La femme qui fut le passé d'un Empire

Le pouvoir de l’image pèse sur l’Humanité. Il en arrive à pervertir tout comportement humain, surtout quand il comporte des enjeux de pouvoir. Une photographie a changé la 6186__6186_sissi_013face du monde. Un film peut le bouleverser. Une légende peut se construire sur des dentelles parfumées à l’eau de rose. François-Joseph, véritable dernier porteur de la vanité des Habsbourg, fut probablement l’un des premiers Princes de l’ère moderne à être sauvé du désastre historique par l’image de sa femme. Au moment de l’inventaire de son règne, marqué par les conflits armés, les profits accordés aux plus nantis, l’incapacité à briser les carcans des rites obsolètes d’un Empire engoncé dans ses certitudes, il devient le mari de… Sissi. La légende s’installe, et la réalité disparaît. Dans les visites des palais d’Hofsburg, on mesure le contraste entre des appartements imbibés par la raison d’Etat, et ceux qui respirent la solitude de celle qui ne donnait raison qu’à son état de santé psychique. La plus belle des têtes couronnées ne fut jamais libérée de son appétit de liberté, et surtout des coups sévères qui lui infligea le destin. Son plus beau cadeau de mariage fut posthume.

Qui sait si Peron n’aura pas été, en définitive, que l’époux d’Evita, si Clinton ne sera pas que l’époux d’Hilary et si Sarkozy (prononcez « Sarkeuzy » en hongrois comme on vous le rappelle à Budadécouvreur pest) ne deviendra pas que le fan de Carla ! En tous cas, dans le monde entier, François Joseph, tout empereur austro-hongrois qu’il fût, ne restera que le mari de Sissi. Sans elle, il ne serait entré dans l’Histoire que dans le fracas des conflits, qu’avec le malheur des peuples collé à son règne. Rien n’était gagné d’avance, puisque avant que s’installe cette réalité du sauvetage du règne de François Joseph, il aura fallu une trilogie cinématographique, sans aucun effets pagnolesques, pour que le « Cesar austro-hongrois » aux rouflaquettes peu esthétiques, transforme un monarque arrogant en Prince charmant au cœur d’amadou.

« Romy Sissi » a, en effet, effacé l’échec patent d’un couple, d’une vie, d’une société, grâce à34138380myymtk_ph un album d’images d’Epinal donnant des airs de sainteté à des comportements ordinaires, mais a gommé aussi un caractère sombre de misanthrope, soucieuse de son image.

A Vienne, le fantasme de Mozart accompagne celui de Sissi. Peu importe les moments rudes, les erreurs patentes, les égoïsmes reconnus, l’incompréhension des publics, tous deux remplissent les cratères éteints de la gloire passée. Ils gavent une nation de certitudes et de gloire, même si leur célébrité leur a été contestée, quand elle aurait pu servir la liberté des autres. Sissi fut dans le fond la meilleure alliée des Habsbourg, car elle les haïssait, et elle sut s’appuyer sur cette attitude pour se construire une indépendance qui accompagnait tous les actes de sa vie. C’est, en fait, une fausse impression car sa trajectoire en zigzag, son instabilité, son refus des contraintes de son rôle, reposaient essentiellement sur un matérialisme ostentatoire. Il fallait avoir le pouvoir de l’argent pour fuir la cour viennoise, se construire un univers clos, entretenir son corps, séduire et repousser, accepter et résister.

Sissi fut une Lady Di avant la lettre. Elle avait la beauté qui sied au mythe, et le caractère qui convient aux légendes. Son regard dur se  portait sur le monde artificiel des courtisans. Il contraste parfois avec son élégance soignée, car il trahit une certaine détresse, sous les apparences du bonheur. Que ce soit en Diane chasseresse, en conquérante hongroise, en exploratrice des autres cultures, en sportive assidue, elle recherchait une revanche sur celles et ceux qui lui avaient volé ses vertes années bavaroises. Tout ce que ces « géants » aux mépris faciles refusaient, elle l’aimait passionnément : la poésie dépressive, la silhouette affinée, le refus de s’exposer au regard des autres, la solitude protectrice, la liberté assumée. Sissi ne mérite pas d’être seulement une image pieuse pour roman photos. Elle fut la femme  d’un autre monde, qui s’épuisa à ouvrir la porte de la cage dorée des princesses, mais jamais elle ne sut atteindre le soleil des libertés absolues.

Cet article a 3 commentaires

  1. gilles baillet

    C’est amusant que vous vous accordiez une digression sur le sort d’Elisabeth de Withelsbach (je ne suis pas sûr de l’orthographe)et l’image de la monarchie qu’elle a porté de son vivant ou aprés sa mort. Mais vous pourriez parler de ce que fut l’Empire Austro-hongrois, prison des peuples, certes, qui aurait pu être toutefois transformé en fédération si Clemenceau ne l’avait bêtement dépecé. Autre curiosité intellectuelle autrichienne qui nous concerne en tant que socialistes: la pensée considérable des austro-marxistes et l’expérience originale du socialisme autrichien dans les années trente, écrasée dans le sang par le chancelier Dolfus. Parlez-nous si cela est possible de l’Autriche qui sort des centiers battus.
    amicalement

  2. C. Coulais

    Voici donc deux billets sur Vienne en Autriche ! Lors d’un précédent blog vous parliez de vos vacances à Vienne et moi qui pensais à Vienne en France !
    Alors quid du joli coup de pinceau vert qui s’amplifie depuis les années 80 (1980 bien sûr) dans certaines régions de ce beau pays. Mais une autre couleur (brune je crois) aurait aussi tendance à baver…

  3. Annie PIETRI

    En fait, dans l’imagerie populaire, qu’aurait été Elisabeth d’Autriche si elle n’était pas devenue Sissi….grâce à un film fleuve à succès, et surtout si elle n’avait pas été incarnée par la très belle Rohmy Schneider? Oui, Peron, c’est peut-être Evita qui sauvera son souvenir. Mais je ne crois pas qu’Hilary Clinton laissera une image plus impérissable que celle de son mari…Par contre, le souvenir des Kennedy, John et Jackie, restera toujours mêlé dans la mémoire populaire.
    Lady Di restera une icône pour bon nombre d’anglais….mais son souvenir ne parviendra jamais à rendre le Prince Charles un tant soit peu sympathique, et ne le sauvera pas de l’oubli qu’il mérite….Quant à Carla, je ne vois pas bien comment elle pourrait faire oublier l’oeuvre de destruction de la démocratie française sur laquelle s’acharne son sinistre époux.
    Oui, les femmes ont joué un grand rôle dans l’histoire du monde, mais celles qui ont eu le plus d’influence sont certainement celles qui ont été les plus discrètes et dont on a le moins parlé.

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