Un seul regard fait mon bonheur

1907 Suzanne Salvet 03 (2)Depuis 1907, Créon s’offre chaque année une fête identitaire. Certaines villes puisent leur notoriété dans un patrimoine plus ou moins historique, fruit de la puissance économique ou religieuse d’une époque où le profit menait aux mêmes excès qu’à notre époque. D’autres ne construisent leur unité qu’autour d’événements symboliques, reposant sur une culture du partage. Durant des siècles, les artisans, les agriculteurs, les villages se donnaient un Saint protecteur afin de croire en un avenir prometteur. On défilait (et on défile parfois encore) comme pour conjurer le mauvais sort de l’égoïsme que l’on pratiquait tout le reste de l’année. Se rassembler dans la liesse, la simplicité, l’échange, la chaleur de la table, le jeu, la facilité, demeure la véritable recette de l’identité communale. La fatalité de l’anonymat, de la cité dortoir, naît souvent de l’indifférence des habitants pour la proximité.

Depuis 1907, la tradition du couronnement de la Rosière a traversé les modes, les critiques, les aléas de la vie locale, les affrontements politiques ou les querelles. Ainsi l’avait voulu Antoine Victor Bertal qui avait légué son immense fortune et son patrimoine artistique à une commune qui l’avait certes vu naître, mais qui l’avait oublié depuis belle lurette. Il voulait donner une identité culturelle forte à ce Créon dont il gardait un souvenir ému d’enfant. S’il a totalement échoué, car les élus qui empochèrent son legs n’ont jamais véritablement eu conscience de l’enjeu fabuleux que portait son testament…, il a réussi au-delà de ses espérances en donnant une opportunité annuelle à la ville bastide de démontrer son sens de l’amitié et du dialogue. Désormais, le rendez-vous des fêtes (28, 29,30 août) s’il est moins prestigieux qu’il ne le fut dans les « sixties » (Brel, Distel, Annie Cordy, Luis Mariano, Claude François, Fernand Raynaud, les Surf, Bécaud… sont passés sur une improbable scène dressée sous un chapiteau ou dans des garages), a pris un sens. En effet, il se veut celui de l’intégration sociale, de l’échange, du partage, avant d’être celui de Secret Story, de Vivement dimanche ou de la Star’Académy. Durant trois jours, l’objectif reste le même : permettre au plus grand nombre de dénicher sa parcelle de bonheur! Une fête construite les uns pour et par les autres!

Déjà plus de 650 repas sont programmés : pour le soirée basque avec banda , 300 (c’est complet!) le vendredi soir 28 août, plus de 200 pour celle du samedi 29 (sardinade) et 150 dimanche 30 à midi, autour de la Rosière et du Rosier 2009. Ce sera le Point d’orgue d’une série de cinq semaines de convivialité ininterrompue, qui auront permis de servir, tant au Point Relais Vélo que dans la Bodéga des fêtes, environ 2 500 repas, avec animation culturelle gratuite. Cet investissement dans le lien social festif ne se quantifie pas en terme de retombées sociales, alors qu’il est aisément évaluable en terme de retombées économiques ( 75 000 euros) pour les prestataires qui font confiance au Comité des Fêtes… On oublie trop souvent que derrière toutes les animations, les fêtes, les concerts, les spectacles, il y a toujours une dimension purement matérielle, portée dans la très grande majorité des cas par des bénévoles désintéressés.

Samedi soir, Créon célèbrera, en cette période où les plus lourdes menaces pèsent sur son identité patiemment construite depuis troisdscn0473copier (3) décennies, son attachement à ce rendez-vous dont on se gausse facilement, sans en connaître l’importance pour les gens qui le vivent de l’intérieur. Samedi soir, lors d’une reconstitution bon enfant, un cortège costumé symbolisera un siècle de ces journées exceptionnelles dont rêve une jeunesse trop souvent oubliée par des médias avides de sang, de larmes et de drames. La « pipolisation » n’a pas lieu d’être, puisqu’ici ce sont, comme dans de plus en plus de villages, les habitants eux-mêmes qui se donnent en spectacle… pour redonner un sens au passé. Ce dernier sera désormais résumé dans une œuvre d’art du sculpteur hauxois Speranza que des milliers de personnes remarqueront en traversant le giratoire de l’avenue de l’Entre Deux Mers.

Cette œuvre exceptionnelle (1519 heures de travail) portera le goût d’une ville qui ne veut pas être déracinée, elle attestera de son attachement à ce qui n’est pas inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco mais qui touche pourtant davantage les cœurs que les portefeuilles.

Les fêtes de la Rosière, le dimanche matin, se résument pour moi, chaque fois, à un regard d’enfant saisi au fil de ce cortège au milieu de la ville. Plus il brille, et plus mon bonheur est parfait. Et il suffit d’un seul regard pour me combler. C’est peu, mais c’est essentiel.

Cet article a 2 commentaires

  1. Annie PIETRI

    Lorsque l’on est, comme moi, une créonnaise ou un créonnais de fraîche date, on ne peut qu’être ému et admiratif devant l’ambiance qui règne dans la ville bastide tout au long du mois d’août, pour se terminer par cette fête de la Rosière à laquelle tout le monde participe! Joyeuses soirées, où tous les habitants éprouvent un plaisir communicatif à s’amuser, à se retrouver,à partager,à évoquer les souvenirs des fêtes passées, à communiquer, et tout simplement à vivre ensemble. Ces soirées sont un modèle de convivialité, d’amitié, de chaleur humaine, et permettent d’oublier pour quelques heures les difficultés de la vie.
    Tu as raison, Jean-Marie, « la fatalité de l’anonymat, de la cité dortoir, naît souvent de l’indifférence des habitants pour la proximité », et tous les jeunes qui prennent part à ces fêtes, qui y entraînent leurs parents, lorsque ce ne sont pas leurs parents qui les y entraînent, sont ceux qui les organiseront demain . A leur tour, ils raconteront à leurs enfants les souvenirs merveilleux qu’ils gardent de ces rencontres faites d’amitié et de convivialité, et ils perpétueront ces traditions qui font l’identité et la richesse de leur ville d’origine ou d’adoption.
    Nous nous préparons à un week-end de fête. Célébrons dans la joie les Rosières du temps passé et celle que nous couronnerons et fêterons dimanche ! Et ayons une pensée reconnaissante pour Antoine Victor Bertal, ce créonnais pour lequel j’éprouve une tendresse particulière puisque, comme moi, il vécut à Nice, et grâce à qui cette tradition est née et se perpétue.

  2. J.J.

    La fête de la Rosière de Créon aurait certainement un impact régional bien plus grand si elle était placée sous de saints hospices.
    Je connais duex autres fêtes de rosières : Brigueuil en Charente et La Mothe Saint Héray dans les Deux Sèvres. Il en est toujours fait grand cas dans les journeaux régionaux sur FR3, mais on a sans exception droit à la messe traditionnelle, la caméra s’attardant complaisamment sur cette partie de la cérémonie.

    Il n’y a pas de messe solennelle prévue dans les programmes officiels de Créon ?

    C’est une heureuse initiative !

    Bonne réussite à vos festivités.

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