L'éruption locale révélatrice de la santé globale réelle du système éducatif

En fait, si les cours reprennent au collège François Mitterrand de Créon après une semaine de grève de 90 % des professeurs titulaires, personne ne se posera véritablement la vraie question ! Quelles leçons doit-on tirer de ce conflit dont la dimension n’est véritablement pas que locale ? De toute évidence, cet affrontement, que l’on aurait tort de résumer à une affrontement entre personnes, met en évidence la gravité de la situation dans laquelle se trouve le système éducatif français. On retrouve en effet sous le vernis des faits des causes beaucoup plus profondes.
La crise qui couvait depuis des mois relève de l’éruption violente traduisant un mal être puissant qui règne dans les salles des profs ! Pire, ce sont des femmes et des hommes démoralisés, désemparés, angoissés, dépouillés des oripeaux de leurs certitudes qui ont témoigné d’un ras le bol, focalisé sur les comportements d’une personne. Les enseignants n’en peuvent plus et accumulent partout dans le pays, et pas spécialement à Créon, des années de mépris croissant d’une société qui les laisse mourir à petit feu. La France a abandonné ses profs en multipliant les signes de mépris. Depuis 10 ans, la droite, obnubilée par la privatisation idéologique de l’école au sens large du terme, a profité de l’indifférence des consommateurs, accaparés par le fric. A Créon, il a suffi d’une attitude jugée hautaine, agressive, déplacée, pour que tout bascule.
La réaction créonnaise, pour moi, dépasse la situation précise : ils en ont marre et ne supportent plus moralement et physiquement cette politique qui les rend responsables de tout, qui les maltraite, qui les humilie et j’ai senti dans leurs propos, leur discours, une désespérance forte. A force d’entendre une supérieure hiérarchique tirer sur eux, les rendre bêtement responsables de tous les maux d’une société qui n’a cessé de les priver de moyens, de ressasser qu’ils étaient privilégiés, qu’ils n’accomplissaient plus leur mission, les a poussés à bout. Ils n’en pouvaient plus, et ils avaient une soif profonde de laver les affronts qu’ils subissent, avec tous leurs collègues, depuis des mois…
Des grèves faites dans l’intérêt des élèves, qui se sont révélées inutiles, le service minimum dans les écoles catastrophique pour leur avenir en les rendant tributaires des communes, la réduction épouvantable des postes, les exigences complètement absurdes en matière de ratios de réussite, la pression des parents, strictement consommateurs du système, et donc désireux d’avoir un retour rentable pour des progénitures démotivées : il suffit d’une étincelle pour que cette situation explosive se concrétise ! Elle est arrivée à Créon, mais elle peut arriver ailleurs à tout moment, sur un sujet ou un autre.
La France a plongé son système éducatif dans la tourmente et, plus encore, l’a transformé en victime expiatoire de pseudos erreurs de la Gauche. Les profs actuels payent les déclarations haineuses de Nicolas Sarkozy et du Club de l’Horloge sur le mai 68 des vieux cons comme moi qu’ils ne leur pardonneront jamais ! La stigmatisation voulue, organisée, programmée (fausses études, textes débiles, désengagement de l’État, déclarations provocatrices des UMP ministériels ou en postes de responsabilité…). J’ai ressenti dans les discussions que les professeurs étaient en permanence sur la défensive, comme ces gens qui sont harcelés par des décisions extérieures. Ils souhaitaient du respect, de la sérénité et peut être aussi une forme de reconnaissance qu’ils n’ont plus !
Le conflit n’a été pris par la hiérarchie qu’au premier degré, car il ne peut en être autrement. Il est en effet très difficile pour un « responsable » d’avouer publiquement qu’un conflit met en évidence les effets pervers de la politique qu’il est chargé de mener. Ou s’il le fait, il évite d’être trop précis et trop percutant. J’ai perçu dans les nombreux contacts que, justement, on atteignait les limites du fonctionnement de la pyramide actuelle… avec des personnes envahies par des problèmes de forme pour éviter d’aborder des problèmes de fond. Effectifs très lourds… pas de projet pédagogique réel… concentration permanente sur les conditions strictement matérielles de l’enseignement occultant les carences criantes sur les objectifs assignés à l’enseignement lui-même… absence de formation pour des femmes et des hommes jetés en pâture avec des reproches en bout de ligne… système de choix des cadres très approximatif… absence d’accompagnement médico-social réel des enseignants… système odieux des primes qui incitent au chiffre et au camouflage des réalités… la liste serait trop longue et trop alarmante !
Merci aux professeurs du collège de Créon de s’être indignés. Je ne sais s’ils ont lu le livret de Stéphane Hessel, mais en tous cas ils ont redressé la tête quand beaucoup la courbent et filent chez eux pour oublier leurs désillusions. Ils ont démontré à leurs élèves, à la hiérarchie, au monde politique que l’on pouvait faire face dans la solidarité, l’unité, la solidité. Certes toutes leurs blessures ne se cicatriseront pas rapidement. Certes, ils n’effaceront pas cette indignation qui les ronge. Certes leur bonheur ne sera pas dans une demi victoire, mais ils auront la satisfaction d’avoir clamé « assez ! assez ! » et d’avoir retrouvé leur honneur dans un combat, symbolique à bien des égards. Dommage que ce soit dans une bataille ponctuelle et personnalisée, mais tout le monde sait que du local partent souvent les combats globaux. Merci à elles et eux !

Cet article a 5 commentaires

  1. batistin

    En hommage à mes professeurs, qui auront réussi, ce n’est pas rien,
    à me faire entendre raison en la beauté,
    quand le monde de mon enfance courrait déjà vers la rentabilité.
    Entendre raison en la beauté du geste, indissociable, me disaient-ils, du résultat.

    Un qui peut tout.

    En retrait de l’esprit
    soupeser le crédit
    voilà la référence
    et toute déférence
    portée au débit
    de nos rêves enfuis.

    Quand les puissants
    armés comme Titans
    n’allument que la flamme
    du désespoir de l’âme
    et n’ont d’autre jeux
    que le sang des gueux.

    Ainsi va le monde
    en une laide ronde
    un lien de chaîne
    sur une boule de haine.

    Mais une petite scie
    que tient l’oublié assis
    au fond d’un cachot sombre
    fera pourtant reculer l’ombre
    où la lumière se meurt
    n’atteignant plus nos coeurs.

    Un, puis deux, puis trois
    tous les enfants rois
    sortis de leurs misères
    armés d’une joie amère
    suivront la scie de l’oublié
    et ce sera son jubilé !

    Un, il en suffit d’un
    un exilé
    un disgracié
    et que ce soit chacun de nous
    c’est Tout.

  2. Nadine Bompart

    En Limousin, ils vont carrément fermer deux lycées, dont un, à Meymac, qui recueille en internat des élèves à problèmes, déscolarisés, en grave échec.
    Pas rentable, allez hop, à la rue les gamins!!!
    Le pire ? Tout le monde, même le Président de Région, l’a appris par la presse!!!
    Quel mépris!

  3. J.J.

    …..mais tout le monde sait que du local partent souvent les combats globaux. Merci à elles et eux !
    Comme la « Journée des Tuiles de Vizilles »(1788 !)

    ..le mai 68 des vieux cons comme moi qu’ils ne leur pardonneront jamais !..

    Bienvenue au Club, Jean Marie.

  4. baillet Gilles

    Des proviseurs tyrans, il y en a toujours eu. Pendant 20 ans, le collège de Podensac a été dominé par ce genre d’individu. Leur donner le monopole de la notation des enseignants a de quoi faire peur!!! soit vous tombez sur le sergent chef Chaudard de la 7 ème compagnie ou sur Eichmann, fonctionnaire froid et impitoyable au service de la politique pourrie du gouvernement: et c’est là que commencent les ennuis…

  5. Dudu

    C’est effectivement à échelle nationale que cela aurait dut se passer, pour faire avancer les choses, ou plutôt les faires reculer.

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