PEUR DU VERDICT

Thu, 17 Nov 2005 00:52:00 +0000

Cancer. Quel mot fait davantage peur, dans notre société, que celui-ci ? Hier soir, la Mutualité française organisait une réunion débat, à Créon, sur le cancer du sein. Une soirée pour laquelle les organisateurs attendaient la foule. Leur déception fut donc réelle quand ils constatèrent que seulement une trentaine de personnes, pour la plupart de plus de cinquante ans, avait accepté le défi que représentait une information sur un mal que la grande majorité fait semblant de ne pas connaître. C'est bien connu, le cancer frappe les autres et chacun a sa recette pour croire que jamais il ne sera touché par ce mal maudit. Alors, le seul fait de venir entendre le mot, de dialoguer sur ses conséquences, d'évoquer ses méthodes de détection constituait une épreuve trop dangereuse. Il vaut mieux ne pas tenter le diable. D'ailleurs, les médecins présents ont indiqué que toutes les campagnes de prévention se heurtent à un comportement irrationnel : la peur du verdict. On préfère vivre dans l'ignorance que dans la connaissance. On préfère ne pas avoir à affronter la vérité douloureuse, plutôt que de se coltiner ses dégâts.

LA VERITE REDOUTABLE.- Le cancer constitue en effet le pire épouvantail de la vie quotidienne. Les médecins spécialistes présents indiquaient que, au moins une fois par semaine, ils voyaient encore arriver des patientes, atteintes depuis des années d'une tumeur, irrémédiable pour ne pas avoir osé affronter le diagnostic. Elles s'enferment dans l'irréversible, alors qu'un geste simple de confiance leur aurait permis de garder l'espoir. Mourir dans l'ignorance devient le gage de la sérénité. Tous les appels à la détection précoce ne rencontrent donc pas un public attentif. Quand on sait qu'une femme meurt, chaque heure, en France d'un cancer du sein, il y a lieu de s'interroger. Comment vaincre cette appréhension de lendemains douloureux ? La minute de vérité devient aussi redoutable que celle de la mort.

En fait, le comportement face au cancer insidieux, menaçant, destructeur, cache un vision sociale de plus en plus inquiétante. La vérité angoisse, terrorise, conduit, de plus en plus, à se cacher. Cette attitude ne concerne pas seulement la santé mais toutes les autres facettes de la vie sociale. On ne veut pas voir le déficit de son compte bancaire en fin de mois, les loyers impayés qui s'accumulent, les dettes qu'engendreront des dépenses inconsidérées. On refuse de prendre en compte l'attitude tyrannique des enfants. On ne réagit pas à leurs échecs, à leurs manquements aux convenances, à leurs devoirs? On oublie le respect des règles élémentaires de la vie collective, pour se donner l'impression d'être au-dessus des contingences ordinaires des autres. On espère simplement ne pas être pris par le  » gendarme  » de la vie, par ce destin dont on sait qu'il échappe à tout contrôle.

LE DIAGNOSTIC TERRORISE.- Même si personne le reconnaît jamais, nous n'avons jamais été aussi nombreux à lire les horoscopes, à en rire faussement quand ils sont trop optimistes, mais à s'inquiéter intérieurement quand ils ne sont pas conformes à nos espérances. Je sais que personne ne reconnaîtra cette réalité, comme tant d'autres, et que les sondages en matière de taux de lecture de ces rubriques des journaux et des magazines ne traduit pas la réalité. Toutes les études sérieuses le prouvent : les pages les plus lues des quotidiens sont celles de l'horoscope et des avis de décès. L'une parle de l'avenir et inquiète. L'autre parle du passé et rassure, car elle persuade que nous avons encore échappé à la mort.

Dans le fond, plutôt que d'apprendre par une mammographie que l'on risque de mourir d'un cancer, certaines optent aussi pour les tarots, la boule de cristal, le marabout ou les cartes. Les femems et les hommes peuvent, en effet, remettre en cause le verdict des voyantes, des astrologues, des guérisseurs mais pas celui des médecins, des radiologues, des chirurgiens. Et cette marge d'erreur les rassure. En revanche le diagnostic les terrorise.

MOYEN DE DEFENSE.- Le cancer ronge pourtant méthodiquement  l'espérance de vie. Il brise les certitudes. Il ressemble à une nouvelle peste, dont on ne connaîtrait pas les véritables causes. Il entre brutalement dans les familles. Il n'épargne personne. Il s'impose sans vergogne. Pour celui du sein, c'est statistiquement 1 femme sur 10 qui est atteinte par ce fléau. 42 000 nouvelles d’entre elles sont touchées chaque année. Nul ne pourrait se résigner à pareil désastre. Nul ne devrait l’accepter. Nul ne saurait l’ignorer quand on précise que 30 % de mortalité serait évitée par une réponse massive aux campagnes de prévention.

Anatole France affirmait que  » la vie enseigne qu’on n’est jamais heureux qu’au prix de quelque ignorance « . Cette réunion, qui se voulait ouverte sur la prévention aura été l'illustration parfaite de cette pensée. Elle n'est guère rassurante sur le système social actuel dans lequel l'ignorance constitue de plus en plus un moyen de défense contre les inévitables aléas de la vie. Savoir engage. Ignorer préserve?

Mais je déblogue?

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