Dans le fond il devrait y avoir quelque part sur les ondes une émission permettant « aux enfants de la radio » de retrouver leurs souvenirs d’antan. Pour ma part je suis davantage membre de cette génération de l’écoute plutôt que de celle de l’image. Bien évidemment le premier poste de TSF qui trôna à la maison reste pour moi mythique. Il avait été acheté à l’épicier de Lorient Sadirac d’occasion. Monumental, doré sur toute sa façade, doté d’une antenne mobile il bénéficiait d’une table particulière dans la cuisine. Il avait remplacé un autre récepteur beaucoup plus modeste et bien moins suave dans son expression.
Le bonheur intégral résidait dans le fait que mes parents dotés de deux postes avaient installés le plus ancien dans leur chambre. Ma mère adorait écouter le soir les chansonniers qui intervenaient dans une émission très suivie baptisée « Le Grenier de Montmartre ». Un délice d’humour simple, de caricatures féroces et surtout une prise de recul par rapport à l’actualité politique. Totalement libres à la fin des années cinquante les Maurice Horgues, Jacques Grello, Jean Led, Robert Rocca ou Raymond Souplex et autres Pierre-Jean Vaillard n’y allaient pas avec le dos de la cuillère de la bien-pensance.
Parfois durant les vacances scolaires, mes parents m’offraient le luxe incroyable de laisser la porte de leur chambre grande ouverte. Un privilège que je savourais depuis mon lit dans l’obscurité avec la douce sensation d’appartenir au monde des adultes. Les jeux de mots, les chansonnettes, les allusions mordantes au monde politique il est vrai très porteur de la IV° République, ont probablement constitué les bases de ma vision de la vie publique. Guy Mollet et ses rodomontades, Paul Ramadier et sa vignette, Edgard Faure et la girouette ou Mendés-France et son verre de lait défilaient sur l’écran noir d’une nuit qui n’était pas blanche mais qui était écourtée par le fait que je manquais pas une miette du festin.
Lorsque le récepteur de « luxe » arriva les opportunités de déguster les fruits des ondes devinrent plus nombreuses. Au milieu des années 1950, Géraldine Gérard présentait avec « La semaine des cinq jeudis », un « quotidien radiophonique pour les jeunes » où l’on retrouvait le chat Criquibi et qui diffusait le régal constitué par « On a volé l’étoile polaire, un grand film policier à épisodes qui durait trois minutes chaque jour », mettant en scène un narrateur malicieux et accompagné d’ambiances sonores variés.
Chaque jeudi il y avait un appel à envoyer des dessins permettant de gagner des livres ou des bédés. Combien de fois ai-je tenté ma chance sur les feuilles de papier blanc dérobait dans le tiroir du secrétariat de la Maire ? Je ne le sais pas vraiment. Toutes mes tentatives restèrent vaines tant mon adresse en arts graphiques était limité.
A l’école même nous avions, luxe suprême des cours d’éducation musicale et de chant fourni par la TSF. Moment attendu par la classe quand André Meynier arrêtait le cours pour allumer la radio le vendredi après-midi. Bien de mes copines et copains n’avaient pas opportunité d’écouter des émissions et plus encore de partager Pierre et le loup, de voyager dans les steppes de l’Asie centrale ou de goûter à la Danse macabre. Le chant soigneusement copié sur le cahier de récitations en commençant par les pages de la fin rassemblait tout le monde après des vocalises que les voix en mutation des « grands » de fin d’études.
Incontestablement l’extase se situait durant la période estivale avec la passion que m’inspirait les directs effectués depuis la route du Tour de France. Je collais littéralement au récepteur pour déguster les descriptions des héros des cycles chers à Blondin. Georges Briquet, véritable chantre du vélo, avait une débit de voix exceptionnel que j’imitais avec application au point que je me souviens avoir été sollicité pour distraire la troupe des vendangeurs rassemblée par on père. Parlant vite, donnant du rythme à ses interventions roi de l’improvisation, Il ajoutait à ses commentaires sportifs des des descriptions du contexte dans lequel ils se déroulaient. Georges Briquet transformait en exploit toute accélération ou en drame toute défaillance.
La radio a cultivé mon imagination, l’a faite grandir, lui a donné une dimension exceptionnelle et m’a permis de construire un monde personnel unique. Beaucoup plus tard, dans ma chambre d’instituteur « exilé » à Castillon la Bataille je retrouvais ce plaisir avec mon transistor. Les soirées de correction du travail individuel de ma première classe je plongeais avec délectation dans le rendez-vous de fin de nuit de l’émission « avec lui » de Jacques Lanzmann… Un régal !