A MES AMIS

Sun, 13 Nov 2005 00:00:00 +0000

 L'écriture constitue toujours une aventure. Pour l'avoir pratiquée dans la presse régionale et nationale et la pratiquer encore, avec passion, depuis plus de 30 ans, j'en ai mesuré l'exigence. Il y a en effet plusieurs niveaux dont on ne connaît les rites que lorsqu'on se retrouve face à la pire des angoisses : celle de la fameuse page blanche. Il n'y a rien de plus éprouvant que de se retrouver, seul face à la transcription de ce que l'on a vu ou ressenti, car la responsabilité pèse sur la pointe du stylo ou sur le clavier. On sait que, forcément, on ne sera pas jugé sur un  » papier  » par une personne, comme dans le système éducatif où le prof note votre copie, mais par des milliers de gens totalement inconnus et dont le niveau de compréhension n'est pas identique. Quand, en plus, vous avez un délai impératif de livraison de votre copie, le stress monte et je vous assure que la tâche se complique. Le fond prend alors trop souvent le pas sur la forme. Heureux sont ceux qui ont le temps?

Dans le journalisme sportif cette pression, sur les grands matchs comme sur les plus modestes, s'accentue depuis que la télé fixe elle-même les horaires du  » spectacle  » qu'elle achète, et ce au mépris des obligations temporelles de la presse écrite. Il faut écrire, vite et bien, ce qui peut paraître incompatible, mais constitue pourtant le fondement du talent. On a pour habitude de répéter, dans les rédactions, que l'on n’a jamais le temps de  » faire court « , mais désormais on n'a jamais suffisamment de temps pour simplement  » faire « . Sur ce blog, j'ai, avec un infini bonheur, retrouvé cette angoisse stimulante de l'écran blanc. Je vibre, chaque nuit, quand il faut boucler mon texte, pour le lendemain, et ainsi respecter mon engagement vis à vis de lecteurs inconnus.

J'ai réappris, en revanche, que le plus difficile ne réside pas dans l'acte d'écrire car je l'ai toujours assumé avec un intense plaisir, mais dans l'incroyable difficulté que l'on rencontre à écrire sur? ses amis. En un quart de siècle de journalisme, je reconnais que c'est le plus effroyable, voire le plus démoralisant. En 1982 j'avais déjà été traduit devant la commission des conflits du parti Socialiste pour quelques articles jugés  » iconoclastes « . Personne n'avait osé réclamer mon exclusion, car l'atteinte à la liberté d'expression journalistique aurait été trop visible. Je croyais que ces méthodes seraient oubliées.

Or, depuis que je me suis lancé dans une nouvelle aventure consistant en écrire et publier ce blog, je rencontre, à nouveau, ce dilemme : écrire vrai ou tomber dans la  » brosse à reluire « , outil préféré de ceux qui se prétendent des amis, alors qu'ils n'ont pour vous que l'estime éprouvée pour un Kleenex ! D'ailleurs, j'ai remarqué que ce sont ceux qui livrent le plus d'informations à certains journalistes? qui sont les plus sévères à l'égard de ceux qui ne leur doivent rien ! Ils ne lisent que ce qui les concerne, car ainsi ils évitent de réfléchir au reste. Ils m’ont souvent demandé d’écrire, ou de faire écrire, ce qui les arrangeait, oubliant qu’un jour, peut-être, je pourrais les déranger.

J'ai, voici 30 ans, trouvé un éditorial de Noël Couédel dans L'Equipe Magazine que je dédicace à quelques éminents élus qui confondent les auteurs des faits rapportés et celui qui se contente de les publier :  » Rien n'est plus fatigant que d'écrire ce que vous pensez vraiment de Alain, Gilles, Pierre ou Paul, de ceci ou de cela. Honnêtement c'est tuant. Vous déclenchez – dans le meilleur des cas – une avalanche de coups de fils, de lettres, de récriminations, de reproches. Y compris de la part de vos amis. Peut-être et surtout de la part de vos amis. Ce sont, en effet, ces derniers qui vous pardonnent le moins vos critiques.  » Me faire ça à moi « , disent-ils. Comme si le premier devoir que l'on devait à un ami, n'était pas la franchise. Le prix à payer est simplement l’inconfort quotidien. «  J'adore véritablement ce texte, tant il est d'une criante authenticité.

La vedette du sport, le chanteur célèbre, l'homme politique installé ou en voie d'installation, sont douillets. Ils ne souffrent même pas une égratignure. Ils veulent que ne soit exclusivement publié que ce qui profite à leur image, et jurent leurs grands Dieux, qu'ils n'ont jamais dit ce qui est écrit quand les réactions sont défavorables. Dans ces rapports du  » donneur  » et du  » rapporteur « , l'intermédiaire joue un rôle clé. Si l'on sait, comme journaliste, ce qu'il y a derrière le poids des mots, on trouve vite l'équilibre durable, ou alors, faute de respect mutuel, le conflit arrive très vite. Malheureusement, on est dans le  » donnant donnant  » institutionnalisé. J'ai beaucoup souffert de cette dépendance à l'égard des convenances du milieu. J'ai mis fin à une certaine période de ma vie de journaliste (81,82), car je ne supportais plus d'être  » complice « .

J'ai découvert que le blog offrait une véritable chance pour ceux qui acceptaient le risque d'être impopulaires par leur franchise. Je me suis jeté dans la mêlée (+ de 141 000 adresses différentes répertoriées sur over-blog.com), avec un enthousiasme juvénile, et sans méfiance. Après 70 textes publiés, je commence à vérifier que les hommes changent, mais leurs réactions demeurent : coups de téléphone indirects, lettres de mise au point, concertations de rédaction, jugements péremptoires entre amis, enquêtes discrètes sur les sources, réponses par d'autres supports médiatiques interposés, commentaires injurieux anonymes? Les signes extérieurs d'agacement ne se cachent plus?

J'en suis heureux. Que Libération, Sud-Ouest, Le Républicain? aient fait référence aux contenus de  » L'AUTRE QUOTIDIEN  » n'est pas, je l'avoue, pour me déplaire. Je ne suis pas certain, en revanche, que ça fasse autant plaisir à tout le monde. Mais comme rien ne me dope plus que l'adversité et le sentiment d'être sincère, je pense que le bâillon n'est pas encore arrivé.

Mais je déblogue?

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