Quand les feuilles d'automne ne riment plus à grand chose

Dans quelques jours ou quelques semaines, on va beaucoup parler dans les soupers, entre gens qui s’y connaissent en fiscalité, des impôts locaux. C’est en effet l’époque où toutes les feuilles d’automne ne sont pas à mettre au compost. Elles suscitent pourtant un très fort rejet, car les responsables (élus locaux) vivent dans la proximité et sont  immédiatement accusés de tous les maux de la terre. Il est donc facile de s’arrêter à la somme en bas de l’avis reçu des services fiscaux. En fait, peu de monde connaît les modalités surannées du calcul de leur participation aux dépenses de la vie collective. D’ailleurs, en 30 ans de mandat électif, je n’ai vu que des commentaires sur le pourcentage affecté au logement et très rarement des remarques sur la base sur laquelle il est appliqué. Et pourtant l’injustice est dans cette évaluation, qui date d’il y a plus de 30 ans ! C’est ce que l’on appelle « la valeur locative », qui demeure calculée de manière complexe et sur des critères d’un autre temps. Elle varie considérablement d’un coté à l’autre d’une route départementale ou d’une rue, car elle dépend des évaluation effectuées il y a plus de 40 ans ! Les évolutions structurelles du marché immobilier n’ont pas modifié le calcul de la taxe, qui concerne tout de même 33 millions de logements, tous traités de manière différente. Peu de contribuables peuvent donc comparer de manière sérieuse le montant des impôts locaux d’une commune à l’autre. Il faudrait dans un premier temps s’intéresser aux bases qui varient parfois du simple au double ou au triple.

Par exemple les taux sont faibles dans les communes où les «Valeurs locatives cadastrales » ont été fixées sur des critères élevés et ils rapportent beaucoup, alors qu’en milieu rural des taux appliqués sur des VLC de misère ne rapportent rien. Au-delà des taux d’imposition, qui font souvent les titres des journaux approximatifs, adoptés chaque année par les conseils municipaux, c’est donc l’assiette sur laquelle ils s’appliquent qui détermine le montant de la taxe dont les propriétaires comme les locataires s’acquittent. Les commissions communales des impôts, regroupant à parité des élus et des citoyens choisis par le Préfet sur des listes transmises par le Maire, peuvent chaque année (avant la suppression de nombreux postes de géomètres du cadastre), et plus épisodiquement depuis les effets de la RGPP, rectifier le niveau de classement des habitations lors de modifications améliorant le bâti (avec ou sans permis de construire) ou de changement de destination du bien ! Bien des Maires ont la trouille de faire travailler cette commission, qui se doit pourtant de recenser les travaux, les évolutions positives (ajout de pièces, rénovation intérieure complète, véranda, piscine, terrasse couverte ou non couverte…) ou négatives (démolitions, état de  vétusté constaté, logement vide au 1er janvier) des logements ou des locaux commerciaux, car électoralement c’est dangereux, mais c’est pourtant équitable ! Ils peuvent aussi rectifier, sur une zone le classement historique, des habitations en les faisant changer de « catégorie », mais les services fiscaux n’aiment pas ces efforts d’actualisation car ils n’ont plus les moyens humains pour les prendre en charge !

Le site Challenges.fr présente des exemples d’iniquité concrets. La locataire d’un appartement de 32m² dans le 17ème arrondissement de Paris doit sortir un chèque de 750 euros (en comptant la redevance télévisuelle), quand le propriétaire d’un duplex de 55m² avec verrière dans le coin le plus « bobo » du 10ème arrondissement acquitte seulement 493 euros. Pour 32m² en location à Boulogne-Billancourt, un autre journaliste doit payer 300 euros. Enfin, un dernier se voit réclamer 701 euros pour 45m² dans le 9ème arrondissement… et on peut, dans n’importe quelle zone, effectuer les mêmes calculs qui ne dépendent pas nécessairement du… taux voté par les élus ! Il faut aussi savoir qu’ une bonne partie de la population est exonérée de la TH en raison de ses revenus ou de son âge. La compensation est assurée à ce jour par l’État? ce qui fait que parfois, dans certaines communes paupérisées, le niveau de la TH très élevé n’a pas d’incidence sur la situation financière des occupants de logements.

Les sénateurs François Marc et Pierre Jarlier parlent d’un « système injuste ». Surtout que les VLC servent également au calcul de nombreuses taxes locales (taxe foncière, cotisation foncière des entreprises, taxe d’enlèvement des ordures ménagères, taxe sur les friches commerciales…). Nombreux sont ceux qui avaient relevé que « l’équité entre contribuables n'(était) pas garantie ». « La non revalorisation des bases induit des transferts de charges importants entre contribuables », estimait alors l’émanation de la Cour des comptes. Les tarifs de 1970, encore en vigueur, ne reflètent plus la réalité du marché immobilier. En particulier, les biens de faible valeur paraissent largement surestimés par les valeurs locatives cadastrales. Les immeubles de construction récente, notamment ceux abritant des habitations à loyer modéré, présentent de nombreux ‘éléments de confort’ appréhendés par le dispositif mais minorés. A l’inverse, la rénovation des logements anciens n’a pas été intégralement prise en compte ni la désaffection pour les zones où l’activité économique a plongé ! Toutes les tentatives de réforme ont été oubliées par tous les gouvernements successifs car elles supposent un bouleversement des bases et donc du montant des impôts collectés, avec d’ailleurs un taux de 8 % pris par Bercy pour récupérer des milliards sur le dos du contribuable local ! La dernière remonte à 1990, mais elle n’a jamais abouti à cause des « transferts de charges » qu’elle aurait engendrés, selon le rapport sénatorial: 38% des logements soumis à la taxe d’habitation auraient vu son montant progresser d’au moins 5%, et pour 7% d’entre eux, il aurait explosé de plus de 50% ! Politiquement difficile à vendre auprès des électeurs, la réforme a été enterrée.

Pour mettre fin à l’injustice caractérisée de la taxe d’habitation, le rapport préconisait en 2010 de « constituer une assiette mixte, intégrant une part de revenu » à côté des VLC renouvelées. Une manière d’indexer en partie la taxe d’habitation aux capacités contributives de chacun. On peut toujours envisager un « grand soir » de la fiscalité locale… et attendre un miracle ! En attendant, on continuera à s’écharper sur les taux;  au moins cela permet aux journaux de faire du sensationnel avec du superficiel !

Cet article a 2 commentaires

  1. Cubitus

    Le contribuable lambda n’a que faire des méthodes de calcul, paramètres complexes et péréquations de toutes sortes qui déterminent l’assiette de son impôt. Il ne voit qu’une seule chose : c’est le montant final qu’il doit payer et qui, lui, augmente régulièrement tous les ans alors que son niveau de vie régresse, que son salaire est gelé et qu’il doit resserrer sa ceinture cran après cran et se priver de plus en plus. Quand il n’y va pas déjà, il lorgne de plus en plus vers les discounts pendant qu’on sert en abondance champagne et petits fours dans les réceptions officielles et privées.

  2. facon

    Il serait en effet grand temps de revoir les bases qui datent de 1971 sur simple système déclaratif. Depuis cette date les intérieurs ont beaucoup changé, surtout dans les maisons anciennes, je ne parle pas, à la campagne, des anciennes granges devenues salle à manger ou salon toujours pas imposées … En fait ce sont les constructions neuves qui sont le plus taxées. Je suis parfaitement d’accord avec le fait que les contribuables limitent leurs investigations au niveau du total à payer sans analyser la part de chaque partie prenante. Pourtant il faut reconnaître à l’administration fiscale le mérite d’avoir fait beaucoup d’efforts de présentation. Ancien inspecteur du Trésor j’ai organisé il y a quatre ans quelques conférences locales sur la fiscalité pour aider les contribuables à lire leur feuille d’impôt. Sur mon blog je tente, chaque année, d’expliquer qui est responsable de l’augmentation car, trop souvent, c’est à tort que le maire qui est visé. Ainsi, l’année dernière la Communauté de communes ayant augmenté le foncier bâti de 106% je me suis fendu d’un tract pour dédouaner le maire qui n’est pourtant pas un ami. Ce sont souvent les Communautés qui tapent fort et, pour adoucir la facture de sortie ce sont les communes qui sont les plus sages. Une chose est certaine, en matière d’impôts locaux nous avons atteint le maximum.

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