Ces chansons qui leur ressemblent…

« Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil 
! »

Je suis certain que vous connaissez, vous aussi, le refrain de la célèbre chanson de Charles Aznavour. Elle passera peut-être dans l’émission de télé sur France 3.  Elle évoque un lieu où j’aime bien flâner en période estivale : les ports ! Pas ceux, anonymes, qui étirent des kilomètres de quais pour un accueil le plus court possible, d’immenses cargos dont le pont héberge des empilages de containers, ou dont les flancs regorgent de produits en vrac, toujours nauséabonds ou salissants. Celui d’Aznavour poussait au plus beau des rêves de l’été, celui qui vous conduit vers des pays lointains, aventureux, différents, où on espère une autre vie. Un peu comme l’autre chanson de Bécaud qui lui aussi partage le besoin des gens d’une époque d’aller voir ailleurs si le bonheur peut se conjuguer au futur :

Oui j´irai dimanche à Orly.
Sur l´aéroport, on voit s´envoler
Des avions pour tous les pays.
Pour toute une vie… Y a de quoi rêver.

L’été ne porte plus beaucoup de songes d’évasion lointaine, car la crise a ramené par force aux réalités de la proximité. Il n’est même plus possible de laisser vagabonder son esprit devant un paquebot ou un Boeing, en raison des mesures d’éloignement imposées par les menaces aggravées du terrorisme. La vraie pancarte qu’il faudrait dans les ports ou les aéroports se résumerait en un « il est désormais interdit de rêver ! » Contrôles en tous genres, tampons agacés, patrouilles armées… on ne peut plus entrer dans le cercle des privilégiés pouvant s’offrir le dépaysement ! L’imagination a quitté le pouvoir. Il reste, en revanche, la misère que le soleil ne peut pas emporter ou effacer dans les cales d’un bateau ou dans les soutes d’une avion. Elle ne disparaît pas avec l’été comme un bloc de glace sociale qui fondrait au moindre rayon chaleureux. Au contraire, elle se cache à l’ombre où elle chemine dans la discrétion et l’indifférence. Pour la découvrir il faut attendre qu’elle vienne à vous… et ce matin elle est entrée dans mon bureau

Dans ces cas là, le trajet n’est jamais lointain, mais il ressemble à un sentier où la vie s’étiole face à une descente incontrôlable vers le désespoir. Justement, la misère est plus pénible au soleil qu’elle ne l’est quand tout s’agite autour de vous. Quand la foule des bronzés s’agglutine sur le sable, d’autres au teint pâle s’y retrouvent (sur le sable), bien seuls face à un banquier d’autant plus intransigeant qu’il lui faut reconstruire une crédibilité à son entreprise. Il n’y a aucun répit pour les huissiers qui justement savent bien que l’hiver venu ils ne pourront plus expédier des familles dormir à la belle étoile. En été, quand certains rêvent de la seule couverture d’un ciel étoilé, d’autres angoissent en sortant de leur boîte aux lettres celle qui porte les stigmates de l’expulsion.

Depuis une semaine, les rendez-vous en mairie se succèdent et se ressemblent : les visiteurs (teuses) du matin ou de l’après-midi ont des « arriérés » divers qui les empêchent de faire ces fameux songes d’été, peuplés de châteaux en Espagne ! Des sommes supérieures à deux ou trois fois leur RSA, que le Trésor public espère récupérer par la vente de meubles de récupération…

« Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil 
! »

Ces gens là qui, au cœur de l’été enfin lumineux pour celles et ceux qui mordent dans le plaisir de vivre, ne rêvent pas d’un « pays des merveilles » mais d’un ailleurs simple, clair, dont l’horizon afficherait des certitudes. Ils n’espèrent pas « s’envoler pour toute une vie » puisqu’ils ne peuvent vivre dans le silence et l’angoisse qu’au quotidien. Le pire, c’est qu’ils n’ont plus envie du grand large, de ciel qui ne leur tombe pas sur la tête mais de libération d’une gangue de soucis qu’ils considèrent comme des malheurs injustes, au moment où partout dégoulinent les images de l’insouciance organisée. « Au bout de la terre », ce serait simplement une fuite avec le secret espoir de ne plus traîner derrière eux les casseroles de leurs erreurs. Cet été là prend des allures de refrains pour tromper l’ennui, de refrains lancinants qui reviennent le soir, de refrains qui trottent dans la tête, de refrains qui disent que demain sera forcément moins pire. Aznavour slalome dans les mots pour rappeler que l’espoir reste le meilleur produit dopant pour retrouver le sourire. Ils sortent du bureau sans illusions, mais avec simplement le sentiment d’avoir été invités au voyage vers un autre pays, et je me dis que peut-être il faudrait les emmener sur un port ou un aéroport pour qu’ils puissent goûter au spectacle :

« Ils viennent du bout du monde
Apportant avec eux
Des idées vagabondes
Aux reflets de ciels bleus
De mirages

Traînant un parfum poivré
De pays inconnus
Et d´éternels étés
Où l´on vit presque nus
Sur les plages

Moi qui n´ai connu toute ma vie
Que le ciel du nord
J´aimerais débarbouiller ce gris
En virant de bord (…)

Combien ont envie de virer de bord ? Combien ont envie de quitter la dure réalité du sol ? Pourquoi je ne sais pas les emmener ailleurs ?

Cet article a 2 commentaires

  1. Nadine Bompart

    Parce que notre époque est dure, très dure aux miséreux…
    Tu me diras, c’est pas nouveau, je ne crois pas qu’au Moyen Âge les pauvres s’en sortaient mieux…..
    Tout seul tu ne peux rien, Jean-Marie, rien sinon les aider à se dépatouiller parmi les dossiers administratifs et les aides éventuelles distillées au compte-gouttes.
    Tiens, ils viennent de me retirer 100 euros sur mon RSA, parce que je ne peux pas « justifier des démarches pour obtenir une pension alimentaire » de mon ex.
    J’ai eu beau expliquer qu’il est aussi pauvre que moi, avec 2 enfants en bas âge et le tout en Angleterre (ou je ne peux rien), « dispense de demande de pension » refusée!!!!!
    Ces gens-là incitent à la guerre! Tu ne veux pas ? On ne payera pas pour ta gentillesse!!!!!
    Toi au moins tu nous offre un visage humain de la politique, et c’est déjà énorme! Ne lâche rien….

  2. J.J.

    « Il me semble que la misère
    Serait moins pénible au soleil ! »
    La chanson est belle, c’est vrai, mais il y a longtemps que je pense q’elle ne colle en rien à la réalité, la misère est pénible partout.
    D’ailleurs il le dit bien : il lui semble, il n’en est pas sûr.
    Encore plus pénible quand on pense que l’interprète de ces belles paroles va planquer en Suisse le fric que sa chanson et ses auditeurs lui ont fait gagner !

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