L'autre 11 septembre du coeur

Une porte murée, un modeste médaillon : le lieux est émouvant et à l'image de ce 11 septembre
Une porte murée, un modeste médaillon : le lieux est émouvant et à l'image de ce 11 septembre

Les reportages se sont succédés, hier, sur tous les grands médias faiseurs de l’opinion dominante, afin de rappeler les attentats du 11 septembre 2001. Les hommages, les rappels historiques, les témoignages, les prises de position, les archives, les larmes, les angoisses, ont envahi les écrans : les Etats-Unis martyrisés étaient cités en exemple pour leur lutte acharnée contre le terrorisme.

Au risque de déplaire, pour moi le 11 septembre est devenu une journée aussi noire, mais de moins en moins médiatisée, celle de la mort en 1973 d’un certain Salvador Allende. C’était aussi un 11 septembre. Ailleurs. Tout aussi révoltant. Le suicide pour les uns, ou l’exécution, du Président d’une République, dans le Palais de la Moneda, restent pourtant les symboles les plus purs de la réalité démocratique de par le monde… Dommage, en France il n’y a pas grand monde qui ait eu le courage de revenir sur l’assassinat, par le fascisme « institutionnel », d’un pays qui croyait encore que l’espoir pouvait reposer sur le gouvernement des hommes par les hommes et pour les hommes.

J’ai visité à deux reprises, avec la même émotion, le Palais de la Moneda revenu dans le giron de la démocratie après des années de tyrannie, d’actes relevant de l’abomination (couverts par la CIA), d’indifférence à l’égard de ces bourreaux ou de ces victimes. En compagnie de Philippe Madrelle, Françoise Cartron et Patrick Hude, j’ai même eu le privilège d’accéder aux lieux les plus symboliques de cette journée du 11 novembre 1973. Des moments au moins aussi inoubliables que ceux passés devant les fresques démesurées du désastre new yorkais.

Je vous propose le texte suivant, que j’ai écrit à mon retour, uniquement pour ces amis de toujours… Je voudrais vous le faire partager, afin que l’autre 11 septembre ait lui aussi sa place dans les mémoires.

Les silences de la Moneda.- La traversée du Palais de la Moneda s’apparente à celle que l’on peut accomplir sur les océans. Elle débute dans l’espoir et la fierté, mais se déroule dans la solitude absolue. Entrer librement dans un lieu institutionnel, avec une étonnante facilité, apporte la satisfaction d’être au départ d’un parcours hors du commun. On y passe successivement de l’ombre des couloirs au soleil éclatant des cours intérieures, comme s’il s’agissait de faire partager aux femmes et aux hommes cette vision de l’Histoire des peuples. Impossible de ne pas penser, dans cet espace rendu à la démocratie, aux moments atroces dont il a été le théâtre.

Les murs blancs de la Moneda gardent le secret des complots, des bruits de bottes, des intrigues et des lâchetés qu’ils ont abrités. Les patios, d’une irréprochable propreté, ramènent à la joie du partage. La garde présidentielle veille de manière détendue sur ces lieux, où l’appareil photo devient la seule arme destinée à construire un avenir au temps présent.

Impossible de pénétrer dans les salles officielles sans être imprégné du drame qui s’y est noué. Inconsciemment, le visiteur cherche à se raccrocher à une p1010081 (2)preuve de ces faits, entrés dans les repères mondiaux de la résurrection permanente de la bête immonde. Rien. Les traces ont été estompées par le temps, mais l’oubli n’est pourtant pas de mise. Le souvenir demeure, mais il est surtout réservé à celles et ceux qui gèrent un Etat encore fragile.

Sur un mur de briques rouges sang,  deux médaillons de cuivre rappellent qu’Allende et ses compagnons ont perdu la vie pour avoir voulu transformer leur idéal en réalités populaires. Dénudé, simple, proche de ces matériaux avec lesquels on a construit, dans tous les quartiers de la planète, des maisons pour les ouvriers, le rectangle tranche avec le revêtement immaculé qui le cerne. Face à ce coussin de terre cuite, soigneusement aménagé, il est impossible de parler. La gorge se noue. Les yeux se baissent. Des pensées furtives traversent les regards. Le groupe se serre. Personne n’ose se confronter à la dure réalité de ce profil d’un homme d’Etat ayant préféré la mort à un sort humiliant et sombre.

En revenant à la lumière, sur la grande dalle aménagée à quelques mètres de la sortie du Palais, au-dessus du musée d’art moderne voulu par Ricardo Lagos, on respire, on apprécie le soleil, on goûte à la liberté, on s’éparpille, on se sent heureux, comme si le poids de l’Histoire s’était effacé. La Moneda ne s’oublie pas comme ces palais hantés par des personnages silencieux, hésitant entre l’ombre et la lumière.

Cet article a 3 commentaires

  1. Gilbert SOULET

    Bonjour et merci Jean-Marie de ce rappel de l’Histoire.

    A chacun son 11 septembre!

    Celui de 2001 est horrible, bien sûr; Mais de trop nombreuses questions restent sans réponse…

    Celui de 1973 est gravé dans le marbre:

    Bien à toi,
    Gilbert de Pertuis en luberon

  2. Annie PIETRI

    Aussi spectaculaire qu’ait pu être l’attentat contre les tours de Mahattan, aussi dramatique qu’ait pu paraître la mort de milliers de victimes, nous sommes sans doute nombreux à ne pas ressentir, à son évocation, l’intime pincement au coeur et la profonde émotion qui nous étreint en pensant à la mort tragique de Salvador Allende, et à l’espoir immense qu’avait fait naître son accession à la Présidence de la République au Chili. Et nous sommes sans doute encore nombreux pour qui le souvenir du 11 septembre 1973 a une toute autre portée symbolique, et affective, que celui du 11 septembre 2001.
    Trop peu de citoyens, trop peu de démocrates se souviennent, trop peu de médias rendent encore hommage au souvenir de Salvador Allende. Merci à toi, Jean Marie, d’avoir rappelé cette date et de nous avoir, à cette occasion, offert un texte magnifique.

  3. J.J.

    Ton récit de la visite du palais de La Moneda me rappelle l’émotion qui m’a saisi quand j’ai visité, en 2001, dans le fort de Joux, à La Cluse et Mijoux, la pièce dans laquelle fut détenu et où mourut Toussaint Louverture.

    Il y avait encore dans cette misérable cellule un bouquet apporté par une délégation d’haïtiens. J’avoue que j’ai eu le cœur serré en voyant ces simples fleurs déjà fanées, hommage de ces gens venus de si loin, à leur héros national, qui avait tenté de les arracher à l’esclavage et qui était mort dans la misère et le désespoir d’une prison, victime lui aussi d’un régime tyrannique et sanguinaire.

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