Les pompiers sont dans le rouge

1305202069_54471e28a4Les sapeurs-pompiers, qu’ils soient volontaires ou professionnels, sont les « intervenants » préférés des Françaises (surtout) et des Français (un peu moins). Il est vrai que les hommes ont souvent rêvé d’un camion rouge rutilant et que les femmes en ont fait autant en songeant qu’elles pourraient un jour finir un parcours périlleux dans des bras musclés. N’empêche qu’actuellement on passe du mythe à la réalité. On râle contre leur arrivée jugée « tardive ». On peste contre les impôts que génèrent leurs interventions… en faveur des autres. On s’éloigne de plus en plus de ces images d’Epinal, car les apparitions des soldats du feu correspondent de plus en plus à des avatars personnels graves, et non plus à des événements d’importance collective.

En Gironde, on dépassera en 2009 les 86 000 sorties, soit environ 10 interventions à l’heure : un record quand on sait que, depuis déjà plusieurs années, une sélection a été effectuée dans les secours, avec la suppression de certaines charges (destructions de nids de guêpes ou de frelons, ouverture de portes, dépannages divers, nettoyage ou dégagement de chaussées..). En fait, l’augmentation de 10 % repose sur une demande de plus en plus forte de secours aux personnes. Une évolution sociale qui va finir par poser des problèmes graves de disponibilité pour les volontaires en journée, et des difficultés financières croissantes pour les services d’incendie et de secours (SDIS) gestionnaires. Les élus locaux qui ont à assumer le financement de milliers d’emplois permanents ou de milliers de vacations de citoyen(ne)s solidaires de leur prochain, sont face à une situation inextricable. Demande croissante de sécurisation de la vie quotidienne avec, d’un côté, des recours judiciaires constants, dès que l’on estime que la puissance publique n’a pas rempli son rôle protecteur, et de l’autre, un blocage des ressources permettant d’y faire face.

En fait, le conseil d’administration des SDIS constitue un laboratoire idéal de la réforme… des collectivités territoriales. Un avant-goût, grandeur nature, des conséquences des volontés idéologiques gouvernementales. C’est ce qui attend à terme les conseils généraux, et les conseils régionaux, qu’ils soient ou non composés de conseillers territoriaux : des dépenses contraintes, décidées par l’Etat, qui doivent être financées avec des recettes non évolutives, venues des collectivités territoriales.

Tous les sénateurs de la Gironde pourront aller vendre, de sous-préfecture en sous-préfecture, l’anesthésiant pour élus dociles, ils ne changeront rien à cette évidence. A partir du moment où on adosse des ressources à des dotations (taxes, compensations) et que l’on augmente les charges par des mesures nationales, on conduit les élus à un dilemme insoluble.

C’est le cas dans tous les SDIS de France, avec un besoin manifeste de « sécurisation permanente des populations », et un mode de financement obsolète qui pourtant deviendra celui, demain, dévolu aux collectivités. On évalue pour 2009 à 15 000 le nombre de sorties des ambulances des sapeurs pompiers, demandées par… le centre régulateur de ce que l’on appelle le SAMU ! Ces 15 000 « expéditions » ne sont demandées que quand le secteur privé ne peut pas intervenir et, comme ils ne peuvent pas les payer, les hopitaux en règleront à peine 50 % ! Il vaut mieux préciser que, quand le SAMU ou un ambulancier privé intervient, la dépense est en effet réglée sur le budget déficitaire de la Sécurité sociale, alors que quand c’est le SDIS, il ne rembourse, à un tarif âprement négocié, que la moitié des évacuations ! Pauvres blessés, pauvres malades, pauvres bébés à naître, il ne savent pas qu’ils ne sont parfois que des enjeux financiers entre « la sécurité civile » et la « sécurité sociale ».

Pour répondre à cette attente forte de la population, le SDIS a, en Gironde, plus de 3 500 personnes et près de 1500 engins sophistiqués à gérer. Il doit faire face aux règlements, et aux normes édictés par un Etat, d’autant plus généreux qu’il ne paye jamais les conséquences des lois, décrets, ou circulaires publiés. Les financeurs des secours sont quasi-exclusivement les collectivités locales que sont les communes ou intercommunalités et le département (51 %). Un SDIS, comme celui de la Gironde, est donc tributaire de ces deux dotations qui sont, pour l’une, plus ou moins liée à l’inflation (1,2 % en 2010) et pour l’autre, fixée par le Conseil Général comme variable d’ajustement. Il ne peut donc bâtir son budget 2010 qu’avec une participation du département de plus de 80 millions d’euros, et des autres, de 66 millions. Il n’a aucune liberté d’action, aucune possibilité de moduler ses ressources en fonction de ses besoins, comme ce sera le cas pour les Régions ou les Départements qui deviendront, eux aussi, tributaires, selon la réforme, de taxes aléatoires (Taxe sur les Produits pétroliers notamment) mais ne pourront pas lier « services » et « impôts ». Comment recruter du personnel correspondant aux besoins ? Comment renouveler le matériel ? Comment financer les indispensables constructions de centres de secours adaptés ? Comment payer les avantages sociaux accordés aux sapeurs-pompiers ? Comment se mettre à l’abri des conséquences des aléas climatiques ou des incendies plus ou moins « naturels » ? Comment maintenir un niveau acceptable des secours 24 h sur 24 ? Comment ajuster les demandes légitimes de la population aux possibilités financières ?

Les conseils généraux ne peuvent plus suivre, car on les a plongés dans le doute, et on a restreint leur marge de manœuvre, les privant dès 2010 du levier fiscal. Dans la période actuelle, il faudrait, en fait, adosser la « sécurité des biens et des personnes » à une colonne particulière de la feuille d’imposition, et recréer un impôt départemental « sécurité », ou attribuer aux SDIS une taxe spécifique sur les assurances, principales bénéficiaires du résultat des secours (pourquoi pas la TSCA ou un impôt sur leurs bénéfices?) . Il est certain que le système des dotations montre, en situation de crise, ses limites, et que demain, les élus locaux qui seront confrontés à cet étau des demandes sociales pressantes et des crédits formatés vont regretter la disparition de la taxe professionnelle…quand il leur sera impossible de boucler un budget.

La perversité du système, c’est que personne n’aura véritablement le courage de diminuer drastiquement les secours. Il faudra donc, encore une fois, « marchandiser » le service… public. Mais quel citoyen s’en soucie véritablement… sauf dans deux cas : quand il reçoit sa feuille d’impôt, et quand il est en difficulté et qu’il a besoin des secours !

Cette publication a un commentaire

  1. Annie Pietri

    Pourquoi espérerions-nous que l’Etat, qui oblige les collectivités locales à faire vivre les SDIS et leurs activités, fournissent à ces mêmes collectivités les moyens d’y faire face? Si on est indulgent, on peut penser qu’ils n’ont pas mesuré ls conséquences réelles de leurs décisions : dans ce cas, c’est la preuve de leur incompétence à mener les affaires du pays. Mais en réalité, les gens qui nous gouvernent font preuve de la plus grande duplicité ! Ils savent très bien que, quoi qu’il arrive, les élus locaux ne pourront pas se soustraire aux obligations qui découlent de leur mandat, et aux attentes de leurs concitoyens, car c’est toujours auprès des Maires et des Conseillers Généraux que les usagers viendront demander des comptes, et protester si les services ne sont plus rendus comme ils estiment qu’ils doivent l’être…
    Quand les citoyens de ce pays comprendront-ils enfin que la responsabilité de la dégradation de nos conditions de vie, sous tous leurs aspects, incombe au gouvernement, et à un chef de l’Etat, plus soucieux des intérêts d’un petit nombre plutôt que de l’intérêt général ?

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