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Paris by night (1): le jambon de pays

Je revins à Paris pour le Syndicat national des instituteurs mais je garde un souvenir d’un déplacement pour une grande occasion : participer à un congrès national ce qui constitua pour moi une reconnaissance officielle de mon entrée dans la cour des « décideurs ».

Lorsqu’on me parla d’être de la délégation girondine au congrès de la Fédération de l’Éducation Nationale de 1973 devant se dérouler dans la salle parisienne mythique de La Mutualité à Paris, j’en ressentis une légitime fierté. Le lieu était chargé de symbole et le contexte très particulier. Il fallait en effet des militants solides car le rendez-vous s’annonçait particulièrement animée car l’éclatement qui interviendra près de deux décennies plus tard, menaçait aus ein du mouvement syndicat enseignant.

En effet la majorité Unité Indépendance et Démocratie pouvait être mise en péril par le courant Unité et Action portée par le SNES qui ne tolérait pas la création du corps de Professeurs d’enseignement général des collèges (PEGC). La guerre débutait et allait causer la mort de la FEN.

La tension était palpable dès le mardi 27 novembre jour de lancement d’un débat. Le patron de la FEN Girondine, André Peyré, d’origine landaise, maître d’école d’application, sérieux, appliqué, méthodique, éternel fumeur de pipe était tendu car le poids de la Gironde était essentiel dans les équilibres internes et il lui fallait tenir son rang.

Nous partions d’entrée pour 4 jours pleins d’interventions musclées, de votes serrés, de coups bas et de débats houleux. La consigne du chef fut impitoyable : « vous restez à votre place du matin au soir et lors de suspensions de séance ou les repas vous en sortez pas de La Mutualité ! » Quatre jours d’enfermement démocratique avec un arrivée matinale et un départ au creux de la nuit empêchant de vivre vraiment à l’heure parisienne. Déjeuner et dîner se déroulaient dans une salle annexe et nous y allions à tour de rôle pour éviter d’être piégés par un vote à mains levées. Sorties interdites!

Malgré la tentative de la direction fédérale de galvaniser l’énergie de ses partisans, en proclamant  » l’unité de la FEN en péril » rien ne changera car le clivage était déjà trop fort. Vingt-cinq ans après sa création, l’existence même du syndicalisme enseignant autonome au sein de la gauche, à côté des grandes centrales ouvrières, devenait impossible.

Un congrès de la FEN, c’était avant tout un rituel. Un ballet d’interventions fixé selon un scénario mis au point de longue date, où se succèdaient chefs de file et obscurs responsables des divers  » courants de pensée « , dirigeants des petits syndicats et ténors des grosses organisations. Les consignes arrivaient le matin ou en cours de journée ou de nuit via des messages codés. Les thèses de chacun connues à l’avance, puisqu’elles étaient publiées, avant le congrès, dans la revue de la FEN, l’enseignement public étaient longumeent présentées. Michel Bouchareissas, Guy Georges ou André Henry affutaient leurs voix et leurs armes stratégiques

Cette année-là, la liturgie fut bousculée par l’adjonction à l’ordre du jour d’un  » manifeste pour l’unité et la responsabilité de la FEN », sorte de mise en garde solennelle demandant le respect des statuts et de la discipline interne. Cette dramatisation ne provoqua pas de discussion passionnée. Tout le monde s’en moquait. Le ton modéré des leaders de la principale opposition (Unité et Action, où l’influence des militants communistes étaient prépondérante), le sentiment largement répandu que, manifeste ou pas, rien ne changerait, la volonté des uns et des autres de se poser en vrais champions de l’unité, contribua à tempérer les enthousiasmes ou les fureurs. La guerre s’éteignit mais le feu couvait sous la cendre des discours.

Ce débat sur la vie interne de la FEN permit de poser clairement certaines questions, notamment les limites de l’autonomie de chaque syndicat adhérent, et l’étendue de la responsabilité de la direction fédérale. En fait la rivalité resta essentiellement politique après une élection présidentielle de mai qui avait vu le candidat de l’union de la Gauche François Mitterrand chuter d’extrême justesse devant Valéry d’Estaing. Parti socialiste et communiste s’affrontaient par syndicats interposés. Une leçon extraordinaire de dialectique politique pour un « jeune » pas encore engagé en politique !

Le débat sur les questions pédagogiques pourtant essentiel fut complètement escamoté. La proposition du Syndicat national des instituteurs (SNI) d’une  » école fondamentale  » (1) pour la durée de la scolarité obligatoire, le grave problème de l' » inégalité des chances  » et de la sélectivité du système scolaire, soulevé par tous les syndicats, le projet de réforme du second degré, qui a motivé récemment, le colloque national sur l’éducation, etc., ne feront l’objet d’aucun débat sérieux. Rétrospectivement les sujets n’ont pas changé et n’ont jamais reçu de réponses !

Le congrès s’achèvera donc le vendredi 31 novembre en fin de nuit. Nous ne pouvions rentrer que le samedi matin. André Peyré dont la pipe avait fonctionné comme un haut-fourneau durant les jours précédents goûta à l’air encore pur de la capitale. Il proclame la « libération » et lança : « ce soir la FEN vous invite au restaurant car il y en marre de la cantine ».

Nous voici partis dans une rue adjacente à notre hôtel à la recherche d’un brasserie. « Faites vous plaisir annonce le secrétaire départemental de la FEN et s’adressant au serveur il lui demanda :  » Moi j’en ai marre de leurs menus aux noms compliqués avec des sauces immangeables. Pouvez-vous me faire deux œufs sur le plat avec une tranche de jambon de pays ?

-Bien sûr Monsieur. Pas de problème… Au jambon de pays ?

Oui monsieur : une bonne tranche de jambon de pays ! »

Les commandes fusèrent et les plats finirent par arriver après que la première bouteille de Bordeaux ait disparu. Le serveur tendit une assiette à André Peyré avec deux œufs déposés sur une semelle de jambon blanc dure, cassante comme du cristal.

Mais je vous avais demandé du jambon de pays. C’est pas ça… je ne veux pas ça « protesta le convive désappointé !

– Si monsieur c’est du jambon de… Paris ! » J’en ris encore

(1) L’école fondamentale fut une superbe idée qui échoua à cause des rivalités politques sur les personnels des collèges. Elle fut portée par Guy Georges en 1976. Elle est actuellemnt reprise par l’enseignement catholique. 

La photo de la délégation en bandeau. Je suis à la gauche d’André Peyré (au centre) et à sa droite c’est Jacques Lalanne…

Cet article a 2 commentaires

  1. Puyo Martine

    Bonjour Jean-Marie,
    et à l’extrême droite (!) il me semble M. Michel CARTY de Carbon-Blanc

  2. J.J.

    Étant d’une naïveté indécrottable, je n’ai jamais compris ces dissensions, luttes fratricides et suicides collectifs, à cause de petites querelles d’ego, de susceptibilités « de gazelles », alors que nous avons un but commun .
    Naïvement, pour moi, notre syndicat devait prendre la défense de notre école, de nos élèves et de nos intérêts professionnels.

    Or certains, par obstination quasi fanatique, et pour la satisfaction d’avoir raison ou d’empêcher les autres projets ou organisation de réussir, car n’étant pas de leur « cru », certains dis-je, n’hésitent pas à saborder l’intérêt général.

    On ne doit pas forcément tout accepter, certes, mais parfois, avec un peu de bonne volonté, on peut avancer.
    Naïvement, fidèle à l’impératif catégorique kantien, j’ai le plus souvent sacrifié mon intérêt personnel à l’intérêt général, ce qui m’a valu de ne pas aller très loin ; mais en espérant n’avoir nui à personne, ça me permet de garder ma conscience en paix.

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