Durant tout l'été évitez de vous faire moucher !

Elles ont été présentes toute la journée car elles adorent la chaleur torride qui leur donne des ailes vives et insistantes. Dès que l’on s’installe dehors pour déjeuner ou dîner, elles ne laissent aucun répit aux malheureux convives. Le poisson à la plancha ou des fromages odorants les guident inexorablement vers un lieu où elles espèrent elles aussi se délecter sous les parasols. Rien ne les arrête dans cette quête éperdue de sucs résiduels dans un plat ou une assiette. Les mouches tournoient dans l’espace proche, prêtes à atterrir sur tout ce qui fait ventre. Agaçantes et impudentes, elles se moquent pas mal des moulinets de ces hommes qui se gobergent alors qu’elles n’espèrent que d’ infinies parcelles du festin.

Certaines, légères et insignifiantes, arrivent à échapper à tout contrôleur aérien. Il arrive que, parfois, elles soient victimes de maniaques qui cultivent l’art de les happer d’un geste prompt qui rend toujours « l’emprisonneur » fier de son succès. Il est vrai que ce type de chasse nécessite une certaine virtuosité de Sioux dans l’approche et l’attaque. Cette méthode de chasseur de mouches n’a qu’une efficacité réduite, surtout quand l’été les rend encore plus méfiantes et virevoltantes. Quand les beaux jours sont là, elles collent au cul des vaches comme le faisaient Chirac et sa suite admirative, un jour de Salon de l’Agriculture. Mon grand-père les haïssait au moment de la traite manuelle des vaches. Elles ne l’importunaient guère mais elles provoquaient, dans la demi-obscurité de l’étable, de larges balancements de la queue de la patiente, un soubresaut de patte arrière ou un hochement vertical ou horizontal de la tête. Un coup de fouet, un seau renversé ou une traite impossible le rendaient furieux, provoquant un chapelet de jurons italiens qu’heureusement mon manque de culture transalpine m’empêchait de comprendre. Il tentait de les piéger en autorisant les araignées à constituer un immense réseau de toiles volumineuses sur le plafond. Une sorte de « barbe » colorée par la poussière du fourrage servait à gaver des arachnides invisibles mais d’une taille respectable quand elles consentaient à sortir de leur tanière. Dès que le soleil darde ses rayons et faute de bovidés dans les campagnes, elles s’attaquent dans un silence absolu au domaine des hommes ! Dans le fond, elles sont infiniment plus sympathiques que les taons dont la piqûre terrible était crainte de toutes celles et tous ceux qui vivaient au contact des animaux. Excités par une température excessive, ils s’attaquent à tout ceux qui ont le malheur d’avoir le sang chaud !

Les femmes ont historiquement, après la grande époque où leur beauté passait par justement des mouches beaucoup plus suggestives et aguichantes, une aversion particulière pour celles qui envahissent les cuisines. Des rideaux de perles plus ou moins colorés obturaient encore dans le midi les portes d’entrée des fermes et, soigneusement pendu à l’abat-jour d’une suspension, le fameux ruban tue-mouche servait d’arme fatale pour les insectes trop curieux ayant franchi le premier obstacle. Au fil de l’été des spirales mordorées, collantes et luisantes, collationnaient des dizaines de victimes dans les souillardes ou les cuisines. Le nombre des petits points noirs attestaient de l’efficacité de cet attrape « couillonnes » ailées que j’étirais avec un peu de sadisme après avoir été le quérir d’un coup de pédale chez l’épicier du village qui possédait des marques aux noms dévastateurs… Dans les familles plus regardantes sur l’esthétique, on avait recours à la bouteille tue attrape mouche dont la forme galbée cachait en fait un départ vers l’appât sans espoir de retour. Toute une leçon pour une vie… humaine ! En fait on détruisait les ennemies volantes par la ruse et surtout pas par la chimie. Au pire, on plaçait au milieu de la table un gros bouquet de basilic dans un verre d’eau, dont l’odeur puissante repoussait les envahisseuses. Aucune guerre avec des produits désastreux : le combat était propre et sans danger, mais impitoyable !

En fait, la plus pernicieuse, c’est la mouche nocturne. Elle s’introduit dans une pièce fraîche de la maison où elle passe tranquille la journée estivale en se promenant sur les meubles ou en narguant la pesanteur en trottinant sur le plafond. Elle pratique l’art du camouflage, pour s’afficher publiquement dès que la lumière sera venue. Son vol est lourd, bruyant correspondant à celui d’un bombardier de la dernière guerre mondiale comparé à celui des « avions » de chasse des étables. Cette bête malicieuse mais lourdaude ne saurait être classée dans la catégorie des fines mouches. Loin s’en faut. Elle rompt inévitablement le silence de la chambre, où elle empêche de trouver le sommeil. Elle trouble profondément l’attention requise pour déguster la énième rediffusion d’Angélique marquise des anges, en allant ostensiblement se promener sur l’écran plat de la télévision. Cette mouche solitaire perturbe tout autant l’atmosphère que des dizaines d’autres, et elle nécessite une intervention musclée avec un serviette ou un vêtement laissé sur le bord du lit. La chasse n’est pas si évidente que ça puisque le « gibier » colle souvent aux bibelots, aux lampes ou aux parties inaccessibles de son espace d’évolution, et les dégâts peuvent se révéler cruels. Le sketch du canard de Robert Lamoureux vient parfois à l’esprit.

Il reste qu’aujourd’hui les pires étaient également de sortie. Elles se prennent pourtant pour les plus élégantes, en exhibant leur ventre vert luisant. Les mouches dites à merde ne portent pas bonheur au creux de l’été. Elles ont fort mauvaise réputation puisqu’elles sont peu regardantes sur leur espace de restauration. Quand elles viennent essuyer leurs pattes agiles sur le plat du jour, le repas est mal en point. Prédatrices et agressives, ces « sarcophages du fumier » (c’est leur vrai nom) adorent l’été, car elles pondent à profusion dans tous les recoins où leurs blancs asticots pourront se nourrir quand la bise sera venue.

Malheur à vous, dans notre société de l’efficacité, si vous êtes un gobe mouche ou un drôle d’oiseau mouche ! En revanche, cet été, si vous arrivez à faire mouche en amour, car vous seriez du genre fine mouche, soyez heureux et fier. Et dans le fond, si ces quelques pattes de mouche vous ont distrait… j’en serai mouché. Oups pardon : touché !

Cette publication a un commentaire

  1. Nadine Bompart

    Ici, en Limousin, on a encore pire que nos braves mouches à merde: la « simulie », moucheron microscopique qui simule la vie des moustiques, autrement dit la femelle pique!
    Mon potager a l’honneur d’être en surplomb de la Vézère, rivière mythique de Cros-Magnon. Au lever et au coucher du soleil, c’est-à-dire aux heures propices au jardinage, c’est un enfer!!!! Elles se glissent partout et visent particulièrement les yeux (c’est d’ailleurs un grave problème en Afrique, ou elle pond ses larves dans les yeux des enfants, les rendant aveugles…)!
    J’ai essayé tous les répulsifs connus, chimiques ou naturels. Rien n’y fait…..
    Alors je suis obligée de travailler au potager en pleine chaleur….
    C’est chouette la campagne!!!

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