Le bonheur n'est plus depuis longtemps dans le pré

On devrait reconnaître une catégorie de « combattants » qui tiennent courageusement leur place dans la tranchée de la guerre sociale. Tous les jours, sous les bombardements médiatiques constants qui les isolent du reste de la troupe, ils tentent d’imposer la notion de lien social quand beaucoup font le maximum pour la détruire. La crise cause en effet des ravages puisqu’elle cristallise les égoïsmes, les refus, les blocages, les déceptions et surtout incite sans cesse à noircir tous les tableaux, provoquant une peur panique de l’autre ! Et sous ce déluge, les « infirmiers » qui doivent récupérer les « blessés » plus ou moins graves ont de plus en plus de difficulté à agir. Ils n’ont que leur bonne volonté, leur conviction, leur investissement pour éviter que les plaies s’aggravent au sein d’une société persuadée que le seul salut repose sur le « chacun pour soi ! ». En lançant, il y a maintenant une dizaine d’années, l’opération étalée tout au long de l’année « Quartiers de Fêtes », j’avais imaginé renouer les fils d’un dialogue de proximité qui se délite. Même si l’opération a connu de belles réussites, elle a pris du plomb dans l’aile puisqu’elle repose sur l’investissement bénévole et surtout su la volonté rare d’aller vers les autres. Lentement, la trentaine d’occasions de partager s’étiole, comme étouffée par une propagande larvée qui veut que l’on se mette en danger en allant retrouver des gens qui vivent à côté de chez vous. Le « racisme » n’est pas qu’ ethnique il est enraciné simplement dans une haine de l’autre. Toute tentative de mixité sociale dans l’urbanisme ne résout rien.

Dans un secteur de Créon, justement imaginé pour que le brassage des générations, des statuts sociaux, des types d’habitations, des niveaux de ressources se réalise, le constat est implacable : l’étanchéité reste de mise. De l’ensemble immobilier récent, avec logements sociaux, n’ont traversé la rue que… 4 personnes dont 2 nouvelles venues. Les autres, consciemment ou inconsciemment, savent qu’ils ne sont que de passage et qu’il n’est pas utile d’entrer dans la vie des « anciens ». Inutile d’espérer vaincre les a priori qui bouchent les horizons. Chacun a une bonne raison d’en vouloir à son voisin ou à sa voisine. Des enfants jugés turbulents, des soirées trop festives et bruyantes, des automobiles mal garées, un trottoir jugé mal entretenu par la Mairie, la répétition d’une opposition entre celles et ceux qui profiteraient de « l’assistanat » public et celles et ceux qui estiment n’avoir jamais besoin de la solidarité, des modes de vie différents, les ravages des idées reçues, de l’enfer des détails, des approximations médiatiques, de vieilles querelles… constituent autant d’armes de cette guerre sociale larvée qui mine notre société. Bien entendu, on ne retrouve autour des tables pourtant tellement agréables, qu’une poignée de gens habitués, par éducation à partager !

Le bonheur n’est plus dans le pré mais dans le gazon soigneusement tondu. Le bonheur se situe dans le renoncement à la découverte pour se contenter de s’extasier devant «  plus belle la vie ». Le bonheur résiderait dans ce repli sur des groupuscules jugés plus fiables… On restreint les espaces de partage à leur plus simple expression, souvent par peur d’être jugé ou par peur d’être déçu. La rentabilité envahit le monde du quotidien puisqu’il faut que l’on trouve son compte dans ce que l’on juge comme un effort.

Et pourtant, combien il est agréable de vivre autrement, de casser les préjugés, d’échanger autrement que par des modes virtuels de communication technologique. On s’enrichit nécessairement quand on vient vers d’autres cultures, d’autres goûts, d’autres comportements. Le simple échange de points de vue autour des bouteilles apportées par les uns ou les autres constitue une avancée dans le dialogue. Merveilleux moment que celui d’écouter le porteur d’un trésor inconnu qu’il est le seul à apprécier, car toute justification d’opinion porte les germes d’une citoyenneté renouvelée qui manque tant dans d’autres circonstances. Les commentaires autour des petits événements locaux apportent la confirmation que, dans le fond, il faut bien partir du « local » pour avoir l’espoir de bâtir utilement le « global ». La satisfaction de celles et ceux qui ont osé la différence porte les germes d’une autre vision sociale dont personne ne parle. Un certain Michel Rocard, lors de son discours d’investiture, avait été raillé par cette Droite hautaine et distante, parce qu’il avait osé parler de la nécessité de créer un autre climat dans « les cages d’escaliers ». Désormais, il lui faudrait ajouter les allées et les places des lotissements, qui ont simplement étalé la verticalité des haines mesquines.

Ces repas qui s’effilochent au fil des ans mériteraient un autre sort. Est-ce par manque de communication ? Sommes nous responsables, comme élus, de cette anémie de la convivialité ? Quels outils devons nous inventer ? Que proposer pour redonner simplement confiance dans l’autre ? Faisons nous assez d’efforts à Créon et ailleurs? Parler en permanence de dette, de déficit, de rigueur… dans des médias obnubilés par le fric et le frac ostentatoires c’est assécher la vie commune. La note sera salée dans quelques années en France. On en connaît le montant de l’autre côté de l’Atlantique, celui où l’individu a pris le pas sur le collectif.

 

Cet article a 2 commentaires

  1. alain e

    Très juste analyse de la situation actuelle,mais il suffit quelquefois de peu pour renouer du lien, nous arrivons a maintenir un repas de quartier depuis plusieurs années dans mon lotissement même s’ il est vrai que l’ on retrouve souvent les mêmes personnes
    Les cousinades nous permettent également de garder le lien avec la famille éloignée.
    Les ballades à moto entre amis sur les si belles routes de notre région nous permettent aussi de partager.
    Tant pis pour les triste sires confits dans leurs certitudes d’ avoir le plus beau métier,la plus belle maison,la plus belle voiture et qui passent à coté de l’ essentiel dans la vie, l’ échange avec l’ autre,le dialogue,l’ émotion, la joie ,la peine ,les seules choses qui font que la vie vaut d’ être vécue à mon sens.

  2. J.J.

    Je ne veux pas faire du passéisme et entretenir la nostalgie du temps passé mais je pense qu’un des moteurs de cette mixité en voie de disparition était le service militaire.
    Non, je ne vais pas faire l’apologie de cette institution qui avait d’énormes défauts et inconvénients mais il faut en reconnaître les rares aspects positifs.

    Je n’ai pas pris grand plaisir pendant la période que j’ai passée sous l’uniforme, mais j’y ai vécu quand même de grands moments de camaraderie et fréquenté avec plaisir et curiosité des gens que je n’aurais jamais rencontré « dans le civil ».
    Nous avions aussi des moments de convivialité, comme on dit maintenant, toute classes sociales confondues, autour d’un bon casse-croûte et ne laissions pas échapper les occasions de rigoler.

    Je me souviens des conversation de chambrée où chacun racontait un peu son métier ou son pays, donnant souvent à nos interlocuteurs envie d’aller y voir et je me suis formé à voir « les autres » d’un autre oeil.

    J’ai peut-être eu la chance de tomber sur de bons copains ?

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