Pas si simple qu'on le croit…

Les déclarations de la mère de l’individu qui a poussé un pauvre passager sur les rails du RER m’ont particulièrement ému. «J’avais tiré le signal d’alarme, explique-t-elle, je sentais que mon fils pouvait commettre l’irréparable à chaque instant». Le 23 mars, cette habitante de Fontenay-sous-Bois, dans le Val-de-Marne, avait appelé la police alors que son fils était en grand état d’agitation. «Ils sont venus avec les pompiers, raconte-t-elle. Quand ils étaient là, mon fils m’a craché dessus. Mais ils ne l’ont pas emmené. On aurait pu anticiper ce qui s’est passé. Si seulement on m’avait écouté, ce ne serait pas arrivé».
Cette pauvre femme illustre une situation que j’ai rencontrée et que je rencontre très souvent en tant que Maire, impliqué de jour et de nuit dans la vie sociale d’une cité de 4 000 habitants. Je peux simplement vous assurer que j’ai été confronté à de nombreuses reprises à cette situation dans laquelle il faut procéder à ce que l’on appelle une « hospitalisation d’office » ou une H.O. dans le langage administratif. La mère du «pousseur» a expliqué que son fils souffrait de «troubles psychiatriques lourds. On les a détectés en août 2005. Depuis, il a fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, dont certains de plusieurs mois ». Il était également sous traitement, mais depuis deux mois, il ne prenait plus ses injections. « Sa dernière injection remonte au 6 janvier, détaille la mère. Depuis, il n’a plus pris ses traitements et dans ces cas là, il devient incontrôlable. Il peut commettre l’irréparable». La mère avait demandé une obligation de soins, mais on lui a refusé.
« Le médecin m’a dit qu’une obligation de soins à vie, c’était sûrement trop lourd, explique-t-elle. Mais moi, je voyais bien que mon fils en avait besoin ». Aujourd’hui, la mère, dont un autre fils s’est suicidé il y a quelques années à Fontenay-sous-Bois, est anéantie, et partage la douleur de la famille de la victime. « Je pense à eux à chaque instant, je souffre énormément pour eux, et je leur demande pardon pour ce que mon fils a fait ». Il arrive assez souvent (une fois par trimestre), que les sapeurs-pompiers, appelés sur une situation de crise (menace de suicide, menace sur l’entourage, délire verbal, coups sur l’entourage…), sollicitent la présence sur les lieux de ce qu’ils appellent, dans leur langage radio, « l’autorité administrative ». En général, il y a sur place un véhicule de secours et d’assistance aux blessés (VSAB), et un fourgon de la gendarmerie, selon la gravité de la situation. Le plus dur commence. Les pourparlers avec le « malade » ont débuté ou sont interrompus. Il me faut donc approcher une personne en détresse, car entre en jeu une procédure extrêmement précise. Il existe en effet trois solutions pour éviter un « drame potentiel ». La première est souvent la plus improbable : arriver à convaincre la personne de se laisser transporter aux urgences d’un centre hospitalier spécialisé. Il faut souvent des trésors de patience, une formation que l’élu et les fonctionnaires présents n’ont pas, pour apprécier la gravité de la détresse qui est en face. Le SAMU ne se déplace pas, les médecins généralistes ne souhaitent pas quitter leurs consultations ou leur famille (la nuit), et sans consentement de l’intéressé(e), le temps passe.
Parfois, après des heures (j’écris bien des heures) de dialogue, le résultat est positif. Il faut alors trouver une place dans un service du seul hôpital de Gironde assurant un service d’urgence. Quasiment impossible le week end. Légèrement plus facile en semaine. La négociation peut se révéler longue. L’ambulance devra être escortée par la gendarmerie (il faut donc trouver une équipe), car les pompiers ne peuvent pas contraindre par la force une personne transportée à rester paisible dans le véhicule… Et c’est là le cas le plus facile.
Le plus souvent, bien évidemment, il faut évaluer si la personne présente un danger pour son intégrité physique ou pour celle des autres… L’appel au Samu ou à un médecin est obligatoire. L’attente est parfois délicate, et même dangereuse. Rares sont les médecins qui acceptent de se déplacer pour effectuer un diagnostic pareil. Si les pompiers, les gendarmes ou le Maire ne parviennent pas à dénicher l’oiseau rare, il faut revenir vers le centre d’appel et convaincre le SAMU d’envoyer une équipe. Discussions, éventuellement examens médicaux, et diagnostic risqué : le malade peut rester chez lui (les risques sont alors assumés en cas d’erreur sur sa dangerosité) ou il doit être « hospitalisé d’office ».
On débouche alors sur deux variantes : Hospitalisation à la demande écrite d’un tiers (parent proche !), et elle devient une HDT, ou à la demande des « autorités administratives ». Il faut joindre à cette HDT deux certificats de deux médecins différents datant de moins de 15 jours, rédigés par des médecins thésés, non obligatoirement psychiatres, et inscrits au Conseil de l’Ordre des médecins (L’un est signé au départ. L’autre à l’arrivée du patient). Si personne ne se décide, on va vers une Hospitalisation d’office (H.O), qui concerne les malades mentaux compromettant l’ordre public et la sécurité des personnes. Il s’agit alors d’une mesure administrative, prise par le préfet du département. Deux procédures sont possibles .
Dans la procédure courante, le médecin rédige un certificat médical circonstancié, et le préfet prononce, au vu de celui-ci, l’hospitalisation d’office. Un médecin de l’établissement ne peut pas être certificateur; dans la procédure d’urgence, en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, le médecin atteste de la dangerosité du patient, et le maire peut alors prendre des mesures d’urgence. La loi du 4 mars 2002 subordonne l’hospitalisation d’office à trois conditions : l’existence d’un trouble mental, la nécessité de soins de ce trouble, et une atteinte grave à l’ordre public. Le maire de la commune signe un arrêté provisoire, sur lequel le préfet statue sous 24 heures. Faute de confirmation préfectorale, l’arrêté provisoire est caduque au bout de 48 heures. Un certificat immédiat est établi dans les 24 heures par le psychiatre de l’établissement hospitalier, constatant la pathologie et justifiant l’hospitalisation ; un certificat confirme la nécessité du placement tous les 15 jours.
C’est, encore une fois, la partie de la procédure la plus aisée, car ensuite, il devient primordial de trouver un lieu d’accueil, et un véhicule spécialisé pour le transport… car sauf réquisition, le VSAB, même escorté, ne peut pas effectuer ce déplacement. Les personnels spécialisés arrivent enfin, trois heures après l’alerte… se garent devant la porte et attendent que les « autorités » leur remettent le malade, car eux ne peuvent pas pénétrer à son domicile.
Il m’est donc arrivé d’investir en force une maison pour aller, avec les gendarmes, maîtriser la personne « agitée », et de la déplacer, avec tous les aléas que ce verbe implique dans ce cas, vers l’ambulance. Arrivé sur place, le « patient » sera examiné par un psychiatre, différent de celui qui éventuellement le soigne. Il peut alors confirmer le diagnostic et hospitaliser la personne, ou l’infirmer et la renvoyer quelques heures plus tard vers les… membres de sa famille qui l’ont fait interner, ou le Maire qui a signé l’arrêté d’hospitalisation. Rien d’étonnant donc à ce que la mère du pousseur du métro ait clamé son inquiétude dans le vide. Il n’existe pas de statistiques précises sur ces actes criminels perpétrés par ceux que l’on surnomme « les pousseurs » du métro. D’après une étude menée en 2005 par trois psychiatres français, la plupart des « pousseurs » souffrent de schizophrénie avec délires de persécution, accompagnés parfois de troubles liés à l’alcool. Une Créonnaise a ainsi été basculée par-dessus le Pont de Pierre enjambant la Garonne par un homme souffrant de ce mal… et je suis tracassé actuellement par un cas potentiel. Heureux soient les Maires des grandes cités, éloignés de tous ces cas de conscience, et couverts par de multiples « fusibles » administratifs. Il est vrai que leur indemnité est à la hauteur de leurs responsabilités. La solitude face aux réalités n’a pourtant pas de prix !

Cet article a 5 commentaires

  1. Christian Coulais

    Un billet d’humeur qui ne prête pas à rire ! Et je crains qu’au rythme où vont les « choses », éducation scolaire au rabais, Rased disloqué, famille éclatée, jeunesse malaimée, emploi de précarité, de plus en plus de nos voisins, amis, parents sont ou seront peut-être eux aussi atteints des ces maux de société qui nous effraient.
    Les maladies du comportement furent toujours les parentes pauvres de la médecine et de la recherche.
    Courage, Monsieur le Maire…et abnégation.

  2. Gilbert SOULET

    Bonjour Jean-Marie,

    Très belle illustration de ce qui, hélas, peut arriver dans une commune confrontée à ce terrible problème.

    Je vais diffuser ton billet aussi bien vers mes amis et camarades défenseurs de l’hôpital ( dont les moyens disparaissent au fur et à mesure des réformes en cours )que des élus susceptibles d’être confrontés à cette situation.
    Très amicalement,
    Gilbert de Pertuis en Luberon

  3. vinz

    Très belle illustration du tavail quotidien d’un élu confronté aux réalités des difficultés de ses concitoyens mais aussi du problème de l’hospitalisation d’office. Ce n’est jamais simple de prendre la décision d’envoyer un membre de sa famille se faire interner surtout quand on n’a aucune assurance du suivi thérapeutique qui sera effectué derrière. Le cas de cette mère de famille est symptomatique de l’impuissance des pouvoirs publics à traiter cette question. Il ne s’agit pas simplement d’une question de moyens mais d’une volonté politique de mettre en action des dispositifs efficaces.

  4. PIETRI Annie

    J’ai fait lire cette chronique cet après midi à un médecin psychiatre qui passait à Créon : mon frère. Il confirme en tous points les difficultés évoquées par JMD pour résoudre les problèmes posés par une hospitalisation d’office : dangerosité potentielle d’une part, respect des libertés individuelles d’autre part.Ces malades sont souvent imprévisibles.Comportement quasi normal durant de longues périodes, que peut venir perturber un incident apparemment anodin, qui prend des proportions imprévisibles, comme le fait par exemple de déplacer un meuble ou un objet familier dans la pièce où ils vivent. La crise survient alors que l’on ne s’y attend pas.
    Exerçant dans un dispensaire de la région parisienne (Bagnolet), il a eu à faire face très souvent à des situations de ce type….avec des difficultés très fréquentes pour trouver un hôpital qui veuille bien prendre en charge le patient (les moyens…), il lui est arrivé de rester de longues heures au dispensaire, avec le malade qu’il ne voulait pas « remettre dans la nature », à la recherche d’une solution acceptable ! Et au bout d’une vingtaine d’années d’exercice, il considère qu’il a beaucoup de chance de n’avoir jamais eu de « pépin ». Ce qui n’est pas le cas de tous ses confrères !
    Puis-je préciser que mon frère est un psy « de gauche » (c’est de famille), lacanien, très attaché aux libertés individuelles, et pour qui l’hospitalisation ne peut être qu’une solution extrême. Toute loi qui préconiserait des solutions systématiques ne pourrait être que restrictive de liberté. Les solutions ne peuvent être appréciées qu’au cas par cas et ne relèvent que de la médecine, et non pas du législateur !

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