CHAPEAU NANARD

Fri, 30 Sep 2005 00:00:00 +0000

Dans une vie journalistique antérieure j'ai eu l'occasion de rencontrer des personnages divers et variés. Avec le recul, avec le filtre de l'expérience, je me suis rendu compte que je les avais souvent jugés dans l'urgence d'un métier où le pire ennemi demeure le temps. Le recul manque, de plus en plus, dans ce rôle de petit ou de grand  » rapporteur « , car les délais techniques se sont sans cesse raccourcis. Ce n'est plus le contenu qui importe mais les contraintes horaires et financières de fabrication du contenant. Le travail du quotidien, au contact des mêmes personnes, devient alors le seul moyen d'apprécier ce que l'on trouve, progressivement, sous le vernis de la communication institutionnelle, spontanée, organisée ou tendancieuse. Dans cette mare aux alligators, où l'on se fait croquer en un instant, j'ai croisé les premiers sentiers, puis la route nationale et enfin l'autoroute vers le pouvoir de? Bernard Tapie. Je n'ai jamais eu de sympathie pour cette grande gueule, sauf quand elle a permis de clouer le bec d'Adolf Le Pen plus efficacement que les gants de boxe de Paul Amar !

Omniprésent durant les années fastes du vélo, quand un exploit n'était jamais suspect, conquérant en une période où Noël Mamère ne remarquait pas que ses copains de liste européenne étaient  » génétiquement modifiés « , exubérant lors d'une épopée marseillaise où la télé s'empara des chevaliers de la balle ronde, tonitruant lorsque  » Tonton  » décida de se redonner de l'énergie en s'emparant de sa notoriété, Bernard Tapie, tel Picasso, connut des périodes différentes : la rose de gauche, la bleue OM, la verte écolo, la noire robe d'avocat. J'avoue l'avoir perdu totalement de vue quand il sombra corps et biens sur les écueils essentiels de sa vie : l'esbroufe et le mensonge. Et maintenant, je le regrette.

Notre société française, brutalement passée du fantasme de Mozart à celui de Tapie, avait commencé à s'ébrouer, grâce à lui, dans les petits matins chantants des  » gestionnaires « . Le milieu traditionnel des affaires snobait ce  » parti de rien  » qui affichait son insolente réussite de  » VRP en canards boiteux « . La gauche de l'énarchie, en transes populaires, se plaisait, en revanche, à s'encanailler avec un homme venu de nulle part, mais prêt à aller partout. Le show-biz adorait poser à coté de celui qui cumulait les unes des journaux. Les journalistes pouvant, à tout moment, recueillir un avis bien senti sur n'importe quel sujet, se vantaient d'être son  » ami « . Les syndicalistes, secoués par un dépôt de bilan, l'appelaient au secours pour sauver les meubles d'usines en perdition. Une bonne part de certaines déviances actuelles débutèrent sous son égide, mais nul ne songea à s'en offusquer. Jusqu'au moment où il trébucha bêtement, sur tous les tapis verts où il évoluait pourtant avec virtuosité !

Ayant mis un genou à terre, dans l'absurde et rocambolesque affaire des primes occultes enterrées dans un jardin de banlieue, il fut méthodiquement piétiné par le pack de ses adversaires, ravis de le voir quitter leur terrain de jeu sur un brancard. Rien ne lui fut épargné, et je peux témoigner que ses  » potes  » qui n'auraient pas osé toucher à l'un de ses cheveux lors de sa splendeur, lui bourrèrent goulûment le pif dès qu'il fut hors d'état de répondre. Lui qui avait joué finement un  » trois bandes  » faillit perdre la boule. Il passa sur le billard des tribunaux, fut mis en chambre stérile à la Santé pour une greffe politique manquée, fut autopsié pour l'exemple, puis finalement incinéré pour effacer tout risque de contagion. Paix à ses cendres pensait-on? On ne le reverrai plus ! On trouva uniquement trace de son fantôme dans un vol au-dessus d'un nid de coucous, mais ce fut peu !

Or, depuis quelques heures, voilà ressuscité le Nanard qui voulait  » bouffer du lion « . En conflit judiciaire avec le Crédit Lyonnais, qui doit rire aussi jaune que le maillot d'Armstrong sur le Tour, Bernard Tapie réclamait la bagatelle de 990 millions d’? de dommages et intérêts. Il était tombé sur pire que lui : les requins du milieu bancaire ! Il avait été grugé, comme un rentier confiant son bas de laine à un escroc de bonne prestance.

La cour d’appel de Paris a jugé qu'il a bien été floué, lors de la vente du groupe Adidas, par cette officine qui nous a déjà piqué des millions et des millions d'? pour renflouer le tonneau des Danaïdes de ses achats présomptueux.

Tapie a gagné au   » Lyonnaismillions  » de la République française, 135 millions d’? à titre de dédommagements. La somme lui sera versée par le Consortium de réalisation, structure chargée d’assumer la gestion passée du? Crédit lyonnais, et par la banque elle-même. Superbe. Exceptionnel. Chapeau  » Nanard « . Du grand art. Et dire que je ne t'ai jamais cru quand tu clamais, devant l'?il devenu méfiant des caméras, avant tes condamnations, que  » tu avais confiance dans la justice de ton pays !  » Magnifique, mieux qu’une coupe d’Europe, tu as fait sauter la banque !

Je ne peux que te donner un conseil : surtout n'enfouis pas ce magot dans ton jardin. Il y a bien un couillon qui t'accuserait d'avoir acheté tes juges. Ne les place pour autant  au crédit Lyonnais, il  te les predrait en rien de temps. Vas donc comme au bon vieux temps les planquer en Suisse. Là bas, au moins, les banquiers savent garder un secret.

Selon que vous soyez puissant ou misérable. En politique Tapie fut puissant; en affaire il était devenu misérable. Il a réglé ce problème. Comme quoi, dans les milieux financiers, l’honneur a plus de prix qu’en politique.

Mais je déblogue?

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