Malheureux soient les pisse-vinaigre !

Repas de gala, hier à midi, dans les salons du Palais Rohan, siège de la mairie de Bordeaux. Alain Juppé accueille la presse, et plus encore, une importante délégation officielle québécoise conduite par le Maire de la capitale de la Belle province. Le repas est solennel, et j’ai véritablement la sensation d’être une pièce rapportée, inconnue de tout le monde, et très éloignée de ces mondanités, accompagnées d’une fabuleuse liste de grands crus à déguster, dont un château Yquem 89. Les hasards de la répartition protocolaire des places me permet de me retrouver aux côtés de Jean Luc Hees, le patron de Radio France. Je n’en crois pas mes yeux, avant de ne pas en croire mes oreilles. Alain Juppé s’approche, et sans que je sois certain qu’il me connaisse, il me conte avec une jubilation particulière l’émission « le Fou du roi » dont il sort. Je sens bien qu’il a passé des moments particulièrement agréables, dont il a apprécié le contenu. Il jubile. Il n’ose pas dire que les adieux de Didier Porte lui ont mis du baume au cœur, car son grand ami de toujours, Nicolas Sarkozy, en a pris pour son grade présidentiel de manière indirecte. Il n’en dira pas plus… mais il n’en pense pas moins.
Jean Luc Hees n’a pas le même sourire éclatant que son hôte. Il est loin, très loin de ce repas, avec filet de bison canadien au menu. Il sait que la situation est plus qu’ inconfortable, après le licenciement de Guillon et Porte et… la démission de Morel. Il a la gueule du gars préoccupé par l’obligation d’assumer des décisions dont l’éthique est, pour le moins discutable, au pays des Droits de l’Homme. Mon voisin de… droite se lance dans une longue diatribe pour… le féliciter de son courage. « Ces gars là dépassaient les bornes, lui dit-il. Ils se croyaient tout permis. Je vous félicite pour votre courage. » Je ne bronche pas, car la réponse confirme mon impression. « Merci. Vous savez, actuellement les déclarations de ce genre sont très rares… ». Je ne peux retranscrire cette conversation qui me laisse pantois. Entre deux avions, le PDG de Radio France, nommé par le Chef de l’État français, est venu assister aux adieux de Didier Porte, dans l’enceinte symbolique du Grand Théâtre de Bordeaux.
C’est sous les applaudissements nourris de plus de 200 spectateurs que l’humoriste, licencié par le patron de France Inter, Philippe Val, dont on connaît le passé gauchiste, a, en effet, fait à Bordeaux sa dernière chronique pour l’émission « Le fou du roi » animée par Stéphane Bern. Il a été sobre mais d’une dureté qui fait mouche. « Vous savez, me raconte Alain Juppé, il a repris les propos de son directeur, expliquant qu’un auditeur sur deux approuvait son licenciement… il a interpellé le salle pour un sondage grandeur réelle : Approuvez-vous mon départ ? Pas un bruit. Rien. Le silence. Condamnez-vous mon licenciement, un tonnerre d’applaudissements. Le coup était super… » L’ex-Premier Ministre était ravi de cette sortie en fanfare et faisait partager ce qui ressemblait à son enchantement d’avoir pu partager cette dernière apparition de Didier Porte.
En effet, quelques minutes avant l’entrée en scène du chroniqueur, Alain Juppé, invité de l’émission, avait fait allusion au licenciement de l’humoriste en disant qu' »il faut faire un peu attention quand même ». « Les hommes politiques sont des hommes, parfois ça blesse, ça fait mal », déclare-t-il tout en faisant sienne cette parole de Voltaire: « Même si je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, je me battrai pour que vous puissiez le dire ». C’était clair, et le sous-entendu préludait à ce qui allait suivre. Très vite, vint l’intervention du chroniqueur, accueilli sous les acclamations nourries d’un public debout. Il termine son billet en affirmant, avec sérieux, « qu’aucun directeur ou patron de cette station, aussi médiocre ou mal intentionné soit-il, n’a jamais réussi à briser France Inter, qui a toujours été plus forte que ces dirigeants, grâce à vous »… Un appel au peuple des auditrices et des auditeurs qui ressemblait à celui du 18 juin, et qui combla la salle copieusement garnie.
« Ne leur en voulez pas trop, moi, je sais que ce qui m’arrive n’est pas de leur faute, le vrai commanditaire de notre licenciement (…) je le connais, je ne l’ai pas vu, mais je l’ai tout de suite reconnu à son style inimitable, et vous savez ce qu’il disait à Guillon et à moi : « cassez vous, pauvres cons » », concluait-il. Cette ultime sortie a enchanté Alain Juppé, qui la racontait avec jubilation. Le « cassez-vous pauvres cons » venus de l’Élysée devient en effet une constante de la gouvernance présidentielle. On destitue, on nomme, on récompense, on blâme, on accable, on loue sans aucune retenue, sans aucune gêne. C’est devenu une constante, digne des républiques d’une autre époque, ou mieux de régimes d’un autre siècle. Jean Luc Hees, responsable mais surtout pas coupable des décisions prises par Philippe Val expliquait à son zélateur qu’il avait le sentiment « d’avoir accompli son travail ». Il l’affirme, comme il l’avait déclaré au journal Le Monde : «J’assume.» «Si l’humour se résume à l’insulte, je ne peux le tolérer pour les autres mais aussi pour moi. […] J’ai un certain sens de l’honneur : je ne peux accepter que l’on me crache dessus en direct.» Val a abondé : «Où, ailleurs, peut-on supporter une chose pareille, se faire pourrir à l’antenne, c’était une atteinte à notre honneur et à notre considération, en permanence», a déclaré à l’AFP l’ancien chansonnier et ex-directeur de l’hebdo satirique Charlie Hebdo. Les porte flingues ont l’épiderme des autres… sensible. Une célèbre journaliste anglaise me confie qu’elle ne peut pas toujours donner la même note au même vin d’un grand cru. « ça dépend avec qui je le bois, du cadre dans lequel je suis. Le vin c’est le révélateur de notre bonheur ou de notre tristesse… » me dit-elle. « les lecteurs de mon blog ne le comprennent pas toujours, et je suis obligée de leur expliquer qu’un vin n’a jamais la même valeur ».
Jean Luc Hees trempe donc à peine ses lèvres dans des breuvages que je trouve sublimes. J’ai la conscience tranquille… et je suis libre. Tout PDG de Radio France qu’il est, il ne peut pas ressentir ce que je ressens, car ces grands crus ne peuvent effacer le goût amer des gens qui ont préféré les consignes à leur conscience. En fait, après sa chasse aux humoristes, ce gars là est entré dans la catégorie des collaborateurs pisse-vinaigre. Les pires sont ceux qui devancent l’appel, en devançant les désirs des princes, pour se permettre de ressasser qu’ils ne les ont jamais rencontrés. Que mon Yquem 89 m’enchante ! Il est franc, ambré, fruité, pas trop sucré… Je le déguste à petites gorgées, avec délectation, à la santé de Guillon et Porte, qui, j’en suis certain, sont plus dangereux « morts » au champ de l’honneur du « journalisme » que vivants enchaînés.

Créon a toujours accueiili les humoristes intelligents et décapants. La preuve : http://www.telecanalcreon.fr/spip.php?article314&var_recherche=porte

Cet article a 6 commentaires

  1. Annie PIETRI

    Un vrai régal…. Merci de nous l’avoir fait partager !

  2. Danye Cortot

    je serai la deuxième lectrice qui partage le même sentiment après la lecture sur le licenciement des 2 journalistes. Toujours si vrais … les écrits de Jean Marie.

  3. J.J.

    Encore ue fois, bravo et merci Jean Marie pour cette belle page et cet hommage aux deux humoristes victimes de la vindicte maggyar, relayée par les dirigeants de France Inter, devenus experts dans le retournement de veste et la consommation de couvre chefs.

    La prochaine fois, comme le chante Jacques Dutronc, ils retourneront sans doute leur pantalon (après l’avoir baissé eux aussi ?).

  4. Raymond

    Merci JM de nous avoir regale de bons mots et de bons vins.Je me disais qu’après tout cela tu avais du « pisser du velours ».
    Amities

  5. Jean SAMENAYRE

    J’espère que ces humoristes rebondiront, et si possible ensemble, dans d’autres médias pour flinguer encore. En tout cas, je vous invite à tou(te)s à aller les voir lorsqu’ils passent près de chez vous. A Créon nous avons eu le bonheur de recevoir Didier Porte, ce fut un régal (http://www.telecanalcreon.fr/spip.php?article314&var_recherche=porte). Messieurs Guillon, Morel et Porte, simplement, merci.

  6. Suzette GREL

    Ton article est lui aussi  » ambré, fruité et peu sucré » un vrai régal que je déguste sans recracher…
    Encore une fois merci et retrouvons vite du « Guillon et du Porte » sous toutes les formes !

Laisser un commentaire