LIGNE JAUNE

Thu, 15 Dec 2005 07:17:00 +0000

Il arrive que, dans la conversation, soit glissée une phrase légèrement ironique :  » toi, ton bon c?ur te perdra ! « . En fait, je l'entends très souvent, sans me résoudre à ne pas donner, sur mon indemnité d'élu local, les fonds pouvant offrir une bouffée d'espoir à des femmes ou des hommes enlisés dans les difficultés financières. Mieux, pour railler ce comportement, jugé anachronique dans une société où l'on prétend que l'assistanat permet à tout le monde de s'en sortir sans faire d'effort, l'entourage immédiat de la Mairie m'a surnommé  » Saint Vincent de Paul « . Je ne suis pas très fier de cette appréciation, car je la prends pour une mise en évidence de ma naïveté et d'une certaine forme de faiblesse.

PRENDS DU RECUL

Rien ne va plus quand je vais chez mon toubib favori qui lui, ne cesse de me ressasser en guise de thérapie  » prends du recul? Ne te laisse pas absorber par les gens ! Que dis-tu quand quelqu'un vient te voir ? « 
Quand je lui répète que je demande  » Que puis-je pour vous ?  » il me tance vertement, en m'expliquant que l'on ne doit jamais avouer à l'avance que l'on va faire quelque chose pour l'autre.  » C'est un peu comme si moi, je prétendais être capable de guérir tous les maux des patients entrant dans mon cabinet?On ne doit pas se mettre dans la tête que l'on peut obligatoirement quelque chose pour tout le monde « . Et nous entamons un débat sur cette fameuse  » distance  » qui permet, soit disant, de ne pas succomber à tous les pièges. Je lui promets de tenir compte de sa recommandation, jusqu'au moment où quelqu'un franchit la porte de mon bureau, et où je? me laisse aller à ma formule traditionnelle. Quand la personne repart, j'ai toujours un doute sur la sincérité de sa démarche, mais je me rassure en me disant que même si j'ai été roulé une fois, j'ai beaucoup plus souvent eu raison. La ligne jaune du déssespoir n’est pas aisée à déterminer.

Dans ces rencontres, à quelques jours des fêtes, avec la solitude, la détresse ou les plaies d'argent dont on a tort de dire qu'elles ne sont pas mortelles, je suis frappé de découvrir une nouvelle donne sociale. Depuis maintenant de nombreuses années, j'ai l'habitude de rencontrer des femmes et des hommes dont je pressens à l'avance les intentions. S'ils viennent me rencontrer, c'est pour que je leur  » prescrive  » une solution à une insuffisance évidente de revenus, pour que je les aide dans la recherche d'un emploi, pour que je leur laisse espérer un logement. Rien de bien étonnant. Malheureusement ! Tous les Maires de France et de Navarre sont supposés être des émules du Bon Dieu, ceux qui trouvent une solution à un labyrinthe déprimant, dont on ne voit pas l'issue. En revanche, une mutation s'opère dans le monde de la  » survie  » sociale. 

 UN ETAU INSUPPORTABLE

Sur les  » radeaux  » à la dérive, sur l'océan des dettes, je découvre de plus en plus de couples ou de femmes seules ayant un travail stable, mais ne pouvant plus assumer les charges de leur maison en accession, cumulées avec tous les frais annexes (chauffage, eau, impôts, scolarité, carburant?). Ils sont dans un étau moralement insupportable, car toutes les portes  » standardisées  » se ferment devant eux. Les services sociaux ne s'intéressent qu'aux gens répertoriés via le RMI, le chômage, ou ponctuellement déstabilisés par un divorce, un conflit social ou un comportement mettant en danger les enfants. Les autres, pour eux, n'existent pas?car ils sont réputés solvables. Or, les charges augmentant, ils ne sont pas en mesure de respecter des engagements basiques en raison du décalage, de plus en plus perceptible, entre les charges et les revenus. Cette nouvelle catégorie sont les proies faciles des banques, car ils constituent leur c?ur de cible.

D'abord parce qu'elles leur ont prêté les fonds nécessaires à leur acquisition immobilière (premier bénéfice). Ensuite, parce que chaque mois, elles reçoivent, à date fixe, des salaires (second bénéfice). Enfin, elles autorisent des découverts rémunérateurs, ou ces scandaleux crédits de dépannage cumulables dont regorgent tous les magazines de télévision. Lorsque le client est pressuré, on lui  » coupe les vivres  » et on récolte une maison, revendue à un prix permettant, au minimum, de récupérer le capital initial. Les dégâts ne sont jamais financiers, mais humains.

Le mal progresse en secret derrière des façades de pavillon silencieuses. Il gangrène le tissu social et n'apparaît pas dans les statistiques, mais constitue une forme de paupérisation dont les conséquences induites apparaissent maintenant de plus en plus : dépression, séparation, frustration. Le système fonctionnera encore très longtemps.

  PONCIFS ABSURDES

En fait, pour être une fois encore à contre courant, je suis obligé d'écrire que l'on ne vit que sur des poncifs absurdes. Le premier voudrait que les logements à loyer aidé (les logements dits sociaux n'existent pas !) génèrent des  » cas sociaux « , et qu'une commune qui construit ce type d'habitat est forcément assaillie par des hordes d'assistés. Faux. Archi-faux ! Le montant des loyers, les aides de la CAF, la qualité souvent ignorée des constructions (label de chauffage) rendent plus facile la vie des heureux bénéficiaires de ces logements.

Le second voudrait que les acquéreurs de pavillons standardisés, sur des terrains hors de prix, soient tous des gens sans problème. Or souvent, on trouve parmi eux les habitants les plus agressifs, les plus sécuritaires, les plus déçus, et le taux d'impayés des services périscolaires (c'est mon baromètre social) augmente au fil des mois. Les drames y sont plus nombreux. Chaque jour, je reçois, par exemple, le rapport des interventions des sapeurs-pompiers. Et vous ne savez peut-être pas que leurs statistiques ne prennent pas en compte les  » tentatives de suicide « , de telle manière que soit préservée la vie privée. Je sais cependant décoder leur langage technique ( » secours à personne « ,  » absorption de médicaments « ?) et je vous assure que le nombre ne cesse de croître sur des communes dont l'urbanisme est strictement individuel. Ce signe là devrait constituer un argument objectif d'analyse de la dérive sociale. Or bizarrement, il n'est que rarement évoqué, comme s'il était tabou, ou s'il remettait trop en cause notr
e vision de la réussite.

Mais je déblogue?

 

 

 

 

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