Saigon le dragon remuant et Hanoi la carpe grise

Le dragon vietnamien a sociologiquement, historiquement et humainement deux têtes. Contrairement â celles des gravures des légendes elles s’avèrent fort différentes dans tous les domaines. Largement créée par la Chine dont elle fut une entité soumise, Hanoï affiche une austérité générale inspirée par les souffrances des guerres d’indépendance. Alors que Saigon devenue par mesure de rétorsion Ho Chi Minh ville continue avec doigté â chercher les moyens d’échapper à une tutelle politique qu’elle n’a vraiment jamais admise. La ville de résidence post-mortem du père de la révolution vit quant à elle, autour de sa vie, de son œuvre et de sa dépouille. Cette dualité extrêmement perceptible illustre la réalité actuelle de notre monde. Au nord un pouvoir politique réputé dirigiste, fort, intransigeant avec la vision originelle du socialisme à la sauce russo-chinoise et de l’autre la réalité économique libérale tempérée par la main intéressée du parti unique : les deux facettes sont forcément en concurrence et il n’est pas certain que celle de Hanoï soit celle qui résistera à l’usure du temps. L’affrontement politique et économie touche bel et bien le Vietnam!
La « capitale » officielle souffre en effet considérablement de la comparaison avec une cité de plus de 8 millions d’habitants étalée aux marges du delta du Mékong, véritable fleuve nourricier du pays ! La sévérité nordiste, son ordonnancement très figé ne sont battus en brèche que par les furieuses charges d’une cavalerie populaire motorisée envahissant les rues. Partout sur les immeubles publics (c’est normal) mais aussi et surtout sur les commerces, les immeubles ou les naissons d’habitation, flotte des drapeaux rouges frappés de l’étoile jaune. La diffusion à heures fixes par des hauts-parleurs des années 60 de la propagande gouvernementale dans toute la ville contraste avec le silence dans le même domaine que l’on enregistre ailleurs. La mémoire des combats menés ne s’est pas dissoute au fil du temps. On s’affiche au Nord ouvertement comme « patriotes » quand au Sud on ne trouve aucune trace de pareille dévotion à la bannière mono étoilée.
Les slogans publicitaires, les néons criards des enseignes, les immenses panneaux vantant des produits copiant étrangement ceux des grands trusts (on s’arrange comme on peut avec sa conscience socialiste), les devantures aguichantes submerges ce qui fut la ville la plus coloniale de Cochinchine. Saïgon a conservé les traces de ses expériences libérales Quand à Hanoï les trottoirs sont squattés par des petits boulots ou des micro-commerces de nourriture ou de services, sa rivale fait péter Dior, Hermès, Vuitton et bien d’autres suppôts du Satan capitaliste. Le fric se montre et se revendique par la présence de nombreuses automobiles avec chauffeurs ! On vit bel et bien deux réalités différentes dans un pays se voulant unique par son territoire réunifié, son parti sanctuarisé et sa langue écrite particulière ! C’est un constat dont nul ne connaît l’issue.
Sur leurs pégases à 2 roues les fonctionnaires de la capitale administrative passent,s ans un regard, devant la seule statue monumentale de Lénine hors ex-URSS encore debout. Ils longent les grilles d’un immense palais colonial dans lequel s’est installé le Parti communiste dont l’oriflamme rouge est encore agrémenté de la faucille te du marteau couleur or. On a la sensation étrange d’être revenu au temps des républiques d’Europe de l’Est avec une adaptation sudiste à la mondialisation et à la loi du marché. Les parcs industriels avec investisseurs étrangers alléchés par un coup mensuel de la main d’œuvre moyen à 2 euros pour 8 heures de travail quotidien sur 6,5 jours poussent parfois au milieu de nulle part. Hanoï tente de rattraper son retard sur sur sa « soeur » de sang, mégalopole économique devenue Ho CHi Min ville. Difficile pari car la bosse du commerce, de l’ouverture, de l’enthousiasme reste dans le delta de ce Mékong généreux dans ses cultures et ingénieux dans l’exploitation des savoir-faire des nordistes par un pseudo capitalisme étatique..
La colonisation avec le pimpant Hôtel de Ville, l’aguichant opéra, la monumentale Poste, la sobre cathédrale de briques roses de Toulouse, l’hôtel Majestic a encore pignon sur rue en toute indépendance à Ho Chi Minh Ville alors qu’elle a été gommée ou accaparée pour être transformée dans la cité du Parti communiste où la seule véritable visite concerne le mausolée et la dernière demeure du père de la révolution. La sœur « aînée » cochinchinoise est une fille naturelle du libéralisme débridé ayant conduit les armées françaises et américaines à venir conquérir puis défendre les intérêts de leurs sociétés pas encore du CAC 40 ou du Nasdaq. L’autre se réclame du peuple qu’elle a libéré au prix de terribles sacrifices de générations perdues, d’horribles crimes civils que les musées dénoncent et elle vit toujours sur la fierté, le courage, la résignation et la patience. Saïgon joue les dragons enthousiastes, débordante de vie, entreprenant et Hanoï demeure une carpe réfléchie, figée, faisant des efforts de changement contre nature!
En plein développement avec de très gros chantiers comme les métros, les routes, les équipements publics le Vietnam ressemble à un funambule sur le plan politique et économique. Il tente de concilier capitalisme et communisme comme l’énorme ogre chinois qui est réveillé depuis longtemps. A Hanoï on sent bien que les provocations réitérées de la Chine dans « sa » mer désormais baptisée au Vietnam « mer d’Orient » inquiètent l’opinion. Elles mettent le parti unique basé à Hanoï au supplice car il faudra bien admettre un jour que la fraternité s’arrête là ou commence les intérêts politique ou économique du voisin expansionniste. A Saigon on regarde avec distance ces péripéties car la colonie chinoise de 850 000 personnes à déjà la main mise, depuis Chollon, sur le commerce de gros et fait les prix du quotidien dans le pays. Alors on est réaliste. ON vit dans la réalité et plus dans le passé glorieux. Pour l’idéologie politique on n’a jamais été convaincu et on fait semblant d’y croire car la surveillance est réelle. Est ce bien original dans notre monde ?

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