Quand Borloo ne supputait pas mais manipulait

Borloo, PDG de Véolia environnement ? C’est peut-être une hypothèse d’état-major politico-économique mais ce n’est certainement pas une rumeur sans fondement. Il existe en effet depuis des mois un lien direct entre celui qui fut le champion du Grenelle et les grandes entreprises du secteur de l’environnement. Même si, comme le veut le système, tout est occulte, il y a déjà belle lurette que j’ai compris le fonctionnement du système des lobbies qui sont infiniment plus puissants que le monde politique. Ainsi, lors de son passage à la tête du grand Ministère, récupéré après la gamelle aux législatives du meilleur d’entre tous, Alain Juppé, l’avocat d’affaires a toujours eu une tendance à ne pas trop déplaire au monde des grands du CAC 40. J’en ai un exemple précis en tête, qui peut être confirmé par de très nombreux élus de toutes tendances.
2010, dans la foulée du cinéma sur grand écran vert du Grenelle, désormais totalement oublié par celui qui ne tarissait pas d’éloges sur son organisation, j’ai participé, dans le cadre de la Commission consultative des emballages, des déchets ménagers et assimilés, aux âpres négociations sur la contribution d’Eco-emballages à ce que l’on a coutume d’appeler le « tri sélectif ». Vous voyez peut-être le lien entre cette commission et votre Taxe d’enlèvement des ordures ménagères… Non ? C’est pourtant simple : le Grenelle repose sur un principe clair, occulté dès le lendemain des palabres verdoyants : « pollueur=payeur ! ». En l’occurrence, les fabricants d’emballages en carton, papier, matière plastique, verre ou aluminium doivent payer pour la collecte et l’élimination des millions de tonnes de « surplus » qu’ils mettent sur le marché. Bien évidemment, ce sont les plus grandes entreprises qui submergent le quotidien de ces déchets recyclables, coûteux à collecter et à trier pour les collectivités locales, qui assurent ce service au nom du monde du profit. La Commission devait se prononcer sur le cahier des charges imposé à toute la filière allant du producteur au distributeur et passant par les « recycleurs »… Cahier des charges devant fixer les conditions matérielles et financières d’intervention d’Eco-emballages, organisme collecteur des fonds nécessaires à ces opérations menées par des structures publiques ou parapubliques.
D’abord, il faut savoir que la gouvernance de cet organisme laissait à désirer, et que personne ne s’est offusqué en apprenant qu’une partie non négligeable des fonds collectés avaient été engagés dans des opérations spéculatives sur des comptes en paradis fiscaux… Les contrôles de l’État, sous l’ère sarkoziste, avaient pour le moins manqué de rigueur. Une plainte en justice, déposée par les associations regroupant les collectivités territoriales est en cours, mais… elle prendra un certain temps ! Les Ministères de tutelle se sont fait discrets durant cette période et tout a été lentement étouffé.
Les négociations auxquelles j’ai participé furent donc « musclées », avec en fond de scène la contribution d’Eco-emballages au tri sélectif sous toutes ses formes (prévention, collecte, élimination…). Il s’agissait de savoir comment serait financé l’objectif du Grenelle, approuvé par Borloo, de 75 % de ramassage des emballages ménagers à échéance… Une gageure dans la mesure où les élus locaux doivent expliquer au grand public qu’il leur faut payer plus comme contribuable pour être un citoyen. Bien évidemment, Eco-emballages étranglé par la crise a tout fait pour éviter des contraintes « pollueur-payeur » contenu dans le cahier des charges. Ce fut une lutte pied à pied avec une complicité permanente entre le lobby des « producteurs » et… 8 pauvres élus représentants des milliers de collectivités ! Parmi eux 4 UMP et 4 de gauche avec trahisons, absences, négociations parallèles, et à l’arrivée des situations de blocage que le Ministère Borloo n’a jamais prises en compte. Les élus locaux ont été oubliés et même parfois sanctionnés (non renouvellement de leur désignation en 2012) pour leur manque de docilité ! Inutile de préciser que ce fut la lutte du pot de fer du profit contre le pot de terre des valeurs. A l’arrivée, quelques centaines de millions d’euros économisés par les fabricants d’emballages inutiles, et un surcoût de la collecte, assumé par les contribuables.
Pied à pied, le groupe des élus presque solidaire attendait l’ultime discussion en commission de concertation le mardi 16 novembre 2010. Le vote allait révéler le deal passé entre le Ministère Borloo et les grands groupes industriels et clarifier les complicités éventuelles. Ce matin là, en entrant dans la salle, nous savions qu’avant de quitter son ministère Borloo avait fait ses cadeaux d’adieu !
En effet, en entrant dans la salle, nous apprenions que de concertation il n’y en aurait pas, que Eco-emballages était épargné puisque, unilatéralement, quelques heures avant son départ du gouvernement, le vendredi 12 novembre 2010, en plein pont de l’Armistice, Borloo avait fait signer un décret donnant raison aux entreprises productrices d’emballages. Un texte interministériel scellé à la hâte, à l’initiative de son Ministère, qui soulageait les « pollueurs-payeurs » d’une joli pactole pourtant dû, selon l’ADEME, aux collectivités collectrices et trieuses, et validait le cahier des charges que les élus locaux combattaient ! Un cinglant désaveu du Grenelle et surtout un joli gage donné aux groupes comme Danone, Nestlé et consorts, mais aussi aux grands distributeurs ou aux énormes entreprises du secteur des déchets… Même NKM, lors d’une audience à laquelle je participais, avait regretté cette mansuétude de son prédécesseur à l’égard de la confédération des pollueurs. Mais comme dirait Borloo ce ne sont que « supputations » et « manipulations ».

Cette publication a un commentaire

  1. facon jean françois

    bonjour,
    merci pour ce témoignage, cela illustre bien le résultat  » plus on trie et plus on paye ! ». Et voila comment une idée assez logique au plan environnemental est totalement détournée de son objectif au profit des géants du déchet ( production, distribution, collecte et élimination des emballages) et tout cela aux frais du couple consommateur- citoyen.
    En règle générale, la grande distribution nous prend pour des pigeons, comment expliquer que des milliers d’Alsaciens font leurs courses en Allemagne… Les prix des grandes marques sont de 30 à 50% moins chères qu’en France! Cherchez l’erreur.

Laisser un commentaire