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Télé Paris : le fou rire du soir

Les « étranges lucarnes » comme les appelaient le Canard enchaîné sous la plume d’André Ribaud dans des chroniques mémorables, méritent parfaitement cette qualification quand on vit l’autre coté de l’écran. A Paris, entrer au printemps 1984 dans l’envers du décor, constituait pour le « journaliste » passionné mais frustré par une expérience manquée (1) que j’étais, un privilège inespéré. Il était dû à une initiative du meilleur Ministre qu’ait eu selon moi, l’Éducation nationale : Alain Savary.

En avril 1983 il avait créé le Centre de Liaison de l’Enseignement et des Moyens d’Information (CLEMI) pour « promouvoir, notamment par des actions de formation, l’utilisation pluraliste des moyens d’information dans l’enseignement afin de favoriser une meilleure compréhension par les élèves du monde qui les entoure tout en développant leur sens critique ». A cet effet fut sélectionnée et formée une promotion de conseillers en charge de cette animation afin de mettre en pratique dans les établissements cette volonté extraordinairement lucide d’Alain Savary. Je fus donc envoyé en stage à Paris durant trois semaines!

Grâce à Michel Fradet que le côtoie au sein du service des sports du journal Sud-Ouest je peux accéder à la mythique équipe qui sévit à Antenne 2. Tous appartenaient à la légende du journalisme sportif. Un chef emblématique, Robert Chapatte qui carbure au jaune et sprinte vers la retraite ; le héraut du ballon ovale Roger Coudert vient de s’éclipser mais tout le monde ne parle que de lui et pas encore de son successeur Pierre Salviac; Thierry Roland qui vient bosser en jean et en voisin au dernier moment car il habite avenue Michel Montaigne où se trouvent les bureaux : un trio vraiment extra…ordinaire !

Tout les reste de la troupe de ces artistes de la télévision (Jean-Michel Leulliot, Jean-Paul Ollivier, Richard Diot, Jean Marquet, Bernard Père, Jean Mamère, Pierre Fulla, Jo Choupin, Alain Vernon et un certain Roger Zabel) constitue un kaléidoscope de caractères et de compétences assez étonnant. Je les verrai passer de temps à autres régler leurs affaires personnelles, leurs déplacements, leurs collaborations extérieures et quelques reportages quand ils n’avaient pas de directs en vue le week-end.

Vivement recommandé par Michel Fradet je suis accueilli avec mansuétude par le secrétaire général qui tente de bâtir un emploi du temps et de gérer les égos. « Alors c’est Michel qui t’envoie?  Tu ne vas pas rester à classer les dépêches. Tu vas être le « double » de Roger Zabel (2) ce qui te permettra de vivre de l’intérieur l’information à Antenne 2. Il est chargé des relations avec les journaux télévisés. Tu pourras assister aux conférences de préparation… Ça te va ? » Comment refuser une telle proposition. Je suis aux anges. Je jubile. « Tu suis Roger et tu te calques sur son emploi du temps ! » ajoute mon protecteur. Une grande aventure débute.

Roger Zabel m’accueille avec sympathie et me présente le déroulement d’une journée. Il est chargé de proposer les éventuels reportages du service des sports sur des événements du jour dès la la première conférence de rédaction en fin de matinée pour le JT du 20 heures. Il reviendra en fin de soirée. Il annonce à Patrick Poivre d’Arvor, présentateur ce jour-là que « Björn Borg, tente un retour gagnant au tournoi de Monte-Carlo… » J’assiste aux tractations des chefs de service pour placer leur reportage.

Roger Zabel pour sa part n’en a cure… et dès le retour il s’éclipse ! Il me laisse seul avec comme consigne de regarder le match à la télévision. Je m’acquitte de ma tâche avec passion. Borg a passé le premier tour mais ce 31 mars il trouve sur la route Henri Leconte, un jeune Français qui monte. Après une bataille homérique ce dernier devient le dernier joueur à battre le Suédois qui se retire du circuit à 26 ans. C’est vraiment un moment fort !

J’attends patiemment le retour de mon « tuteur » qui déboule mèche au vent vers 17 h. Il s’enquiert du résultat que je m’empresse de lui donner. « As-tu enregistré des images ? ».

Sa question me secoue et j’avoue  : «  non ! Je savais pas ! Leconte a gagné 4-6, 7-5, 7-6 c’était serré ! »

-Merde. On va se débrouiller ! T’en fais pas ! »

Zabel se saisit du téléphone et dialogue avec celui qui visiblement un pote à lui. Il négocie l’achat d’images d’un film retraçant la carrière du « retraité » trouvant que l’adoise est élevée. Il finit pas céder. 17 h 30 nous filons vers le dernier ajustement pour le 20 heures. Il vend la défaite de Borg comme l’événement du siècle et décroche un titre et quelques secondes chez PPDA oubliant de préciser que nous n’aurons que des archives… Mieux il obtient de participer au journal de la nuit présenté par Claude Sérillon. Il me prend à témoin :

« Tu vas voir. Tu connais La Coupole ?

Non !

Ce soir tu découvriras ! »

Il disparaît à nouveau après avoir effectué les montages destinés aux JT portés par un commentaire qu’il a vite tapé sur une machine à écrire. Je dois photocopier sa transition car il sera présent sur le plateau (et moi dans un coin) aux cotés de Sérillon pour lancer son « reportage ». Il s’installe en jean mais avec un veston de réserve qu’il garde sur un cintre dans un placard. Il se place en duo avec le présentateur. « Alors c’est vraiment fini pour Björn Borg ? » s’enquiert ce dernier confiant (3)

Zabel a le sourire : « Et oui il a battu en retraite devant un « Riton » » ! » répond mon maître de stage surprenant son collègue. Sérillon réputé pour ses fous rires ne résiste pas cette fois encore. Durant la diffusion de le rétro sur la carrière du Suédois Zabel est satisfait… heureux comme un gosse qui a fait une bonne blague : «  Tu sais ce que ça te coûte ? »  dit-il avant que les caméras se retrouvent en direct. Il se lève et me glisse en sortant : « Tu me suis on va à la Coupole et c’est lui qui paye ! C’est comme ça chaque fois celui qui pique un fou rire sur le plateau invite l’autre ! ». Je découvre les délices des étranges lucarnes…et rétrospectivement je les savoure !

(1) Une année passée à Bordeaux Actualités

(2) Roger Zabel n’est resté très peu de temps aus ervice des sports d’Antenne 2 avent de rejoindre canal+

(3) Borg reviendra sur un court un an plus tard et sera à nouveau battu par Leconte

Cet article a 3 commentaires

  1. Puyo Martine

    bonjour,
    merci pour ces petits récits, de quoi sortir un livre de souvenirs.
    quelle vie bien remplie !
    à demain la suite.
    bonne journée

  2. Bruno DE LA ROCQUE

    D’entrée de lecture la photo de Roger Zabel s’impose à moi et les souvenirs du boy-scout qu’il a été (avec son frère jumeau) et que j’ai eu en 1965 ou 1966 dans un camp que j’avais dirigé en Normandie regroupant mes quatre « patrouilles libres » du vignoble champenois et la troupe de rangers d’Épernay qui, d’ailleurs, avait été montée sous l’autorité de son père, commissaire départemental des Scouts de France…

    Je suis ravi (et même plus) des mots concernant Alain Savary, grand résistant, grand militant et responsable socialiste, un peu maltraité en 1971 à Épinay, et plus tard fort maltraité par le président (issu de nos rangs) de la république. Pour moi victime expiatoire du projet de SPULEN et bouc émissaire suite à l’énorme manifestation des droites et des milieux catholiques en juin 1984. Merci Jean-Marie.

  3. Darmian-Gautron

    Et grâce à ce stage nous avons pu durant des décennies avoir sur le frigo à la maison les aimants de la météo que tu avais eu l’idée de ramener à tes filles pas peu fiers d’avoir ces trophées de la télé à la maison

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