Une laïcité vivante pour un débat sur la fin de vie

Discours personnel d’ouverture prononcé au nom du président du Conseil départemental au colloque  » Quelle loi sur la fin de vie » rassemblant représentants des cultes musulman, juif et catholique; des médecins, des juristes et des citoyen(ne)s engagés.

« C’est avec un grand plaisir et une certaine fierté que je vous accueille au nom de Jean-Luc Gleyze Président du conseil départemental dans cet amphithéâtre Robert Badinter pour ce colloque autour le « la loi sur la fin de vie », sujet extrêmement actuel dans notre société perturbée.
Permettez-moi justement de souligner la qualité essentielle de votre rencontre, en ce lieu en ces temps troublés : une authentique illustration de la laïcité, de la fraternité au service de cette République parfois menacée mais aussi souvent tremblante sur ses valeurs. Vos différences, vos spécificités, vos analyses religieuses ou philosophiques constitueront un enrichissement pour les politiques chargés de faire la loi. Vous apporterez une contribution citoyenne intelligente, positive, à une réflexion durant depuis des années et qui, autorisez moi à vous le dire, ne trouvera jamais d’issue parfaitement satisfaisante car chaque fin de vie peut-être particulière, difficile, éprouvante, terrifiante ou paisible.
Votre présence, votre démarche dans cette salle sont totalement inhabituelle. Vous retrouver, unis par la volonté de contribuer à l’application d’une loi, dans l’amphithéâtre Robert Badinter, n’a rien d’ordinaire. Elle a même pour moi une valeur hautement symbolique.
Robert Badinter qui a en effet lutté de toutes ses forces physiques et intellectuelle contre une mort justement décidée par des hommes pour d’autres hommes en s’appuyant sur la loi peut être un ferment de vos débats. Il y a maintenant presque 34 ans, le 17 décembre 1981, il menait le plus beau combat qu’un homme politique puisse mener, celui d’éviter que des hommes puissent se transformer en loups pour d’autres Hommes. Il a déclaré dans son discours à l’Assemblée nationale resté dans l’Histoire de notre République : «  La conjonction de tant de consciences religieuses ou laïques, d’hommes de Dieu ou d’hommes de liberté, en une époque où l’on parle sans cesse de crise des valeurs morales est significative ». Je crois en effet comme lui que, dans ce monde où on cultive l’affrontement plutôt que le dialogue, la haine farouche plutôt que le le respect tolérant, la mort violente plutôt que la vie sereine revêt une importance « significative » dans cet amphithéâtre laïque ouvert en permanence aux autres, ouvert sur les échanges, ouvert sur la solidarité humaine vertu cardinale des compétences du conseil départemental.
Votre réflexion de ce jour est pleinement utile à notre collectivité territoriale jouant un rôle clé dans la « fin de vie » à travers ses liens avec les Établissements d’Hébergement pour Personnes âgées dépendantes où arrivent de plus en plus tardivement les Girondines et les Girondins. Nous nous efforçons de veiller à ce que tous les établissements d’hébergement sous notre tutelle la dimension de l’accompagnement des résidents en fin de vie soit prise en compte dans tous les projets ou dans toutes les conventions tripartites. Formation des personnels, liens formalisés avec les unités de soins palliatifs, équipements spécialisés sont des priorités d’action en faveur de la fin de vie. C’est désormais essentiel pour l’appréciation que nous devons avoir sur les lieux d’accueil.
A cet égard je voudrais à cet égard vous faire part de mon expérience strictement personnelle dans ce domaine que la loi ne résoudra vraiment jamais. J’ai en mémoire à cet instant le regard dur, pénétrant, suppliant, réprobateur de mon propre père atteint de par la terrible maladie évolutive de Steele et Richardson. Inexorablement il avait perdu toutes les fonctions cognitives : plus de paroles, plus de gestes, plus d’expressions, plus de vie simplement durant de longs mois. Chaque fois que je croisais son regard perdu dans le vide ou le néant je ressentais une forme de supplication muette, profonde, violente pour que moi, son fils, je le sorte de ce carcan de douleurs et de mort physique. Que dire ? Que penser ? Que décider ? Que donner ? Que faire ? Je sais ce que l’on ressens et je ne le souhaite à personne ! Je ne vous souhaite jamais d’affronter ce regard et le débat de ce jour me touche profondément.
Je voudrais évoquer en ces circonstances les déclarations de Michèle Delaunay lors d’une récente affaire judiciaire qui a défrayé la chronique de la fin de vie ; « Il y aura toujours un colloque singulier entre la personne qui est là, le médecin et celle qui va se retirer, qui va mourir. A ce moment là la loi devra se retirer… » Elle a pleinement raison mais le doute demeure sur le « moment » où la loi doit se retirer. Chacun des intervenants de ce jour aura probablement son interprétation de ce que la loi peut faire mais surtout ne doit pas faire. Je crois comme elle à l’imperfection en ces instants décisifs de tous les textes réglementaires qui ne peuvent pas et ne pourront jamais réguler le cheminement exigeant des consciences.
Je vous félicite et vous remercie à nouveau de votre courage collectif car il faut en avoir un dimanche de décembre pour oser aborder les conditions de la fin de vie, toutes options philosophiques ou religieuses réunies alors que les cicatrices de événements barbares du 13 novembre sont encore béantes. Je vous invite à réfléchir sereinement , à vous enrichir de vos différences, éventuellement de vos divergences, à vous essayer à donner un sens à votre engagement quel qu’il soit.
La vie doit inclure la mort qui pour moi n’est que l’acte final plus ou moins tragique du grand théâtre de la vie. Quelle place doit trouver la loi ? Je reprendrai un extrait des propos tenus par Philippe Madrelle le 24 mars 2009 dans cet amphithéâtre en présence de Robert Badinter : «  le droit est l’art du bien et du juste. La relation du droit et du fait paraît toujours caractérisé soit par l’excès de droit , comme si le droit étouffait la vie, soit par l’absence de droit comme si le droit oubliait de nommer la vie ! ».
C’est le cœur de votre colloque. Seule une vraie laïcité pleine et entière vous permettra vous d’en débattre et c’est déjà en ces temps terribles une véritable réussite. (…)

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