VILLES NEUVES?

Wed, 16 Nov 2005 00:00:00 +0000

Les villes neuves sont à la une de l'actualité. Conçues par des urbanistes des temps modernes, elles sont parfois classées dans la catégorie peu prisée des  » banlieues « ? La pire des injures pour leurs  » géniteurs « , qui doivent chercher les erreurs commises pour que leur plans, splendides, performants, fouillés, aient conduit à un tel désastre social. Les bâtisseurs ont toujours imaginé avoir déniché la formule idéale en croyant qu'avant eux, rien de valable n'avait été imaginé. Or, en matière d'urbanisme, rien ne se crée, tout se transforme, s'adapte, se modifie. La nouveauté n'est qu'apparente. Tous les échecs et toutes les réussites sont inscrits dans le temps passé.

Ainsi, on a semble-t-il oublié que c'est dans le Moyen age que l'essentiel de notre civilisation actuelle a pris racine. C'est dans cette époque réputée troublée, triste et obscure que s'est effectué le passage entre la barbarie et les premières lueurs sociales. Certes  ce ne fut souvent qu'embryonnaire ou éphémère, mais les fondations ont bien été construites pour les siècles futurs durant cette période trop méconnue. Seule l'histoire peut rappeler cette évolution fondamentale, éclipsée, dans les manuels, par la flamboyante Renaissance dont on croit, à tort, qu'elle a constitué le départ de l'époque  » moderne « , alors qu'elle ne fut que le reflet d'une mode onéreuse.

Les analystes des événements actuels devraient davantage faire référence à toutes les facettes des choix urbanistiques d’alors. Il faut ainsi rappeler que la notion de «  ville neuve  » appartient au XII°, XIII° et XIV° siècles, et surtout pas au XX°. Et c'est en comprenant ce que ses initiateurs avaient voulu que l'on mesure les erreurs du passé récent.

La ville neuve fut en effet développée autour d'une volonté politique affirmée et démultipliée sur tout un territoire : aménager l'espace rural en le dotant de cités rationnelles, supports d'un développement administratif et économique durable. Plus connues, chez nous, sous le vocable très régional de  » bastides «  ces cités portent dans leur plan même, des principes de vie collective, malheureusement oubliés par les bâtisseurs du présent. Ils voulaient des lieux complets, soudés, densifiés, vivants, à taille humaine. Soutenues par des investisseurs aussi intéressés que peuvent l'être nos hommes d'affaires actuels, ces créations reposaient pourtant sur un principe simple : l'urbanisme doit être au service des populations et non le contraire. Et ce n'est donc pas un hasard s'ils décidèrent un plan soigneusement pensé, offrant aux habitants nouveaux un domicile neuf, fonctionnel, et une activité commerciale et sociale garantie. Pas de cité  » dortoir « . Pas de  » cités  » vides de sens. Pas de  » cités  » favorisant l'inactivité. Et pour cela, ils inventèrent les  » zones franches « , reposant sur une nouvelle donne économique : relations directes entre producteurs et consommateurs sous l'autorité du pouvoir d'Etat. L'octroi codifié du droit au marché, moment clé de la ville bastide, garantissait la venue de la clientèle, et permettait d'assurer la  » rentabilité  » de la ville nouvelle.  Ils avaient compris que la  question centrale serait celle de la pauvreté, du partage des richesses.

La notion de  » centre commercial «  avec, au lieu de la diversité des rayons, celle des commerces et des services, complétée par une galerie marchande (les  » arcades  » ou les  » couverts  » dans le langage créonnais) et une halle pour les produits frais, n'a jamais été inventée par les économistes de la seconde moitié du XX° siècle. Elle a été dessinée par les concepteurs des villes bastides, et a permis, durant 6 ou 700 ans, à des dizaines de générations, de bien vivre de leur activité. Les inventeurs de ce concept avaient pressenti que, sans proximité de l'activité économique, ils ne fixeraient jamais une population en quête de travail, d'emplois et de richesse.

En décidant aussi que l'on n'avait jamais mieux fait que l'agora pour inciter à la rencontre, aux échanges, aux moments de fêtes ou de colère, les bâtisseurs du Moyen Age donnèrent une place centrale à leur cité ultra moderne. Toute la vie pourrait s'épanouir sur une espace public plat, nu, sobre sur lequel aucun fait ou geste ne pouvait échapper à l'observation collective. Pas de recoins, pas de squares, pas de bosquets, pas d'abris : des rues rectilignes permettant d'assurer le maximum de visibilité, de transparence dans les déplacements.

La petite Histoire locale nous apprend qu'il y eut pourtant de l'insécurité, des échecs, des crises, des révoltes, des incendies, des couvre-feux, des condamnations jugées présomptueusement exemplaires, pour des canailles, des voyous, des bandits? Il y eut aussi une vie collective laïque intense et positive, avec une représentation citoyenne reposant sur une charte  » autogestionnaire  » décentralisée. Les  » bastides  » avaient une valeur exemplaire, méprisée au nom du modernisme.

Or, si nos  » villes neuves  » ont inspiré les urbanistes d'Outre Atlantique (ceux de Houston passent régulièrement pas Créon) qui y ont vu une manière de gérer au mieux le développement urbain,  elles n'ont eu, en revanche, aucun poids sur les choix effectués en France. Comme quoi nul bâtisseur ne peut prétendre être prophète en son pays? surtout s'il fait référence au passé, lui qui est réputé avoir les solutions pour le futur.

Mais je déblogue?

 

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