Le club des futurs Kleenex

imgp1836bLa fonction publique a été depuis des années l’objet d’une mise au pas extraordinaire. Soit par obligation, soit par simple peur de perdre son poste, soit par docilité, soit par connivence politique, tous les acteurs de la vie publique notent une véritable mutation des esprits. Tout d’abord, il y a eu la mise en place d’une coupe rase dans les effectifs, avec des milliers de postes supprimés à tous les étages, ce qui a provoqué un sentiment patent d’insécurité « sociale ». Ces annonces répétées contre les fonctionnaires trop nombreux, peu rentables, consommateurs des rares subsides qui restent disponibles (117 milliards nécessaires pour payer les fonctionnaires en 2010 et 214 milliards d’emprunts réellement prévus dans la loi des finances) ont fini par les condamner au silence. Eux qui furent les fers de lance des conquêtes sociales se terrent sur leurs postes de travail, et se sentent coupables d’exister. Il y a eu ensuite la mise en œuvre de la Loi Organique de mise en oeuvre de la Loi des Finances (LOLF), dont les objectifs restent, année après année, la « marchandisation » de fait des services publics et le culte de la « performance », qui ont totalement détruit les repères antérieurs en matière d’organisation des structures. On regroupe, on fusionne, on synthétise et surtout on concentre des pouvoirs immenses dans les mains d’un nombre réduit de personnes. Cette décision se complète enfin par une reprise en mains, par la peur et la contrainte, des personnels dits d’autorité, qui sont fliqués en permanence et qui sont désormais aux ordres, sans pouvoir exercer un minimum d’appréciation du contexte. Ils exécutent et assument même de plus en plus cette soumission à un gouvernement qui leur demande de faire davantage de « politique » que de « gestion républicaine ». C’est incontestable : la neutralité n’est plus une valeur sûre de la fonction publique, et chaque jour, les élus locaux d’opposition constatent cette réalité. Le site www.marianne2.fr publie d’ailleurs un excellent article sur ce sujet. Il concerne les Préfets !

Au cours de 2009, ils ont appris à connaître les nouvelles méthodes managériales qui leur ont été réservées à la tête de l’Etat. Souvenez-vous, le Préfet de la Manche. Lors d’une visite officielle à Saint-Lô, il est accusé de ne pas avoir suffisamment repoussé la horde de « vrais enseignants » venus dire au Président tout le mal qu’ils pensaient de la réforme Darcos. Immédiatement sanctionné, il est nommé préfet hors cadre et expédié aux oubliettes.  Le Préfet du Var a, lui aussi, eu droit à un sort un peu meilleur puisqu’il est revenu à la case départ (la Cour des comptes). Il est certain que dans son cas, le dossier du tout-à-l’égout de la villa du Cap Nègre, où habite belle-maman Sarkozy, n’a absolument rien à voir avec cette décision. Tout le monde l’a souligné !  

Les préfets deviennent donc des fusibles « politiques », dont l’avenir, chaque mercredi, relève du fait du Prince ou de ses vassaux. Les sous-préfets sont dans la même situation : des Kleenex de la République, jetables après usage plus ou moins intensif. Et à tous les étages, on ressent parfaitement cette pesanteur impalpable lors des réunions (voir le cinéma que tout le monde est obligé de faire sur les débats relatifs à l’identité nationale !). Le peu d’envie de résister qu’il reste à ces hauts fonctionnaires, leur a néanmoins permis, selon Marianne2.fr, de créer le « club des Préfets » – car les représentants de l’Etat n’ont pas droit de se constituer en syndicat. Rassurez-vous, ce n’est pas un club très offensif, mais Daniel Canepa, président de l’Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, préfet de la région d’Ile-de-France, préfet de Paris, les a réunis le jeudi 10 septembre 2009 pour la première fois.

Préfètes et préfets y échangeront désormais « sur la pratique de leur métier et sur leurs préoccupations actuelles ». Plus de 60 préfets ont déjà répondu présents, et s’associent à « cet espace de libre parole, ce lieu de débats sur des problématiques liées à l’application des politiques publiques ». Les réflexions et propositions du « Club des Préfets » pourront être relayées et portées à la connaissance du Ministre de l’Intérieur par le président de l’Association.

Et ce « Club des préfets » a permis aux langues de se délier selon Marianne 2. Notamment dans l’article que Le Monde avait consacré au lancement de cette nouvelle structure, sous le titre évocateur : « Le « blues » des préfets, bousculés par le gouvernement ». « Jamais la fonction n’a autant été politique », témoignait par exemple l’un d’entre eux, sous couvert d’anonymat, « D’habitude, nous sommes à la fois des représentants de l’Etat et des représentants du gouvernement, mais, désormais, les seconds ont pris le pas sur les premiers. » Il faut que tous les élus locaux qui doutent de la recentralisation, retiennent ces propos ! Ils sont affaiblis, réduits, concentrés afin d’être moins « opposants », moins « originaux », moins «  libres ». Ils vont rapidement se trouver pris entre le marteau gouvernemental (réformes financières et structurelles) et l’enclume (réalité des gestions difficiles). C’est pour 2011, avec une « mutation » qui s’accélèrera dès 2010 !

Selon Slate.fr , l’Etat veut en effet confier rapidement à un cabinet privé, Mercuri Urval, le recrutement de ses préfets. D’après Charles Pouvreau, directeur du Pôle Public de Mercuri Urval, interrogé par le site Internet, ce serait « une première européenne ». Et c’est la République française qui le fait, dans la droite ligne de la privatisation continuelle de l’enseignement (adieu l’ENA !).  L’objectif ? « Élargir les viviers de recrutement, en portant une attention particulière à la parité hommes-femmes et à la diversification des origines  culturelles, sociales et professionnelles des futurs membres du corps ».

On peut constater que cette volonté de « diversification », Nicolas Sarkozy l’a déjà très largement mise en pratique. C’est ce que soulignent deux journalistes, Isabelle Mandraud et Jean-Baptiste de Montvalon dans Le Monde : « Les nominations de (très) proches du pouvoir aux postes de préfets de région, appelés à supplanter les préfets départementaux (NDLR : c’est inéluctable avec la suppression de fait des conseils généraux et l’émergence des conseillers territoriaux), se sont inscrites dans un contexte d' »ouverture » du corps préfectoral à d’autres profils (magistrats, ingénieurs, policiers…) : en un an, ces derniers ont représenté deux tiers des nominations ». Ces nominations dénotent une volonté réelle de transgresser les principes de la fonction publique, et de mettre en avant les décisions personnelles dénuées de toute équité. Un sujet de débat pour « le club » qui se rendra peut-être compte, à un moment où à un autre, que les courtisans, les favoris d’un jour, les « collaborateurs » ne sont pas nécessairement ceux du lendemain. C’est vrai pour les élus. Alors, pour les fonctionnaires… !

Cet article a 2 commentaires

  1. Annie Pietri

    Oui,vraiment, l’Administration française perd tout ce qui faisait qu’elle était respectée, admirée et enviée par beaucoup d’autres pays. Imaginer que des Préfets puissent être recrutés par des cabinets privés, pour des motifs qui n’auront rien à voir avec leurs compétences, mais seulement parce que le maître en aura décidé ainsi….et parce qu’il voudra récompenser leur servilité et leur soumission….C’est à faire vomir. On en revient aux privilèges et aux « charges » d’Ancien Régime. Des magistrats, des ingénieurs, des policiers, dis-tu. Et pourquoi pas des religieux, tant qu’on y est….C’était très à la mode du temps des rois, Richelieu, Mazarin, et quelques autres. Ce ne serait jamais qu’un nouveau recul de la laïcité !
    Il vaut décidément mieux, même avec le poids des ans, être fonctionnaire retraité, que fonctionnaire débutant….

  2. J.J.

    « On en revient aux privilèges et aux « charges » d’Ancien Régime. Des magistrats, des ingénieurs, des policiers….

    L’on sait comment ça a fini,la colère est mauvaise conseillère (voir ce pauvre Berlusconi !), quand le peuple las de ces abus y a mis fin de façon tragique. Ce qu’on lui reproche toujours : la Terreur, horrible certes, mais qui a duré seulement quelques mois.

    Et on oublie la terreur blanche, et les siècles d’oppression par les privilégiés et de misère pour le peuple.

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