce jeu de piste, certains des candidats à des examens spécifiques, inquiets s’aventurent vers des bureaux. Une voix compatissante les renverra d’où ils viennent en leur rappelant le sens de la pancarte « salle d’attente ».

Parfois il leur faut aller quérir un numéro forcément gagnant pour décrocher une place face à une dame soucieuse de vérifier identité, adresse et surtout compatibilité entre leur venue avec leur appartenance à cette fameuse Sécurité sociale qui en ce matin frisquet n’apparaît pas comme trop coûteuse et abstraite.

Une certaine empathie s’installe surtout avec celle ou ceux qui ont du mal à conjuguer leur angoisse et les nécessités administratives. « Descendez au sous-sol, tournez à droite puis à gauche… et attendez dans le couloir ». Lentement on entre dans le ventre du « monstre » parcouru par des dizaines d’amateurs de blouses tous plus préoccupés les uns que les autres par une destination qu’ils sont les seuls à connaître.

Le face à face avec une infirmière qui finit par arriver se révèle à la fois précautionneux et serré. Il ne s’agit pas que de l’administratif mais aussi de l’humain. Elle jauge l’angoisse de celle ou celui qui est assis et attend de savoir quel sort va lui être réservé. La réponse est standardisé : « attendez ici et on va vous appeler ». Chacun se plonge alors selon son âge dans les magazines usagés ou son téléphone mobile…pour tenter de maintenir sa présence dans le monde normal. On s’accroche aux bonheurs supposés de la vie des autres à travers les images sur papier glacé ou grâce aux profils facebook comme pour exorciser un sort défavorable.

Votre nom retentit. Il faut y aller! Deux portes battantes se referment sur celle ou celui qui a un examen de passage. Il s’en remet au processus formel correspondant à son état. Le sourire est plus ou moins de rigueur car le patient entre dans la médecine technologique, celle des appareils mystérieux qui scrutent sans concession les moindres recoins des corps pour y dénicher un motif de souci ultérieur. On perd dans une immobilité imposée toute son autonomie. Objet au beau milieu des rayons, laser, résonances magnétiques ou nucléaires, le « patient » mérite amplement sa qualité.

L’introspection est forte. Le doute aussi. Chaque mouvement inquiète comme s’il dénotait un indice de détection de la part d’un observateur invisible Au moindre bruit plus rien d’humain… jusqu’au moment où on regagne avec soulagement le point de départ de ce périple inhabituel. Les délais sont plus ou moins longs. Et dans tous les cas on rejoint un espace connu ou inconnu pour donner tout son sens au temps. Il paraît en effet beaucoup plus long qu’à l’ordinaire. Le verdict médical tarde toujours même si la tendance n’est pas forcément à en vouloir connaître le contenu. Encore une fois il faut attendre, attendre, attendre dans le doute et l’anxiété. Pas question d’y échapper.

Au CHU de Bordeaux des espaces dits de « convivialité » ont été mis en place de telle manière que le sas entre la « brutalité » de la vérité médicale et celle ou celui qui doit l’entendre se déroule de manière aussi paisible que possible. Le contact n’est forcément pas le même que dans un bureau ou un lieu aseptisé. Le médecin vient vers les accompagnants pour dialoguer et échanger en présence évidemment de la personne concernée. Incontestablement cette manière humanise considérablement l’énorme machine qu’est l’hôpital.

Faute d’en sortir rassuré ou totalement apaisé on vit différemment le constat médical. Mais rien n’est parfait… Le thé ou le café peuvent avoir un goût amer ou paraître léger.

L’hôpital souffre mais reste encore, à Bordeaux, une réponse publique exceptionnelle. On n’y ressent pas l’odeur du fric à tout prix. Le service public reste un patrimoine que nous voyons disparaître sous les coups de boutoir de ce monde financier obsédé par les chiffres et oublieux des missions essentielles de protection de l’Homme. Et pourtant… on l’étrangle ! 

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