LE COURRIER DU COEUR

Mon, 26 Sep 2005 00:00:00 +0000

Depuis maintenant une décennie, sauf absence pour réunion à l'extérieur très matinale, je me rends en mairie vers 7h 45, avant l'embauche générale, du lundi au samedi inclus. Ce petit quart d'heure reste probablement le plus agréable de la journée, car il me permet, paisiblement, avant que le téléphone se mette à crépiter, de vite me régaler avec le billet de Christian Seguin en dernière page de Sud-Ouest. Un brin de café dynamisant, agrémenté du sucre de l'humour, vous donne le moral pour au moins quelques minutes de plus. Comme pour les ortolans, il faut déguster ce texte ciselé, dans le silence et hors du monde; autrement, c'est du gâchis ! Les bureaux se meublent vite, et vient, vers 8h 45, le moment de l'ouverture des courriers, celui venu par les courriels, et celui servi par La Poste. Cette étape de la matinée me donne la température sociale de la période. Je tiens à ouvrir, personnellement, chaque message ou chaque lettre arrivant en Mairie, afin de connaître la réalité de leurs contenus. Ils sont bien différents techniquement, mais révèlent, tous deux, la situation profonde de la France d’en bas.

Par internet déboulent massivement, chaque matin, des dizaines et des dizaines de sollicitations vous prenant pour un  » débile potentiel  » susceptible de réaliser des placements miraculeux au Nigéria, au Libéria, en Côte d'Ivoire ou au Cameroun? Comme autant d'hameçons lestés par l'appât du gain facile pour gens qui se prendraient pour des requins de la finance internationale, ils s'étagent sur une demi-douzaine de lignes. N'est-ce point révélateur de cette mondialisation technologique exacerbée, que ces sollicitations surréalistes dans un anglais commercial approximatif, vantant avec des séries de zéros dignes d'un boulier chinois, des revenus secrets, pillés aux gouvernements africains ? Il faut cliquer ferme sur le clavier pour se débarrasser de ces envahisseurs d'une boîte aux lettres que l'on croyait préservée des  » pubs intempestives « . Ne lisez pas trop et éliminez, éliminez. Tâche d'autant plus difficile que lorsque vous avez exterminé la tentation de l'argent, il faut désormais vous battre avec celle du sexe? Rassurez-vous, rien de bien affriolant. Seulement des offres de Viagra ou autres médications en solde, dont je me demande toujours pourquoi elles sont expédiées vers une?Mairie. A moins que ses émetteurs pensent, comme leurs détracteurs libéraux, que les fonctionnaires français sont particulièrement impuissants pour faire face aux situations créatives ? Là encore, la poubelle virtuelle s'emplit en quelques secondes.

Des petits clics répétés suffisent à conserver les 4 ou 5 messages réellement intéressants? Prudence tout de même, puisque vous pouvez trouver parmi eux les résurgences modernes du syndrome des années 40. En effet, les courriels, avec un bon pseudonyme hiéroglyphique, vous permettent d'expédier une critique plus sophistiquée, mais aussi anonyme, que la bonne vieille méthode des lettres découpées dans le journal avant d'être méticuleusement collées sur une feuille blanche. Internet a offert une seconde vie aux dénonciateurs masqués, aux courageux de l'ombre, aux mesquins contrariés, aux irascibles de comptoirs, aux oublieux de la signature? Ils savent que leur  » pseudo  » les préserve du danger d'une identification potentielle. Je réponds donc, parfois dans le vide, sans savoir à qui parviendra le message. Il reste les autres, les grains ou milieu de l'ivraie?J'essaie de leur accorder tout l'intérêt possible, en les considérant comme une marque de confiance.

Il est alors temps d'utiliser le coupe papier, et de passer à un travail en apparence plus traditionnel. En apparence seulement, car la pub envahit la sacoche. Documentations pour « collectivités Crésus », colloques ou symposiums pour élus ou techniciens peu regardants sur les montant des droits d'inscription, monceaux de catalogues annonçant des promotions sur les promotions, dépliants bricolés d'artistes en quête d'arbres de Noël à animer?Le clic est moins facile mais le classement est tout aussi direct.

 Il faut conserver,  le doigt sur la couture du pantalon, les circulaires officielles comminatoires des différents représentants d'un Etat exigeant pour les élus, mais peu regardant sur ses pratiques à géométrie variable. Virgules oubliées, centimes d'? mal gérés, tampons absents dont l'Europe se régale, photos trop pâles, trop foncées, mal cadrées? L'Etat veille et démontre par ses remarques sévères qu'il a encore un rôle capital dans la gestion de la nation. Il oublie cependant de payer ce qu'il doit aux communes, mais rien de plus normal, car c'est lui qui fixe les règles, et qu'il est inconcevable de dénoncer ses carences. Essayez donc d'accuser un gendarme d'être un voleur ! Et là encore, le peu qui subsiste témoigne plus que tous les reportages, toutes les émissions de débats, de la triste réalité de notre pays.

Des demandes d'emploi, émouvantes, désespérées, maladroites ou flatteuses, de femmes qui rament dans la vie pour décrocher le poste en or : agent spécialisé des maternelles, ou employée dans les écoles ou les maison de l'enfance? A peu près une lettre quotidienne arrive, comme une bouteille jetée dans la mer du chômage dont, je vous le prédis, les statistiques vont s'améliorer sous peu ! Comment peut-on continuer à former des promotions entières de «  CAP petite enfance  » alors que l'on sait que la natalité ne permettra pas indéfiniment des embauches ? Moins on trouve, sur le CV, de qualifications et plus la demande vers les services scolaires est forte. Le flot continu des envois devient oppressant, car chaque fois, on sent bien que la réponse causera une forte déception.

Il y a aussi les enveloppes blanches du Conseil général. Aussi nombreuses que les précédentes, mais totalement différentes, car elles concernent les attributions d'heures d'Allocation Personnalisée d'Autonomie. Elles s'accumulent, comme autant de signes avant-coureurs de la mutation démographique galopante dont tout le monde parle, mais que personne ne veut voir. Près de 200 dossiers d'aide à domicile sur 9 commune (8500 habitants) sont actuellement traités par le CCAS de Créon. Et là, dans le tas de courrier, de très, très rares demandes d'emploi avec des diplômes, des références sérieuses, des formations spécifiques, tournées vers le 3° ou le 4° âge. Le vieux est moins populaire que le nouveau-né. La toilette des personnes âgées est  moins exaltante que le changement des couches. La Résidence pour Personnes Agées est moins valorisante que la maternelle. Chaque missive attribuant un quota horaire reflète pourtant une détresse morale ou physique, un isolement dévastateur, un appel à l'aide. Mais les stratèges de la formation professionnelle n'ouvrent pas, tous les
matins, le courrier dans les mairies.

Mais je déblogue?

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