Plus de gouvernement mais un "gigantesque conseil d'administration"

Qui peut croire un instant que les annonces de Manuel Valls sont le fait de choix politiques de sa part ? En fait il assume des propositions techniques préparées depuis des semaines par les responsables des services de Bercy. C’est la rançon de la fausse démocratie dans laquelle vit une société des apparences puisque depuis une bonne trentaine d’années, lentement, comme le sable entre les mains, le pouvoir réel échappe aux politiques ! C’est la vérité à tous les étages de la démocratie. Combien d’élus locaux font-ils réellement leur budget ? Combien de ministres écrivent-ils un discours ? Combien de présidents divers et variés imposent leur vision à des administrations en auto-reproduction permanente ? Ils sont très rares et ils sont vite repérés comme dangereux ou rangés dans la catégorie des donneurs de leçons. L’irresponsabilité profonde constitue le paradigme de la vie sociale dans laquelle il faut pourtant toujours faire semblant, à Paris, d’être à l’origine de tout. La pesanteur de la gangue des conseilleurs officiels ou officieux étouffé toutes les initiatives politiques ! Aucun membre du gouvernement actuel n’a eu à gérer autre chose que des relations internes au milieu politique ou administratif. Ils ne voient le monde que par le prisme de ce monde étriqué où nagent un millier de personnages clés allant de la plage au large selon les périodes d’alternance. Ce sont eux qui à 80 % règlent les « affaires » et font porter le chapeau aux personnes symbolisant le pouvoir !

La vie politicienne parisienne n’a peut-être jamais été aussi éloignée du terrain. Aucun renouvellement profond en raison du non cumul des mandats dans la durée, aucun changement des méthodes de pensée car le creuset des formations est absolument identique. Partout des plantes hors sol certes belles, colorées, attirantes mais dépérissant très vite quand elles sont débranchées de la nourriture artificielle distribuée par le pouvoir en place. Elles ont souvent grandi dans les « serres » d’une personnalité potentiellement promouvable avant de s’installer dans l’ombre des « cabinets » ou des « directions ». Elles ne savent rien du peuple autrement que pas des stages, des visites organisées et théâtralisées sur ce qu’elles appellent le « terrain ». Manuel Valls comme la très grande majorité des membres du gouvernement n’a prospéré que grâce à ce système que vient de renforcer les dispositions électorales sur les listes bloquées. Il ne reste en fait en France que deux mandats électifs mettant la personne en jeu face au jugement des électrices et des électeurs : le conseiller départemental (pour un seul scrutin!) et le député ! C’est d’ailleurs l’arme que déploient actuellement les stratèges présidentiels : « si vous bougez trop on vous renvoie à poil devant les électrices et les électeurs avec un massacre prévisible ». Ils répandent des simulations issues des ordinateurs du Ministère de l’intérieur : on annonce entre 8 et 12 (miracle) parlementaires européens socialistes, 55 députés de gauche survivraient à une dissolution, 17 conseils généraux seulement resteraient à gauche et aucune région présidée par la gauche ! Autant dire que la technostructure agite l’épouvantail ! Elle y ajoute un slogan : ‘hors nos propositions point de salut ! » admis par une majorité d’élus ne sachant ou ne pouvant pas contester la stratégie comptable et financière sortie de Bercy !

L’humain n’a plus sa place dans ces gestions ratatinées sous l’effet de l’opinion dominante. La destruction inexorable du concept de « citoyenneté » au profit de celui de « consommateur » a totalement transformé la vie sociale. Le plan Valls tient compte de cette mutation en déclinant des mesures techniques accompagnées d’évaluations… mais il n’y a plus aucune référence idéologique, aucune ligne directrice, aucune perspective progressiste. C’est du pur jus « technocratique » non amendable puisque conforme aux espoirs de Bruxelles mais qui provoque des réflexes de « consommateurs » déçus par le directeur du supermarché leur ayant promis des réductions des tarifs qu’ils ne voient jamais arriver !

Manuel Valls a été, quel que soit ce que l’on pense, performant pour « vendre » à la Clémenceau du « manque à gagner, de la fin des espoirs, de l’appauvrissement généralisé »… un exploit de courte durée car derrière les mots il y avait des chiffres ! Et à ce moment là il faut faire référence à passe d’armes dans le fabuleux film d’une actualité brûlante « Le Président » d’Henri Verneuil avec les dialogues de Michel Audiard dits par Jean Gabin en président Beaufort :

Le président Beaufort : Tout le monde parle de l’Europe. Mais sur la manière de faire cette Europe que l’on ne s’entend plus. C’est sur les principes essentiels que l’on s’oppose. Pourquoi croyez vous, Messieurs, que l’on demande au Gouvernement de retirer son projet d’union douanière. Parce qu’il constitue une atteinte à la souveraineté nationale ? Non, pas du tout ! Simplement parce qu’un autre projet est prêt.
Philippe Chalamont : C’est faux !
Le président Beaufort : Un projet qui vous sera présenté par le prochain gouvernement.
Philippe Chalamont : Monsieur le Président je vous demande la permission de vous interrompre.
Le président Beaufort : Ah non ! Et ce projet, d’avance je peux vous en annoncer le principe. La constitution de trusts horizontaux et verticaux et de groupes de pressions qui maintiendront sous leur contrôle non seulement les produits du travail, mais les travailleurs eux-même. On ne vous demandra plus, messieurs, de soutenir un ministère, mais d’appuyer un gigantesque conseil d’administration. »

On y est !

Cet article a 2 commentaires

  1. Vanmeulebroucke Guy

    Bonjour(?)JMD,

    Très bon papier comme d’habitude et une excellente référence cinématographique qui reflète bien la réalité…..

  2. Bernard Gilleron

    J’interviendrai plus tard sur ce sujet important qui touche tous les partis: « ils n’en meurent pas tous, mais tous sont frappés ».
    Et hélas, le PS beaucoup plus que les autres, et ça interroge.

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