Feuilleton des 700 ans créonnais (épisode 8)

Créon, ville bastide longtemps gouvernée par les hommes a fait d’une jeune fille, selon la volonté d’Antoine Victor Bertal son généreux mécène, sa reine pour une année. Revivez le premier sacre de la Rosière créonnaise samedi 16 mai à partir d 21 h 30 sur la Place de la Prévôté pour les 700 ans de la bastide !

« (…) Le photographe Henry Guillier déplace son appareil sur pied pour saisir les tout premiers clichés d’une fête seulement célébrée en Gironde dans la cité de Montesquieu à Labrède. Il en tirera 4 cartes postales qui entreront dans le patrimoine créonnais. Les filles ont déjà beaucoup d’envie dans les yeux et les commères commentent à voix basse ce défilé ayant fière allure qui va passer devant l’église sans s’arrêter.
Sur les marches de l’hôtel de ville, Emile Saligue, au bras de « la plus sage et la plus vertueuse des filles » se retourne, salue la foule et l’invite à le suivre dans la salle des fêtes installé sur la place de la Prévôté. La salle du premier étage étant réservée à la justice de paix et n’étant pas encore aménagée le couronnement ne peut y avoir lieu. Le cortège se remet donc en ordre de marche en fendant les rangées de spectateurs. il est précédé par l’Orphéon créonnais renommé dans tout le département. Sur la scène Emile Saligue solennel donne de la voix devant une foule jamais atteinte à Créon pour une manifestation en dehors des journées du Comice agricole !
« Mesdames, mesdemoiselles, messieurs,
Il me revient le grand honneur de mettre en œuvre le testament d’Antoine Victor Bertal dont on ne dira jamais assez combien il a fait pour notre petite ville ». Emile Saligue se lance dans un discours dont il ignore encore qu’il sera le premier et le dernier qu’il effectuera en tant que premier magistrat créonnais.  »
Je ne résiste pas de vous citer explique-t-il avec malice à l’assistance silencieuse un extrait du testament de ce bienfaiteur. Le voici : « je sais bien que je serai critiqué peut-être bien du plus grand nombre car l’argent, pour certaines personnes, est tout et elles ne comprennent pas que l’homme de talent, de génie, qu’un grand artiste vaut mieux pour le pays que quelques mille francs. C’est pour arriver à ce résultat, pour inculquer à Créon, pays modeste qui est loin de manquer d’hommes intelligents, seulement je crois, qu’il manque d’ambition, un rayon de lumière artistique. Il peut faire naître des hommes d’un grand génie, d’un grand mérite. On arrive souvent au sommet des grandeurs par des faits les plus simples ou par la route la plus droite. Mon désir la plus grand c’est d’arriver à faire le bien et de donner à ce charmant pays de la distraction et l’aspect d’une ville plus importante qu’elle ne l’est en réalité. » Le vieux grigou, habile en politique a bien compris quel parti il pouvait tirer de ce passage du long plaidoyer de Bertal pour sa bastide de naissance ! D’ailleurs il est vivement applaudi par la foule !
«  Suzanne que j’ai mise au monde est bien, selon la définition d’Antoine Victor Bertal, la digne et la plus sage des demoiselles de Créon. Aucune autre jeune fille ne mérite plus qu’elle le témoignage de notre reconnaissance. Privée de sa mère depuis sa plus tendre enfance, orpheline depuis le décès de son père en 1900, elle s’occupe avec dévouement de la maison que vous connaissez toutes et tous. C’est une jeune fille exemplaire dans sa conduite, son éducation et son comportement. Au nom du conseil municipal unanime je vais la couronner première rosière de Créon selon le souhait d’Antoine Bertal lors de notre fête patronale annuelle. Je vais aussi lui remettre cette médaille que nous avons fait réaliser par la Monnaie de Paris et dans cette enveloppe elle trouvera les intérêts des 15 000 francs que nous avons placé de manière sûre en bons du Trésor ».
Suzanne devient ainsi la toute première reine d’une année à Créon. Le cortège repartira vers le cimetière afin de rendre hommage à celui par lequel le bonheur était arrivé sur Créon. On luia construit un magnifique tombeau avec une hauteur suffisante pour qu’il domine toute sa cité de naissance. Cet homme de valeur a causé beaucoup de soucis au Maire quia lutté contre els héritiers durant 12 ans pour récupérer le legs. Emile Saligue et ses collègues quittent alors les lieux pour aller chacun avec leurs partisans célébrer l’événement dans l’une des auberges de la cité. musique partout, fastes, jeux, amusements et un grand concert le lundi sont au programme… Du pain et des divertissements pour une petite cité c’est bon pour les élections !
La rosière, sérieuse et motivée, va ensuite prendre le bras de son frère Antoine pour se diriger couronne sur la tête vers l’église où l’attendent encore de très nombreux habitants. Elle sera accompagnée par ses demoiselles d’honneur mais absolument pas par les élus locaux en froid pour la majorité d’entre eux avec le bureau de bienfaisance de la paroisse dit La Fabrique qui a causé beaucoup de problèmes à la municipalité. Elle instituera la fameuse photo de groupe sur les marches de l’édifice avant de rentrer chez elle discrètement pour le repas de famille. Seules les grandes guerres interrompront cette cérémonie mais Créon restera fidèle à la vision d’Antoine Victor Bertal
Avant de s’asseoir elle prononcera la phrase rituelle historique qui accompagnera chaque année le retour de la rosière chez elle : « si j’avais su je n’aurais pas mis des chaussures neuves. Qu’est-ce que j’ai mal au pied ! » Grandeur et servitude de la royauté. Même éphémère !

Jean-Marie Darmian

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