Les "enfants" de Danielle Mitterrand au cœur du conflit syrien

Dans un entretien à Sud Ouest Dimanche Michel Rocard livre sa vision sur l’actualité avec son parler vrai habituel qui le quittera que le jour du grand silence. Il a une fois encore des analyses à contre-courant de l’opinion dominante et des facilités désastreuses du prêt à porter idéologique. C’est ainsi qu’à propos des événements actuels en Syrie il explique avec lucidité que «  le but est que l’avenir de la Syrie redevienne une affaire locale, ce qui n’est plus le cas ». En effet l’objectif de Daesh reste de mondialiser une guerre qu’il a réussi à porter de l’intérieur syrien et irakien vers tous les continents. Des criminels masquant leurs idées moyenâgeuses derrière des arguties religieuses ont « exporté » leur ignominie sur tous les continents.
Rocard a donc parfaitement raison en rappelant que la solution ne passe pas nécessairement par des interventions militaires venues d’ailleurs mais par le soutien aux véritables adversaires sur le terrain d’un « califat » épouvantable. Tout le monde reconnaît en effet que sans intervention humaine terrestre la fin de l’EI ne sera qu’une utopie puisque désormais des groupuscules terroristes ont quitté leur « territoire » pour essaimer sur tous les continents. Et dans cette optique il paraît indispensable de participer aux combats locaux menés par les seuls véritables adversaires de Daesh que sont les Kurdes ! Or on reste encore en France et en Europe en général soumis à la volonté turque de tout faire pou empêcher justement que le PKK, parti autonomiste considéré lui-aussi comme terroriste par le « calife » Erdogan, puisse reconquérir des espaces ou des villes tenus par les pilleurs et les tueurs prétendument mandatés par des religieux sans aucun scrupule.
Aujourd’hui on peut se souvenir un instant de la mort de Danielle Mitterrand il y a maintenant 4 ans. Elle n’a cessé tout au long de son engagement résolu et lucide de plaider la cause de ce peuple qui a toujours su faire vivre une démocratie laïque dans des contextes parfois extrêmement difficiles. Elle les considéraient comme ‘ »ses enfants » ne se souciant peu des considérations politiciennes occidentales. Or ils se trouve que les temps ont bien changé. Alors qu’il faudrait absolument aider tous les Kurdes pour restreindre l’influence de Daesh il existe un véritable ostracisme à l’égard du parti Ouvrier du Kurdistan qui lutte seul, sans aucun lien avec la coalition internationale, pour par exemple reprendre Sinjar ville clé de Syrie. Pas de munitions, pas d’armes, pas de soutien par le renseignement, pas de contact sous les bombardements, aucune présence militaire puisque Erdogan a ouvertement condamné leurs actes et les as ostracisés par rapport à l’EI !
L’armée du PKK pourtant au moins aussi efficace que celle des peshmergas obtient des succès au prix de sacrifices impliquant hommes et femmes. Ce sont eux qui ont pris la défense des Yazidis et qui les organisent pour se défendre contre de nouvelles attaques. N’empêche que la priorité de la Turquie reste d’empêcher toute autonomie kurde en Syrie, jusqu’à utiliser l’EI contre l’expansion territoriale du Parti de l’union démocratique (PYD), allié syrien du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Lors de la bataille de Kobané à l’été 2014, elle a empêché des renforts du PYD de rejoindre les éléments de ce parti kurde syrien qui tenaient seuls la ville face à Daesh Et n’a autorisé, in extremis, que des renforts de Kurdes irakiens du Parti démocratique du Kurdistan (PDK). Aujourd’hui, son aviation pilonne essentiellement les Kurdes syriens, et non pas l’EI ; Il faudra gérer cette réalité dans une région où tout et son contraire existe !  
Sur ce champ chaotique qu’aucun acteur ne contrôle véritablement, s’étend et prospère le djihadisme comme jamais il n’avait prospéré, avec des branches et sous-branches toujours plus étendues et actives, en Syrie, en Irak, au Yémen, en Égypte, mais aussi au Liban et en Turquie. Autrefois limité et «  hors-sol  », il s’est crée des territoires à cheval sur la Syrie et l’Irak qui lui permet d’avoir des moyens pour « exporter » ses pratiques relevant de crimes contre l’Humanité et pas seulement d’actes terroristes. Son recrutement reste très large et des allégeances se ramifient en Libye qui risque de tomber prochainement entre ses mains, dans le Maghreb, dans le Sahel. Ses noms évoluent, ses formes changent, mais le phénomène s’accroît à tel point qu’il s’inscrit dans l’agenda de tous les acteurs impliqués au Proche-Orient. Plus que jamais une conférence internationale locale sous l’égide d’une ONU qui est bel et bien dans cette affaire un « machin » inutile s’avère indispensable pour clarifier l’après EI car la période de l’émotion mondialisée oubliée on traversera une crise pouvant être encore plus grave. Rocard, encore une fois à raison : redonnons une dimension locale à ce conflit et évitons d’en faire une « guerre » des civilisations car c’est le piège !

Cet article a 3 commentaires

  1. J.J.

    – Aujourd’hui on peut se souvenir un instant de la mort de Danielle Mitterrand il y a maintenant 4 ans. Elle n’a cessé tout au long de son engagement résolu et lucide de plaider la cause de ce peuple …..-

    Je n’y pense pas seulement aujourd’hui, j’y pense souvent et je suis scandalisé quand je vois que l’on soutient cet espèce de sanglant calife de carnaval qui dirige la Turquie (nous avons hélas en France des personnages qui le valent bien…)

    Les Kurdes, qui font héroïquement cause commune avec les adversaires des extrémistes du soi disant EI, sont toujours considérés comme terroristes, non seulement par le pouvoir turc ( normal on ne peut pas demander à un agité du bocal religieux comme Erdogan d’avoir une attitude sensée et objective) mais par des états qui normalement devraient avoir pour seul but d’aider les forces qui combattent ce ramassis d’assassins.

    Je ne comprends pas, il est vrai que je ne suis pas étasunien, je ne fais partie ni du « machin », ni de l’OTAN….

  2. C.R

    J’espère de tout coeur que vous serez entendu.Bonne journée

  3. faconjf

    Bonsoir,
    Dans une tribune publiée le 12/12/2014 dans le quotidien Libanais L’orient le jour M. Rocard
    indique (fin 2014 période de négociation de L’IRAN pour sortir de l’embargo)
     » On sait que depuis bien des siècles, un millénaire en fait, le monde de l’islam vit un conflit profond entre deux lectures de la tradition. Les majoritaires, sunnites, plus de 70 % du monde arabe, se veulent orthodoxes et considèrent les minoritaires, chiites, comme des hérétiques, et réciproquement. La haine est inextinguible »
    et plus loin
     » L’on a en Syrie une situation presque inverse mais analogue. Dans la mosaïque de ce pays, des druzes, des Kurdes, des chrétiens, quelques juifs, des chiites, la majorité est sunnite. Un dictateur laïc, Bachar el-Assad, effroyable lui aussi, maintenait un ordre extrêmement brutal mais appuyé par toutes les minorités qu’il défendait contre les sunnites dominants. Assad lui-même est alaouite, une petite secte issue du chiisme, donc minoritaire. La volonté occidentale de se débarrasser de lui au nom des droits de l’homme et de la démocratie, visions occidentales chaleureuses mais inconnues et sans racines dans tous ces pays, a été prise par les sunnites comme l’annonce d’une libération possible de leur oppresseur et comme une incitation à anticiper la guerre de libération… Or, ces sunnites-là sont proches des Saoudiens et appartiennent donc au wahhabisme, l’école de pensée la plus intolérante de tout l’islam. De ce fait, ils encouragent et protègent l’émergence de l’État islamique d’Irak et de Syrie, qui se veut califat et annonce une guerre d’extermination aussi bien contre les chrétiens, pour eux les croisés, que contre les chiites. »
    et encore
     » L’armée la plus puissante au milieu de tout cela est l’armée turque. Elle n’est pas arabe, mais elle est sunnite, et le gouvernement turc cherche peu à cacher son absence d’antipathie pour l’État islamique en interdisant notamment à ses propres Kurdes de soutenir les Kurdes voisins d’Irak subissant l’assaut de l’État islamique.
    Assad devient donc nécessaire à la défense générale contre les tueurs de l’État Islamique. Et l’adversaire majeur de l’État islamique en cause est l’Iran, meilleur fédérateur possible même des Arabes chiites. Même l’Arabie saoudite fait cette analyse. Elle aussi a compris que même un sunnisme modéré est intolérable aux jihadistes. »

    http://www.lorientlejour.com/article/900580/tempete-au-moyen-orient.html

    L’analyse brillante de Rocard serait complète si il avait ajouté que le poison diffusé dans les mosquées salafistes de notre territoire à été payé par les pétromonarchies wahhabites.

    Les paroles pleines d’humanité et de sagesse de Madame Danielle Mitterrand nous manquent beaucoup pour défendre les valeureux Kurdes qui paient de leur sang la Liberté, la leur et aussi la notre!!!

    Salutations Républicaines

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