Soirée étonnnante d'été aux "Bouffes barisiennes"

Le jardin où trône dans sa majesté un chêne vert est toujours le même. La voûte de cet arbre planté, symbole fort, le 8 mai… 1945, va servir cette année encore de ciel à une salle d’opéra de plein air imaginée par des fondus d’opérettes ou d’opéras bouffes inédits ! Je m’y retrouve avec grand plaisir après en avoir découvert les charmes l’an passé. La « scène », bâtie par les services municipaux de ce village de Barie (33) aux maisons haut perchées par peur des caprices de la Garonne, est véritablement d’été comme le souhaite le Conseil général, car elle ne vit pas plus longtemps que ces phalènes qui passent devant les projecteurs, que quelques heures chaudes par an ! On s’installe à cette table d’hôtes sans protocole et avec la volonté de n’être vraiment qu’un passant, heureux d’entrer dans une auberge de campagne où, derrière le comptoir, on trouve un patron rassurant car tout en rondeurs et en attentions pour la salle.

Ce soir au menu des ces ripailles musicales un hors d’œuvre italien de bel canto et une carte réservant des mets très originaux ! Un verre de rouge en mains ou posé sur un gazon rustique, il est temps de se laisser aller au grand air ! Il arrive avec des échantillons d’œuvres célèbres, égrenées par des artistes exhalant le bonheur de ceux qui offrent sans retenue leur plaisir aux autres. Le soleil se retirant derrière les nuages sur la pointe des rayons, on entre alors progressivement dans la magie des soirées estivales. Avec deux bouts de chandelle technique, l’opéra nature s’illumine, du moins tant que la fée électricité consent à tenir ses engagements… car lors de l’explication vaudevillesque entre Octavie et Arthur….

Au cœur d’un village ayant toujours eu à craindre des eaux, le sergent de ville de l’oeuvre de Barbier a adopté une attitude rassurante : sa passion porte sur la dive bouteille ! Il n’ y a que son mariage pour rouiller à l’épreuve du temps et plus encore de ses frasques avinées. Convaincant dans le rôle avec une voix porteuse, Cyril Fargues tient la route comme pochard chantant tout droit sorti d’une époque révolue où l’on pouvait sans risques caricaturer en bidasses peu futés cette police que l’on qualifierait maintenant de proximité. Tantale ? Il serait capable de lui infliger un contrôle d’identité ! Sauf que son épouse excédée va lui réserver un interrogatoire musclé après avoir exploité sa faiblesse et avant de lui imposer le « supplice » de l’assoiffé ne pouvant accéder à la source de ses rêves ! Le duo fonctionne bien, grâce à un jeu d’acteurs crédible et à la qualité de l’interprétation enlevée et juste de Magali Klippfel.

Il y a du Labiche dans ces personnages, et les refrains références donnent véritablement envie de participer au chassé-croisé des prises de pouvoir, préalables à l’inévitable réconciliation… Cette opérette format réduit, appartient aux œuvres sans prétention qui n’avaient d’autre but que de mettre les couples face à la dure réalité de leur fonctionnement. La gorgée de rouge qui vient après a la saveur particulière de celles que l’on vole à la bienséance moralisatrice… elle permet d’attendre que la troupe adapte le décor à une autre aventure, plus excentrique et plus exotique.

Trombolino rime en l’occurrence avec Zorro, comme le suggère d’ailleurs quelques adaptations du livret initial. On entre dans le burlesque d’aventure avec un bandit… d’opérette (Jean-Marc Choisy), un marquis poudré, tout droit venu des « Précieuses ridicules » (Jean-Yves Arramon) et une diva, Penilla, resplendissante par sa voix et sa finesse (Claire Baudoin), toujours du côté de celui qui l’admire. « Je me nomme Cantarini » , envolée pour ténor ; un cocasse duo « Je te ferai reine des bois.. » avec une excellente Claire Baudoin ; « Je suis Trombolino » interprété avec conviction, ponctuent de moments musicaux entraînants cette opérette qui vire à la bande dessinée, ou fait irrésistiblement penser à un « clip » parodie, ayant fait le succès d’Henri Salvador sur les étranges lucarnes il y a des années. Les protagonistes de cet enlèvement à but « artistique » prennent visiblement beaucoup de plaisir complice à donner cette œuvre avec pistolets et vendettas ! C’est communicatif et c’est probablement le secret de ces soirées où on ne peut qu’adhérer sous les étoiles à la passion que mettent les chanteuses ou les chanteurs à se lancer dans des ouvrages inédits, évitant ainsi toute comparaison avec des interprétations professionnelles historiques.

Le temps file vite, et quand arrive au dessert, excentrique, déjanté de « Vent du soir », la diversité du spectacle empêche toute lassitude. Offenbach écrivait avec facilité, mais là, il est allé au-delà de ce que l’on connaît de lui, tellement il a laissé gambader son imagination. Il est certain que cette aventure à la fois exotique autour d’un déjeuner entre chefs de tribus fait inexorablement penser à ces repas entre les grands de notre monde qui cherchent toujours à épater leurs hôtes. On sait tout (repas des femmes..;) mais on ne se dit rien, petits arrangements entre ennemis ; mépris de la morale ; souci des apparences ; complices muets mais actifs… La rencontre entre le manitou adorateur de l’ours blanc qui va mal terminer sa vie de Dieu vivant, « Vent du soir » chef des « Gros Loulous » et «  Lapin courageux », chef de la tribu voisine des « Papas Toutous » relève de la parabole sur les relations internationales, où dans le fond les seuls victimes sont les gens qui ne participent pas au dîner… Leur « anthropophagie » est moins comique : ils plongent parfois dans des cuisines diplomatiques peu ragoutantes confectionnées par des hommes de main muets ( « Pas Peigné du tout » dans cette opérette) des vies humaines jugées insignifiantes. L’Histoire est peuplée de repas du type de celui qui réunit, grâce à Offenbach, ces mégalos tricheurs et sans scrupules ! En tous cas, on s’amuse beaucoup et je suis certain qu’un Jérôme Savary ou un Philippe Découfflé tireraient profit de cette œuvre détonante écrite en 1857. En tout cas, tout le monde s’en donne à cœur joie, dans une mise en scène imaginative, dynamique et décapante de Pascal Hercé, un homme du Nord tombé dans le chaudron magique des « rossignols courageux » de Barie !

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