L'autre face des douces soirées estivales

Au cœur de l’été, dès que la température monte, les esprits simples s’échauffent et il ne fait pas bon être un maire de proximité, car les soirées sont parfois démoralisantes… 21 h 15, le téléphone sonne. On n’est pas sur France inter où on discourt doctement et sereinement sur les événements du monde. En général à cette heure là, à la maison (1), les annonces ne sont guère réjouissantes. Une querelle bruyante et inquiétante vient de débuter dans une rue. La patrouille de gendarmerie ne sortira qu’à 21 h 30 et les voisins qui s’expriment souhaitent que je me rende sur place pour tenter de séparer des belligérants excités, dont le comportement les inquiète. C’est le lot habituel des élus locaux qui vivent l’été dans ces villes dans lesquelles il leur reste un brin de reconnaissance. Les affrontements intra-familiaux et de voisinage augmentent avec la chaleur estivale. Pour la énième fois, me voilà parti vers une situation qui fait s’envoler les illusions qui naissent de cette douceur aoûtienne tellement agréable.

Sur le trottoir et sous les fenêtres des donneurs d’alerte, 5 adultes dont 3 hommes et 2 femmes s’invectivent et se menacent. Mon arrivée ne change rien à leurs vociférations, rapidement identifiables comme étant, au moins pour les plus véhémentes, la résultante d’une consommation abusive de bières. Les simulacres d’agressions et les menaces constituent l’essentiel de la discussion. Il faut vite, très vite, mettre les choses au point, en acceptant d’être à son tour la cible de l’ire d’un jeune homme, torse nu, qui bien évidemment conteste la présence d’un médiateur dans un conflit tellement dérisoire, enflé par l’alcool et la chaleur… Dédramatiser, écouter, pacifier : pas facile dans un tel contexte, mais pourtant indispensable.

Le couple qui se dit agressé par un jet de… bouteille de verre vers sa fenêtre reste laconique. Il a téléphoné à la gendarmerie et attend l’arrivée des militaires pour se plaindre du comportement de ses voisins. Difficile d’arriver à les entendre, puisque leur « adversaire » gesticule, vocifère, malgré les supplications de celle qui vit avec lui. Bordée de défis à mon égard, menaces verbales… L’ami maghrébin (il y a en effet tous les ingrédients sociaux pour faire exploser la situation !) a compris que je n’étais pas là pour condamner mais pour séparer, et après une dose d’agressivité à mon égard, il finit par se rallier. Inutile de discuter ou d’espérer régler ce conflit irrationnel par le dialogue : c’ est impossible dans cette éruption de violence verbale. Il s’agit simplement de séparer physiquement les deux camps… J’invite le couple plaignant à se rendre vers la gendarmerie et à aller déposer plainte, en sachant fort bien que la patrouille nocturne aura d’autres sujets à traiter.

Le coup de massue arrive quand je m’aperçois que de la voiture contre laquelle nous sommes, sortent les voix et les pleurs de quatre enfants. Terrible pour moi de constater qu’au milieu de ces querelles désolantes, on trouve une femme jeune et sa petite famille. Elle n’en peut plus. Epuisée, consciente mais impuissante à ramener son conjoint à un semblant de raison, elle décide de quitter les lieux. Les enfants ? Pauvres enfants ! Comment leur éviter ces images, ce bruit et cette fureur dont je sais qu’elles impriment leurs souvenirs à vie ? Quel été pour eux ? Quelle douce soirée devenue cauchemardesque… Dès qu’ils ont quitté les lieux pour une destination plus rassurante, la discussion se poursuit. Au milieu de propos décousus, j’entends parler de « photos prises depuis la fenêtre » et de « pédophilie », « d’antisémtisme » (en fait, c’est de propos racistes qu’il s’agit), sans pouvoir distinguer le vrai du faux. Lentement, lentement, le respect revient, mais les effets de la bière ne se dissipent pas pour autant. Le copain s’engage à raccompagner celui qui reste vindicatif. Le groupe est disloqué, mais va se reconstituer devant le portail de la gendarmerie ! Je ramène l’excité chez lui, où il sera seul… les autres reviendront après ! Je tourne dans les rues désertes en attendant la suite des événements.

Les enfants ? Dans le fond, ce sont eux qui me préoccupent, avec leur « pauvre » mère qui doit sans cesse être confrontée à ces situations désastreuses. Elle sait que je sais, d’autant que c’est la seconde fois que j’interviens chez elle. L’été et ses soirées tellement agréables n’existent pas. La souffrance culturelle et sociale cachée remonte à travers ces événements du quotidien. Derrière les volets clos, on ignore (ou on fait semblant d’ignorer), devant les images des jeux olympiques, cette triste réalité de l’été. Les portes se referment sur les problèmes qui n’ont pas été résolus : alcoolisme domestique, chômage permanent, acculturation totale, indifférence officielle… et l’été des gens heureux continue sur les télés. Pour moi le bonheur estival a pris un coup de canif : les enfants ? Leur regard, leurs pleurs, leurs mots vont me poursuivre encore longtemps ! La douceur de l’air me paraît surfaite ! J’étouffe !

(1) je ne suis pas sur liste rouge !

Cet article a 4 commentaires

  1. René Godart

    Bonsoir,

    Oui, la misère est parmi nous … Misère sociale… trop de télé, trop d’abêtissement consumériste… c’en est presque fini de la vraie vie en communauté…celle des rencontres socialisantes, les fêtes populaires dans lesquelles tout les mondes se mêlent…et où l’on fait l’apprentissage de la tolérance, puisque l’autre est par définition différent.
    Mais dans votre récit des faits, Jean-Marie, il y a quelque chose qui m’interpelle… Quand vous dites  » L’ami maghrébin (il y a en effet tous les ingrédients sociaux pour faire exploser la situation!) a compris que je n’étais pas là pour condamner mais pour séparer et après une dose d’agressivité à mon égard il finit par se rallier. « …
    J’avoue être un peu effarouché par ce commentaire  » Il y a en effet tous les ingrédients pour faire exploser la situation!  » ……….
    Pour un esprit simple, le fait d’être maghrébin suffit à rendre une situation…. explosive …..l’auriez vous su ?…………………..
    Pour ma part je suis un peu dubitatif quand à cette assertion, merci d’en prendre note …
    Quand au reste, je compatis à votre désarroi sur la situation des enfants… ceux-ci restent les éternelles victimes de l’indigence morale de leurs parents et il ne doit pas vous être facile d’en être l’impuissant témoin….
    Un autre fait m’intrigue, dans votre récit… apparemment, aucun voisin n’est intervenu pour tenter de dénouer le conflit ? …
    Peut-être trop accaparés par le visionnage des J.O. ? ……

    Je vous souhaite une fin d’été plus paisible…

    René Godart

  2. Christian Coulais

    « ç’en est presque fini de la vraie vie en communauté…celle des rencontres socialisantes »
    (Image qui jouxte la Mairie de Campugnan (Gironde), vue ce jour, mais répétitive un peu partout). Il faut les voir ces murs d’individualisme qui poussent dans nos communes, deux mètres de haut d’agglomérat de béton…pour cacher la misère de ces foyers, même si cette misère se déguise en maison neuve à crédit sur 30 ans. Ces administrés n’ont même plus à sortir sur le trottoir pour tailler la haie et éventuellement discuter avec ses voisins. Et l’on vocifère après le Maire quand « son » trottoir est poussiéreux !

  3. Cubitus

    J’avoue que l’expression « l’ami maghrébin » m’a également surpris venant de vous. J’ose croire qu’il s’agit d’ironie de votre part, de second degré en quelque sorte. Laissons donc ce genre d’expression au blog raciste de Jean-Patrick Grumberg ou aux forts en gueule du précédent gouvernement et du miroir aux alouette bleu (brun) marine.

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