L'ICEBERG DU SPORT

Sat, 15 Oct 2005 00:00:00 +0000
 Une longue, très longue journée d'élu de la France d'en bas s'achève avec 17 heures non stop consacrées à la vie publique?et le sentiment de lui avoir apporté le maximum. Dans le cadre de Vélo Passion, depuis ce matin Créon a tenté, une fois encore, de faire partager sa passion de la démocratie directe et du débat. La satisfaction l'emporte sur la fatigue quand, au moment de refermer la salle de l'espace culturel, le constat tombe : une soixantaine de participants pour la demi-journée d'information sur le développement durable de la politique du Conseil général dans le domaine du tourisme  » cyclable « , près de 150 en soirée, sur le thème des rapports entre la passion sportive et la santé, pour un débat de haute volée rassemblant dirigeants, médecins, ex-sportifs de haut niveau et journaliste. Autant je suis déçu quand ces appels à l'échange sonnent creux, autant je « prends mon pied » quand les citoyens acceptent de confronter leurs positions, de les jauger face à des spécialistes ou des personnes qualifiées, de vivre autrement que par le truchement du prisme déformant des médias. Dans le fond, c'est mon dopage à moi, ma drogue, mon Guronsan politique !

Le sport occupait donc le devant de la scène. Pour une fois, on n'a pas parlé nécessairement de la face visible de l'iceberg mais de celle, cachée, immergée, dont on sait qu'elle est infiniment plus massive. Cette face, dont personne ne connaît véritablement la réalité, suscite pourtant bien des inquiétudes. Trop souvent présentée comme la panacée sociale, la pratique sportive prend l'eau à tous les étages.

Au plus haut, elle se fissure de partout, menaçant d'entraîner dans sa chute des pans entiers de cet édifice étincelant, réputé immaculé et exemplaire, des prodiges de la nature humaine. Les récentes révélations sur Armstrong, sur un finaliste de Roland-Garros, sur des athlètes loués pour leur accumulation de performances, sur des turpitudes financières diverses, jettent un discrédit sur un monde où l'argent a adopté une formule célèbre : toujours plus loin, toujours plus vite, toujours plus haut?Avec le temps, même si ce sommet visible de l'iceberg sportif, lentement emporté par la dérive de l'océan social, s'amenuise, elle demeure attractive pour tous les supporteurs avides d'émotions fortes. Tant que ses effondrements se déroulent sous l'?il des caméras, ils ne perturbent guère la conscience collective. Il y a autant d'intérêt à suivre la vie des champions que leur ascension. Si vous n'en êtes pas persuadé regardez les quelques minutes qui ont suivi la qualification des Bleus pour le mondial. Illico, les commentaires n'ont plus porté sur l'acte sportif lui-même, mais sur les gueules tirées par Zidane et Thuram, attestant que, selon les analystes des images, s'ils ne fêtaient pas cet exploit avec délire c'est qu'ils nourrissaient une haine particulière pour M'sieur Raymond, leur tôlier ingrat et prolixe. D'ailleurs la première question à régler, dès le coup de sifflet final donné, fut de savoir si ce dernier n'allait pas être  » exécuté  » au nom de ces mines renfrognées, l'accusant de se comporter en accapareur d'une victoire ne lui appartenant pas. Le haut niveau n'est pas toujours aussi bleu qu'un ciel d'été.

Le socle n'est guère plus rassurant. L'iceberg, bordé de pentes abruptes, a du mal à maintenir son équilibre. Cette masse de plus en plus avide de pédaler, de courir, de nager, de grimper, de marcher, se met à zapper dans les pratiques. Elle a choisi la liberté absolue de man?uvre, allant des espaces structurés aux loisirs les plus délirants. Elle ne respecte plus le bel alignement  » fédéral « , s'appropriant le droit à construire elle-même ses rites et ses méthodes. Une partie maintient le culte de la performance, cherchant, à tout prix, à devenir le héros du bureau, du service ou du repas de famille. Ces podiums du lundi matin ou du retour de vacances se construisent avec un temps, une distance, un lieu, ayant permis un dépassement de soi exceptionnel. Chacun choisit sa marche pour recevoir la médaille théorique qu'il juge adaptée à son mérite d'un jour. Impossible de ne pas constater que, parfois, il faut une aiguille secourable ou un cachet bienfaisant,ou une potion infernale pour que la réalité soit au moins à la hauteur des maigres gains de notoriété espérés. Le sport, présenté comme un vecteur garanti de santé, devient alors une drogue perverse, conduisant à des cures problématiques de désintoxication de la performance à n'importe quel prix.

Enfin, il y a cette immense partie immergée que représentent les enfants envahissant les stades, les salles, les pelouses?  » Ils sont mieux là, qu'à faire les idiots  » entend-on, pour régler le problème des apprentissages précoces, de la  » championnite  » aiguë, des défaillances de la jeunesse blasée par des saisons et des saisons de pratiques contraignantes. En fait on n’ a rien de précis, car rares sont les « plongeurs » qui se risquent à aller enquêter sur ces  » fondations  » dont on espère qu'elles renouvelleront naturellement la splendeur du sommet. Et puis il faudrait obligatoirement y mettre de l’argent.

Paradoxalement «  l'iceberg sportif « , si impressionnant par sa masse, fond lentement mais sûrement sous l'influence du climat social. Tant qu'il a entretenu le culte de l'exemplarité de la réussite, le mythe de la performance naturelle, de la fraternité partagée, du désintérêt pour le résultat, il a résisté aux intempéries. Désormais, il vacille sous les bourrasques de la mode, les courants de plus en plus chauds de l'argent roi, les tempêtes médiatiques, sa colonisation par les  » animaux  » protégés du monde économique, la mondialisation de son image. Vu de loin, il a encore de beaux jours devant lui, sauf qu'il s'éloigne de plus en plus des rivages où il a pris naissance pour aller? toujours plus loin, toujours plus haut, toujours plus vite, vers un grand large, où il attend que les  » Titanic  » passent?

Allez, venez faire du vélo à Créon, ce week-end, vous ne risquez rien. Il n'y aura pas de dépistage des dopages, sauf si les gendarmes décident de sortir leur éthylomètre?le plus redoutable des contôleurs antidopage.

Mais je déblogue?

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