Les tisserands inlassables de la proximité

Le lien social, concept démocratique qui n’est jamais quantifié, devient de jour en jour capital pour le quotidien. Il n’existe pas beaucoup d’études sur les bienfaits de ces pratiques qui consistent uniquement, en permanence, à favoriser le dialogue, l’échange et donc la solidarité entre des femmes et des hommes que la société tend à isoler. Depuis deux ou trois décennies, le triptyque républicain de la classe moyenne française a pourtant totalement basculé . La liberté a été escamotée par la sécurité, l’égalité a basculé vers la concurrence, la fraternité a laissé la place à l’exclusion. Pour reprendre un constat, dont j’ai véritablement horreur, de Jean Paul Sartre : « l’enfer c’est les autres! » et, en un résumé un peu outrancier, pour les Françaises et les Français qui font basculer les scrutins électoraux, il faut bien convenir que l’idéal social est devenu : pavillon, gazon, télévision. Comme il existe une consensus sur cette ambition de consommation basique, on assiste à une plongée totale dans l’indifférence.

Durant ces deux journées d’une fin de semaine marquée par la rentrée scolaire enfin unifiée, j’ai pourtant constaté que des centaines de femmes et d’hommes faisaient encore du lien social, à la manière dont Monsieur Jourdain faisait de la prose : sans le savoir ! De l’espace culturel de Créon, ou plus de 150 citoyens engagés dans la vie associative ont accueilli plus de 2 000 personnes de tous les âges pour la « saison » 2009-2010, à La Mothe Saint Heray, petit village des Deux Sèvres où l’on célébrait, à l’échelon national, la tradition séculaire des Rosières (188 ans de fêtes et 370 Rosières reconnues), en passant par la Foire aux vins et aux produits régionaux de Pompignac, il est indéniable que la résistance s’organise de plus en plus difficilement. Toutes les collectivités locales se battent afin de maintenir les liens qui doivent, dans une démocratie, relier les citoyennes et les citoyens entre eux… mais on sent bien qu’il y a des accrocs dans le tissu!

Il y avait, samedi, une foule considérable toute la journée dans le lieu symbole de l’activité culturelle créonnaise et Cathy Gallo, adjointe au maire, en mon absence, a parfaitement su souligner les efforts quotidiens effectués par l’équipe municipale à laquelle elle appartient pour développer l’engagement individuel dans une structure collective. Que ce soit par des aides financières très fortes, des mises à disposition de locaux ou de services, par la diminution des coûts pour les adhérente(e)s et les adhérents via le principe unique en France à sa création des chéquiers « Créon + » qui favorisent l’adhésion à la vie collective organisée pour les 0-18 ans, les élus créonnais ont tissé sur leur territoire des relations extrêmement serrées et diversifiées. Ils doivent se battre pied à pied afin que cette spécificité créonnaise ne soit pas taillée en pièces par les ratios financiers et les réformes promises.

A La Mothe Saint Heray, où je me suis déplacé pour la journée de samedi, afin de présider le rassemblement de l’association des villes des rosières de France dont je suis le Président, la foule présente témoignait que rien n’est perdu, car cette fête spéciale était à la fois celle de « la tradition et de la modernité » comme l’a parfaitement souligné Delphine Batho, députée de la circonscription de La Mothe. Ces cérémonies, qui permettent aux gens de se rassembler dans le bonheur de pouvoir partager une identité séculaire, conservent un tant soit peu d’attrait. Les villes de toutes les régions de France qui avaient déplacé une délégation ne partagent pourtant pas nécessairement cette volonté, laissant des bénévoles convaincus se battre pour rapiécer un tissu social dissous dans l’indifférence. J’ai senti à la fois un regain d’espoir chez certains d’entre eux, en constatant que justement ils n’étaient pas seuls à lutter, ou un abattement, car ils ont de plus en plus de mal à convaincre de l’utilité de leur investissement citoyen. Des dizaines d’adolescents servaient 350 repas,  dans la nuit, comme un symbole de la solidarité qui se noue autour des clochers et des mairies à taille humaine.

« Je suis pessimiste m’avouait à Pompignac, en marge du cortège officiel, une animatrice de la Foire aux vins et aux produits du terroir. Je ne vois pas venir de relève, car dans le fond, personne ne se soucie véritablement de la manière dont ce type de manifestation peut exister! » Et c’est vrai, la foule circulait entre les stands, dans les allées du vide-grenier, ou devant les expositions des artistes, mais se comportait essentiellement en « consommatrice » allant d’un lieu à l’autre, sans un instant prêter attention au discours des élus français et espagnols qui prêchaient dans le désert. Les jumelages entre les villages d’un coté et de l’autre des Pyrénées tentent aussi, à leur manière, d’étirer sur des centaines de kilomètres les liens entre des familles, des associations, des institutions, mais ils ne rencontrent pas toujours l’écho qu’ils méritent. Philippe Madrelle, Président du Conseil général et Jean Pierre Soubie, mon collègue conseiller général, Denis Lopez, maire de Pompignac, ont vigoureusement partagé mes craintes, exprimées depuis plusieurs semaines, sur la réforme en cours des collectivités territoriales et notamment des collectivités locales!

En fait, après ces longues heures passées sur le terrain, je suis revenu convaincu que la mort potentielle déguisée des communes et des départements est bel et bien un coup mortel à la démocratie, car elle va étouffer ces tisserands inlassables de la proximité, au profit d’une caste élective, et d’une technocratie étatique, décidées à ne pas laisser se reconstituer le pire des tsunamis, celui de la citoyenneté agissante.

Et pourtant, ce week-end était tellement réconfortant… pour le moral !

Cette publication a un commentaire

  1. olivette

    eh oui bien d accord ,sans doute pas mal de gens pense la meme chose .
    sans doute certains y pensent qqfois mais se taisent, d autres affichent ouvertement et se donnent les moyens de porter a la connaissance d autrui (merci internet ).
    au fond avec les outils de com d aujourdhui , le quasi temps reel de l info, pourquoi n arrive t on pas a mettre en place un « systeme » qui permette de compiler les reactions et d en prendre note ( la big boite a idée ).
    moi je trouve que globalement les administres sont plutot silencieux… sans doute peur du changement, pourtant quand on a rien perdre c est facile.

    pavillon gazon television c est bien trouvé ,et ca veut bien dire que ca veut dire

    A+

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