Mais diantre pourquoi font-ils des réformes?

En fait il va falloir se rendre à l’évidence : la France a élu François Hollande pour qu’il ne réforme rien dans le système social. Entre les gens de droite qui condamnent par avance toute initiative réformiste et les exigences d’une partie de la gauche jugeant que toutes les propositions ne correspondent pas à des engagements de campagne la marge n’existe même pas. C’est devenu très préoccupant pour les mois qui viennent puisque les contradictions sont largement supérieures à toutes les certitudes. Impossible de mener une vraie politique de redressement national sans aussitôt soulever une fronde « spécialisée » avec un corporatisme antinomique de la simple notion de solidarité. Toutes les professions ayant du travail parfois lucratif considèrent qu’elles sont victimes des décisions gouvernementales. La victimisation sociale prend des allures de constante dans la société. Plus un seul électeur ou contribuable n’a pas une raison de se considérer comme spolié par une réforme.

Durant la décennie UMP il suffisait de dresser une partie de la France contre l’autre pour se concilier une part importante de l’électorat. Par exemple en rendant les fonctionnaires responsables (trop nombreux, trop payés, trop revendicatifs) de la ruine du pays on se conciliait le soutien du secteur « privé »…Et dans le fond ce n’était pas un problème car une bonne part des « révoltés » actuels s’accommodait de ces décisions qui touchaient un secteur considéré comme handicapant pour la croissance. Tous les « bonnets rouges » n’ont probablement pas levé le petit doigt quand le gouvernement Fillon tapait à bras raccourcis sur l’éducation, la justice ou la santé. Au contraire certains, c’est incontestable, applaudissez les coupes sombres effectuées dans la fonction publique. Ils sont à l’image d’une nation ayant perdu ses repères républicains : tapez sur les autres mais en aucune manière sur nous.

Vétérinaires, transporteurs, artisans, agriculteurs, avocats, sage-femmes… ont pris tour à tour le chemin de la contestation. Souvent pour des raisons diamétralement opposées mais réunis par un sentiment profond d’injustice qui fait que toutes les oppositions se rejoignent. Elles sont dopées par des maladresses de communication et surtout par une exploitation méthodique des manifestations qui transforment une revendication en agression. Cette tendance démultipliée chaque jour ou presque donne l’impression de la montée d’une révolte généralisée. Une fausse impression car les mouvements sont spasmodiques et surtout disparates mais n’ont comme fond commun deux mots magiques : impôts et taxes ! N’importe quel gouvernement, n’importe quel élu de base connaît cette accusation récurrente. Il suffit d’agiter ce spectre pour faire recette.

Les Français veulent maintenir le même niveau des services et de solidarité sans se rendre compte que nous n’en avons plus les moyens. Et le problème c’est que personne ne veut le reconnaître. Surtout pas la Droite qui veut revenir à sa théorie de destruction de la fonction publique et donc réfute l’idée même d’une contribution du maximum de personnes à l’effort de redressement. Surtout pas la Gauche qui crie à la trahison puisqu’elle attendait un miracle ! Bref personne n’est satisfait et tout le monde gueule contre la moindre des réformettes. Pour les uns c’est trop et pour les autres c’est pas assez. Au mieux c’est une verre à demi-vide ou à demi-plein. On en arrive ainsi qu’au Sénat un front de gauche-droite renforcé par des radicaux de gauche réglant des problèmes d’investiture grâce à leurs votes balanciers.

Il faut se demander si, dans le fond, une bonne opposition frontale avec une majorité droite-extrême droite ne plairait pas à bien des gens espérant une vision manichéenne de la politique. Le réformisme n’a plus la cote car il déplait les extrêmes et mécontentent les réformés. Dans l’éducation nationale on donne l’exemple et on préférait presque les attaques sarkozistes qui déculpabilisaient face à l’échec. En tous cas il ne faudra plus compter sur moi pour me battre en sa faveur ! La santé publique serait-elle mieux lotie ? A vérifier mais c’est assez facile ! La justice aurait-elle davantage de moyens ? On peut en douter. La France diminuerait-elle sa dette ? Compte-tenu de l’expérience des années Sarkozy c’est non ! Il faut donc se résigner : la situation va empirer dans le négatif et bientôt un dernier sondage détruira les derniers vestiges de l’autorité présidentielle alors que la Constitution fait tout pour qu’elle soit épargnée.

Si François Hollande a commencé par le plus facile, ce qui ne veut pas dire le plus aisé à imposer – la hausse des prélèvements, d’abord sur les riches, mais, très vite ensuite, sur les ménages moyens et modestes -, il va désormais devoir entrer dans le dur de la reconfiguration de l’État. Et ça c’est mission impossible sauf à continuer à être la cible. Pourtant le temps des réformes vraiment impopulaires arrive. Inévitable. Inexorable. Les réformes seront impopulaires. Très impopulaires. Jusqu’ici, le Président et son gouvernement a pratiqué l’évitement, comme pour la réforme des retraites. Réforme exemplaire de l’échec des réformes car rejetée au Sénat par la droite et la gauche unanimes pour des raisons opposées.

Le gouvernement espère encore gagner au loto de la croissance et joue avec le feu. Il ne tiendra pas au-delà des fêtes de fin d’année…. et le nouveau ne résistera que s’il ne réforme rien et se contente de parer au plus pressé. Pour le reste la recette est simple : ne rien faire et laisser couler le paquebot France en multipliant les canots de sauvetage.

Cet article a 4 commentaires

  1. Lecomte

    Bravo. Tout à fait en accord avec cette vision malheureusement bien pessimiste. En fait notre société a perdu sa capacité de discernement et je ne vois que 2 solutions: l’une radicale et extrémiste, l’autre dictée par un consensus national des politiques pour prendre le décisions qui s’imposent, mais là encore l’individalisme ou le corporatisme sera un frein majeur.
    Est-on capable d’un sursaut de lucidité? Où sommes nous trop sur le déclin

  2. J.J.

    C’est l’égoïsme institutionnel, l’égoïsme individuel élevé au rang de valeur universelle !

    La fable du Soliveau (encore notre La Fontaine ) est plus que jamais d’actualité, mais les conséquences seront douloureuses.
    L’individualisme triomphant risque de finir dans le chaos.

    Je me réjouirais presque d’être vieux….

  3. Hervé Mathurin

    Bonne analyse que je partage et qui interroge en filigrane sur l’avenir de la démocratie représentative.

  4. Florent

    Encore une fois, je suis tristement d’accord avec votre écrit… Pessimiste de voir que le rassemblement, tant souhaité par François Hollande, naisse contre sa politique, et contre sa personne. Les récupérations syndicales, politiques et corporatistes sont croissantes alors que des réformes sont nécessaires et urgentes. Je ne sais tout de même pas ce qui manque le plus au gouvernement actuel : du courage, pour aller jusqu’au bout de réformes qui on été actées, travaillées pour certaines durant le mandat sarkoziste, ou de la pédagogie pour (enfin) fédérer les français au bienfondé des efforts à venir. J’ai effectivement peur que le gouvernement se retranche vers une fuite en avant, sans réforme, sans vague, ou pire, qu’il accepte de discréditer l’élection présidentielle en distribuant au peuple des référendums comme l’on distribuait des pains jadis…

Laisser un commentaire