Il va y avoir du sport ! Mais lequel ?

Le monde du sport n’échappe pas à toutes les crises qui traversent notre société et le contraire serait étonnant puisqu’il en est souvent le reflet. On assiste à une évolution complexe d’un système que l’on croyait immuable et sur lequel vivaient paisiblement des dirigeants, bénévoles pour leur très grande majorité (espèce que l’on annonce régulièrement en voie de disparition), et des responsables nationaux qui adoptent des postures de conquête de pouvoir. Comme dans le domaine politique, les rivalités personnelles, les enjeux financiers directs ou indirects, les questions de prestige ou d’ego, les dérives électoralistes, deviennent omniprésentes. On est loin, très loin des préoccupations originelles d’un secteur social, indispensable au «  corps sain » dont parlait déjà Montaigne.

L’écart se creuse avec des fédérations de plus en plus distantes, exigeantes financièrement et réglementairement, pesantes sur la vie des clubs qu’elles sont pourtant sensées protéger et soutenir. L’excitation générale autour des normes matérielles des espaces sportifs tue lentement les investissements dans ce domaine. Des tonnes de textes, pondus par des commissions techniques, définissent la nature des équipements, contraignant les collectivités locales à renoncer à de multiples projets surtout en zone rurale. Il en découle une pénurie de lieux de pratiques sportives de proximité et une inégalité territoriale flagrante. Ce phénomène n’a guère préoccupé l’État durant la décennie écoulée puisque seuls les grands stades, les grandes enceintes multifonctions, ont bénéficié de soutiens financiers (28 millions d’euros pour le grand stade de Bordeaux en provenance du CNDS). Cette politique a aggravé la situation, en ruinant par ailleurs le CNDS, organisme distributeur des subsides des paris sportifs et autres. Peu de dirigeants ont osé critiquer cette vision très caricaturale des besoins dans le domaine du sport. Il faudra de très longues années pour inverser la tendance et revenir à une vision plus « utilitaire » des équipements subventionnés. Les grandes fédérations de sport professionnel ont fait le gros dos, acceptant sans sourciller que l’essentiel des fonds soit englouti dans ce qui n’est qu’une vision spectaculaire « rentable » de leurs pratiques. Pire, elles ont totalement oublié les licenciés de base, en encourageant, en période de crise, cette politique soit-disant destinée à permettre l’accueil dans notre pays de grandes compétitions internationales encore plus coûteuses qu’avant. La Fédération Française de Football est à cet égard l’otage permanent de l’UEFA ou de la FIFA. Celle de Basket-ball n’est pas mieux et il faut espérer que le Handball saura résister.

L’autre point sensible c’est, comme dans tous les autres secteurs sociaux, les retombées de la crise morale, et la perte de confiance dans les performances spectaculaires et les résultats. Ce phénomène échappe encore une fois à la base, mais par contre a de graves retombées sur la philosophie générale des pratiques. Compétions outrancières dès le plus jeune âge, violences répétitives, absence de continuité des jeunes dans l’engagement, zapping dans les activités… découlent d’une perception supposée « rentable » de la pratique du sport. Imitations de comportements (tenue vestimentaires, gestuelle, démesure dans les besoins d’équipements..) et multiplication des incidents moraux, font que le sport éducateur s’étiole, obligeant à une concentration des clubs et des lieux, puisque le résultat contraint à sélectionner, écarter et rentabiliser. Dans aucun club on ne se contentera du trophée du Fair-Play ou du maintien des effectifs, entre les engagements du premier jour et la présence sur l’aire de jeu le dernier jour de la saison, puisque c’est le seul vrai critère de la qualité globale d’une structure éducatrice.

Il existe un turn-over désastreux au sein des clubs, avec une chute considérable des effectifs licenciés dans les catégorie des « adolescents », dont la passion s’émousse quand il faut s‘émanciper, justement, de contraintes trop fortes.

Dans un tel contexte, les pratiques libres (marche, vélo, roller, natation…) ou individuelles prennent une place prépondérante. Il s’agit pour beaucoup d’entre elles d’un retour vers le sport à des âges plus ou moins grands. Explosion de la randonnée pédestre, du domaine cyclosportif (VTT notamment), des activités aquatiques ou péri-aquatiques. Le « sport pour tous », slogan racoleur, n’est plus contrôlé par personne. Il s’autogère à bon marché. Il se développe par de nouvelles filières, et il prend le pas sur les activités réputées organisées. Ce phénomène prend une telle ampleur qu’il inquiète vivement les fédérations qui tentent de le récupérer mais ne parviennent pas à le détourner réellement vers leurs structures pyramidales. Cette nouvelle donne va conduire les collectivités territoriales à modérer leurs efforts en faveur d’équipements dont  l’usage reste aléatoire, car soumis au niveau des compétitions. Doit-on investir dans l’aménagement de pistes cyclables gratuites, de chemins de randonnées, de bassins nautiques ou dans des installations spécialisée ouvertes à un nombre de personnes réduit ? C’est l’enjeu du Conseil national des Sports où je siège et où s’affrontent ces deux visions du sport !

Cet article a 2 commentaires

  1. J-P REIX

    « Doit-on investir dans l’aménagement de pistes cyclables gratuites, de chemins de randonnées, de bassins nautiques » : Oui
    « ou dans des installations spécialisée ouvertes à un nombre de personnes réduit ? » : Non
    A mon sens les impôts doivent servir à permettre et encourager un maximum de citoyens à pratiquer un sport et non à les inciter à rester assis sur un siège de stade ou devant la télé à regarder les « dieux » qui eux font du sport en étant payés de façon indécente et qui se débrouillent souvent pour payer peu d’impôts !

  2. JLE

    Mon cher Jean Marie,
    Deux remarques : tout d’abord Créon peut se féliciter d’avoir un club de Handball digne de ce nom où y règnent encore les notions de respect sport et donc plaisirs.
    La seconde au sujet du slogan sport pour tous, que j’ai défendu avec le CDOS pendant plus de trois années, mais qui était le but d’ouvrir des clubs de sport valide à des personnes en situation de handicap.
    Toutefois le Lobbying de la fédération Handisport a été plus fort et nous avons du arrêté cette option car seule cette fédération est détentrice de la délégation de service public pour le sport handicapé.. ce qui nous amène à un autre débat sur celui des castes où l’on doit en tant que personnes handicapés être cloisonné. pratiquant encore un des rares sport ouvert à tous « la course d’orientation de précision » car le chrono n’y a aucune importance et donc il reste mais pour combien de temps accessible à tous ….

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