La fausse bonne idée : la suppression de la carte scolaire !

Exceptionnellement, ce soir je ne vais pas écrire une chronique. Je vais vous présenter simplement un extrait d’un long entretien dans Le Monde de mon amie la sénatrice Françoise Cartron sur la fameuse suppression de la carte scolaire. Elle pose véritablement le vrai problème que pose cette fausse bonne mesure et elle résume parfaitement dans son rapport ce que je pense sincèrement sur le double saccage de l’école républicaine que produit cette réforme sarkozyste.

« Vous concluez de vos auditions et travaux que les conséquences de la réforme, à l’échelle nationale, ont été modestes mais non nulles. Que c’est à l’échelle locale que les conséquences les plus lourdes sont perceptibles. Un paradoxe ?

Pas tant que ça. A l’échelle nationale, je le répète, les effets sont modestes parce que les capacités d’accueil dans les établissements sont contraintes : il y a assez peu de mouvement en volume, en termes d’effectifs d’élèves, d’un établissement à l’autre – les obtentions de dérogation augmentent peu. Mais l’évolution est importante en termes de sociologie des établissements. Cela se joue aux deux extrêmités de la chaîne.L’établissement qui affichait un recrutement social homogène a accentué son homogénéité : s’il accueillait classes moyennes et supérieures, ce sont les classes supérieures et très supérieures qui en sortent renforcées. Les établissements en situation déjà difficile se sont encore plus ghettoïsés, perdant leurs meilleurs éléments. C’est en allant sur le terrain, dans les établissements, qu’on peut prendre la mesure de l’impact de la réforme. Les statistiques peuvent cacher des réalités criantes !

Quel est l’impact de cette dérégulation sur l’éducation prioritaire ?

Il est important. Dans un lycée général de mon département, en Gironde, des enseignants m’ont raconté comment « l’effet rumeur » avait fragilisé leur établissement. Ce lycée de ZEP fonctionne grâce à une équipe pédagogique très investie, qui fourmille de projets. Mais des parents d’élèves ont trouvé qu’il y avait « trop » de mixité. Les élèves têtes de classe, avec leurs bons dossiers scolaires, ont intégré de bons lycées de centre-ville, à Bordeaux, où le recrutement est plus homogène. Il y a eu un impact sur les familles restantes mais aussi sur les enseignants qui subissent en quelque sorte une « double peine » : contrairement à ce qu’avait dit l’ancien ministre de l’éducation nationale, Xavier Darcos, les établissements qui ont perdu des élèves ont aussi perdu des moyens d’enseignement. Pour les enseignants, la frustration est importante : ils n’ont plus les élèves qui tirent la classe, se sentent stigmatisés et en plus non accompagnés. Ils se sentent à la merci de résultats en baisse dans les fameux classements de réussite au baccalauréat. Et cela alimente encore l' »effet rumeur ». Un cercle vicieux est amorcé.

Et en milieu rural ?

Si l’éducation nationale se ghettoïse encore plus, en perdant des élèves et des moyens, les effets de l’assouplissement se font aussi sentir en milieu rural. Les parents qui en ont les moyens, ceux qui peuvent se déplacer, ne vont pas hésiter à fuir certains établissements pour aller dans le privé. L’offre scolaire privée renforce, pour certains établissements et en certains lieux, la logique déjà amorcée. Aux confins de la Dordogne, du côté de Sainte-Foy la-Grande, le problème est particulièrement prégnant. Quand on compare la Seine-Saint-Denis aux Hauts-de-Seine, c’est très visible également. A Nantes, trois collèges privés scolarisent 70 % des enfants favorisés, contre 3 à 9 % d’enfants défavorisés. En parallèle, les établissements publics scolarisent 66 % à 81 % d’élèves défavorisés. Les chiffres parlent d’eux-mêmes ! Certains établissements privés veulent favoriser la mixité, mais d’autres renforcent les logiques en jeu.

La désectorisation est-elle plutôt une mesure de droite ou de gauche ?

Il faut bien reconnaître que ce n’est pas très clair. On a des personnalités de la gauche – je pense évidemment à Ségolène Royal, lancée dans la course à l’Elysée en 2007 – favorables à son assouplissement. C’est vrai qu’il y a eu une époque où l’on pensait que le libre choix des familles entraînerait une régulation, un équilibre de fait. On s’aperçoit que ce n’est pas le cas.

Vous concluez que la déréglementation a agi comme un catalyseur des inégalités qui existaient déjà, celles que tous les rapports, nationaux et internationaux, ont pointé du doigt ces dernières années…

Il n’y a jamais eu, à ma connaissance, de rapport politique sur la carte scolaire. Les chiffres et enquêtes « officielles » font défaut. Tous les chercheurs que nous avons auditionnés nous l’ont dit : personne au niveau politique ne s’est emparé de cet objet difficile, un sujet éducation mais aussi sociétal, qui pose la question de l’équilibre des territoires. C’est rendre perceptible qu’une frange des Français se sent tenue à l’écart, n’a pas accès à la même qualité de services publics. Quand ça touche aux enfants, c’est encore plus criant. Il y a bien une discrimination sociale, territoriale, mais aussi scolaire, ne le nions pas.

A-t-on intérêt à revenir à la situation antérieure ? Que préconisez-vous ?

La situation antérieure ne fonctionnait pas. La sectorisation, rigide, était contournée depuis longtemps. S’il y a des stratégies d’évitement, c’est qu’il existe bien une forme de classement, fait nationalement mais aussi dans les têtes, l’idée bien ancrée qu’il existe de bons et de mauvais établissements. On a le sentiment que l’institution est tombée dans une forme de fatalisme, en disant : « C’est comme ça, donc on va vous autoriser à quitter cet établissement… ».

Quand on prend les meilleurs des boursiers pour leur « offrir une autre chance », ça me semble être un contresens, un signal catastrophique. En acceptant la possibilité d’un contournement, l’institution avalise cela. Je pense que l’éducation nationale doit reprendre la main, accepter qu’il existe des établissements avec de plus grandes difficultés que d’autres, et leurs donner des moyens.

Autre effet pervers : le système des options, extrêmement rares ou attractives, qui sont accordées aux établissements en général les plus prestigieux, et qui renforcent leur attractivité. Je pense au russe, au japonais… : on ne trouve pas ça dans les établissements de ZEP. Il ne s’agit pas de supprimer mais de réorienter. On voit que les options sont essentiellement devenues des stratégies de contournement. On a trente demandes d’enfants pour faire du japonais en seconde dans tel lycée prestigieux… mais lors du bac, ils ne sont plus que cinq à la présenter. On voit bien que ça ne correspondait pas à un vrai choix d’enseignement, uniquement à un choix de l’établissement. Remettre à plat l’offre d’options est urgent.

On ne reviendra pas en arrière, les parents sont attachés à un sentiment de liberté acquise – même si ce n’est qu’un sentiment, pas la réalité. Il faut donc concevoir des secteurs plus larges, où les parents pourront avoir le choix entre deux ou trois établissements, avec une affectation en fonction de critères transparents. Pour réguler, sur un secteur élargi, l’offre entre plusieurs établissements. Faut-il attribuer les mêmes dotations à un établissement qui attire toutes les classes supérieures d’un secteur et à celui qui accueille 90 % d’enfants de milieux défavorisés ? Cette question mérite d’être tranchée, car cette soi-disant égalité n’est pas source d’équité.

Cet article a 7 commentaires

  1. J.J.

    Et le scénario s’est déroulé exactement comme on l’avait prévu…, avec en filigrane encore une aide indirecte apportée à l’enseignement confessionnel.

    Sans revenir en arrière, il faudrait doter les établissements en raison non de leur excellence mais de leurs besoins réels pour tendre vers plus d’égalité : à un établissement connu pour sa « bonne réputation », peu de moyens, puisque les élèves sont bons, qu’ils se débrouillent .
    Pour les établissements « mal famés » (si, si ça existe, sur des critères tout à fait subjectifs, d’ailleurs) , des moyens plus importants.
    Ainsi l’équilibre serait peu ou prou rétabli.

    Oui, je sais, je rêve, mais je suis un incorrigible gauchiste.

  2. Cubitus

    Déjà, il faut supprimer cet aberrant classement des établissements en fonction de leur taux de réussite au bac.

    Que Grand Lebrun, St Genès et St Joseph de Tivoli, type même des boîtes à bac et repaire des rejetons de la haute bourgeoisie bordelaise soit en tête, rien d’étonnant : il leur suffit de ne présenter que les éléments ayant toutes les chances de réussir. Les moyens des parents leur permettent de patienter en attendant que leur progéniture soit prête pour le bac, quitte à stagner plusieurs années en terminale. Au bout de 3 ou 4 ans dans la même classe, on finit par connaître son programme. D’autant que l’avenir de l’intéressé, qu’il ait son bac ou pas, est assuré de longue date dans l’entreprise familiale ou dans celle des relations.

    Car, qu’on soit bon ou cancre, si on a un compte en banque copieusement garni et un nom connu sur le haut du pavé bordealais, pas de problème pour entrer dans ces établissements. Et surtout ce classement leur sert de justification pour pratiquer des tarifs que seule l’élite bourgeoise et industrielle peut s’offrir. Ça permet de rester reste entre gens du monde, on ne se mélange pas

    Et éventuellement, comme l’a démontré une affaire d’il y a quelques années, la pauvre jeunesse oisive de ces établissements, ne sachant que faire pour se distraire, passera ses loisirs à faire « la chasse aux pédés », signe évident des mentalités qui y règnent.

  3. Nadine Bompart

    Ici, « à la campagne », cette réforme a fait des ravages!
    Les parents envoient directement leurs enfants « en ville » et la proximité des services scolaires est remise en cause, restriction budgétaire oblige.
    Ils ont beau jeu de soutenir qu’il n’y a plus assez d’enfants pour maintenir telle école de village ou tel collège ouverts!!!
    http://www.lamontagne.fr/limousin/actualite/departement/correze/2012/06/20/la-mobilisation-de-parents-et-habitants-1199251.html
    http://www.lamontagne.fr/limousin/actualite/departement/correze/tulle/2012/02/04/les-parents-deleves-ont-organise-hier-une-operation-college-mort-sur-les-deux-sites-170359.html
    Nadine
    Haute-Corrèze

  4. Jérémy

    Bonjour,

    Je travaille pour Newsring.fr, le site de débat lancé par Frédéric Taddeï, et je me permets de vous contacter car nous venons de lancer un débat sur ce sujet qui pourrait vous intéresser, et nous serions ravis que vous partagiez votre point de vue.

    En effet, comme vous l’indiquez, la carte scolaire assouplie de Xavier Darcos est un «échec» : c’est un rapport du Sénat qui le dit. Bien loin de permettre aux familles de placer leurs enfants où elles le souhaitent et de favoriser la mixité sociale, elle a, selon le texte, «ghettoïsé» les établissements défavorisés. Parmi les solutions proposées par le rapport, il y a la formation d’une carte scolaire plus stricte mais aux zones plus grandes dans lesquelles les parents pourraient choisir entre deux ou trois établissements. Des zones qui seraient, bien entendu, socialement plus mixtes. Il faut aussi, selon Françoise Cartron, se pencher sur l’épineux problème de l’affectation d’enseignants confirmés dans les établissements difficiles…

    La carte scolaire ne peut être que le résultat d’un compromis à l’équilibre difficile. Ce système est-il le bon ? (http://www.newsring.fr/societe/1073-pour-ou-contre-la-carte-scolaire)

    Pour participer, il suffit de se connecter sur le site (à l’aide de Facebook, Google+ ou LinkedIn) et de cliquer sur “contribuer au débat”. Nous pouvons également vous créer un compte indépendant des réseaux sociaux si vous le souhaitez (attention le compte doit être nominatif).

    Si vous avez des questions, n’hésitez pas à me recontacter.

    Bien à vous et bonne journée,

    Jérémy
    Community Manager pour Newsring.fr

  5. Nadine Bompart

    Jérémy, votre message montre bien que vous vivez en ville!!!
    « Une zone plus large », « le choix entre 2 ou 3 collèges », c’est ça qui nous tuent!!!!
    Il n’y a pas que les villes et leurs banlieues en France….

  6. Nadine Bompart

    Heuhhh…
    Qui est-ce qui nous tue ? Ça!
    Désolée Mr l’instituteur!

  7. alain.e

    Bonjour,
    je vais illustrer par des exemples concrets ce qui se passe réellement avec la carte scolaire:
    On préconise une hétérogénéité des classes en prétextant que les meilleurs élèves tirent les moins bons vers le haut,cela pouvait être vrai du temps ou les professeurs avaient encore une autorité sur leur classe, mais aujourd’hui!!!!
    Deux très bons élèves sont ensemble dans le même collège, le plus brillant va dans son lycée de secteur public,et l’ autre dans un lycée public très huppé.
    les deux ont le bac l’ un avec mention assez bien,l’ autre avec mention très bien,
    cherchez l’ erreur!!
    d’ autre part pour ce qui concerne le débat public ,privé.
    je connais un établissement privé qui récupère les élèves cassés d ‘établissements publics cotés ou la pression sur certains élèves est trop forte.
    Alors,pour connaitre des élèves très doués qui s’ ennuient dans leurs établissements scolaires au nom de cette sacro sainte mixité,je reste dubitatif.
    Comme je reste dubitatif devant des parents qui choisissent de part leurs habitats de ne pas participer à cette fameuse mixité sociale.
    Les gens qui se rassemblent le font sur des même valeurs, et aujourdh’ui ,ont peut dire que les valeurs sont multiples,alors cartes scolaire ou pas,la seule solution passerait par une restauration de l’ autorité du prof,mais là grace au travail de sape de syndicats enseignants et de parents en adoration devant leur progéniture, c’ est mission impossible.

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